La période qui précède la publication de cet album ridiculise même la presse : six articles dans Le Monde et une Une de Casemate cet été, un numéro spécial de Géo-Histoire, un autre du Point qui sortent un peu avant l’album... Tout cela sans qu’aucun journaliste n’ait lu le livre ; seules quelques images sont délivrées au compte-goutte.
Les conférences de presse de lancement tournent autour des conditions de la reprise : le renoncement de Frédéric Mebarki, précédemment pressenti pour succéder à Albert Uderzo, une sélection à l’aveugle des scénarios, trois candidatures seulement pour le dessin, les délais de production de Didier Conrad (six mois pour dessiner l’album...), etc. "Beaucoup d’annonces, donc, de longues explications, des commentaires,... et pourtant, du nouvel album, on ne sait rien", écrivions-nous le 3 octobre dernier dans une série de trois articles qui arpentaient la promotion orchestrée autour de ce lancement.
Personne ne s’en offusque : la presse, vendue depuis si longtemps à la publicité, a tellement l’habitude de faire de la promo sur les produits culturels. Il n’est que François Chrétien, dans Ouest France, pour se rebeller contre cet état de fait le 17 octobre dernier dans un article intitulé : "Parlez d’Astérix, mais ne le lisez pas !" : "On nous explique, sans rire, que les autres médias n’ont pas besoin de connaître l’œuvre pour interroger les auteurs. Ah bon ? Ne serait-ce pas plutôt pour s’assurer une bonne couverture en s’épargnant tout risque de critique ?" et d’expliquer que : "Les deux précédents Astérix étaient franchement mauvais… Fans de la série, et de Conrad et Ferri, on espère de tout cœur que ce 35e album redressera la barre. Mais par Belenos, on n’en fera pas l’éloge sans l’avoir vérifié."
Outre qu’il y a une confusion entre l’information et la critique, qui sont deux objets très différents de l’action journalistique, l’analyse succédant naturellement à l’établissement des faits, de même qu’un jugement vient après une plaidoirie, Astérix a ceci de particulier qu’il est, depuis 1966, "un phénomène". Il est possible de parler d’un phénomène sans même le lire. De nos jours, les "communicants" jouent sur cette ambigüité.
Instant critique
"Bon, venons-en à la critique", commencent à marmonner certains de nos lecteurs impatients qui attendent une crucifixion -pratique romaine, paradoxalement barbare, une exécution en règle attendue sinon souhaitée, chacun se sentant prêt, comme César, à donner du pouce...
Alors voici. Ce n’est pas un album exceptionnel. Ferri et Conrad font un travail honnête sans pour autant trouver leurs marques. La trame scénaristique est dans la lignée des albums d’Astérix qui utilisent la ficelle du voyage : une rencontre, puis une escapade dans un pays lointain, de la Belgique à l’Égypte, de la Suisse aux Amériques...
La recette goscinnienne est appliquée à la lettre dans les patronymes et dans l’élaboration des jeux de mots, avec un ancrage plus prononcé que chez Uderzo dans la parodie contemporaine (par exemple dans les patronymes romain Zaplesactus ou picte Mac Oloch) ou quand le scénariste suggère que les pictogrammes sont les ancêtres des tags.
Mais les situations n’arrivent pas au niveau de la mécanique canonique, alors qu’Uderzo y arrivait souvent. Les disputes entre Astérix et Obélix, par exemple, nous apparaissent comme une caricature de celles délicieusement décrites par les auteurs d’origine. Les personnages centraux de l’aventure, Mac Oloch et le célèbre monstre du Loch Ness, nous semblent insuffisamment exploités, ce qui est dommage, et c’est probablement là que gît le principal problème de cet album.
En ce qui concerne le dessin, Conrad caractérise extrêmement bien le personnage de Mac Oloch, mais celle du méchant Mac Abbeh, de même des différentes tribus pictes ne sont pas très évidentes. Conrad n’a pas non plus la clarté d’un Uderzo dans la succession des avant-plans des arrière-plans. Enfin, les ratés sont patents quand il s’agit de dessiner des femmes. La ravissante Madame Agécanonix est parfois quelconque, même si cela s’améliore à la fin.
Ce qui nous amène à constater la principale qualité des albums de Goscinny et d’Uderzo vers laquelle les auteurs doivent tendre s’ils veulent un jour leur arriver à la cheville : leur capacité d’offrir au lecteur une lecture dense et riche en détails, tout en gardant une parfaite limpidité dans la lecture. Nous n’y sommes pas encore.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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