Aristée par Vincent Vanoli - L’Apocalypse

Né pendant le Grand Confinement, il répond peut-être au besoin de Vincent Vanoli de s’évader, de s’extraire de sa condition d’être contraint de se trouver enfermé par la pandémie et par ceux qui ont décidé de n’octroyer à cette époque que quelques minutes de plein air à la population. Par l’intermédiaire de cette entité blafarde, c’est dans une marche à travers champs, forêts, montagnes, villages et villes que nous fait voyager sans limite l’auteur.

On y retrouve les contrées les plus diverses, si typiques des ambiances et des lieux chers au dessinateur, dont les caractéristiques sombres, rappeuses, obscures, inquiètent tout autant qu’elles fascinent. Le géant sublime des paysages aussi glauques que magnifiques. Dans chacun d’eux, un détail rappellera au lecteur des souvenirs, son chez soi d’antan ou d’aujourd’hui, l’espace qu’il a fréquenté ou qu’il pratique encore maintenant. Ici, ce sont des pilônes électriques qui feront ressurgir dans les consciences la zone industrielle que l’on traverse en arrivant au travail ; là, ce sont ces péniches et ces quais de la Lorraine, souvenirs d’enfance de l’auteur ; ailleurs, la forêt de bouleaux à l’écorce blanche que l’on s’amusait tous à peler tout à fait inutilement…

Les textures se perçoivent, se ressentent. Les variations de noir et de gris se mêlent aux aplats sombres grattés à l’aiguille pour y tracer des sentiers, des chemins forestiers ou des falaises abruptes. Dans les villes, le géant observe une population frénétique. Est-il dangereux ou bienveillant ? Est-il curieux de constater ce fourmillement, ou triste de ne pas trouver une attache, un lieu où il pourra se poser ? En tout cas, il observe. À travers les fenêtres des maisons de briques, il admire les scènes de la vie quotidienne de familles qui ne se doutent pas qu’elles sont épiées dans leur intimité la plus banale.

D’une silhouette au trait net, le géant devient parfois vapeur. Il disparaît ponctuellement. On le cherche. Il est forcément caché quelque part. Derrière un arbre ? Tapis dans une ombre ? Fondu dans la glaise ou dans le charbon d’un paysage minier ? Non… Il a bel et bien disparu pour laisser la place à une meute de loups et à l’envolée d’un nuage de corneilles. Enfin, il réapparait sur la planche suivante.

D’où vient Aristée  ? Que cherche-t-il ? Trouvera-t-il son salut quelque part ? La force des ouvrages de Vincent Vanoli est d’amener ses lecteurs à se poser les questions et à les inviter à l’imagination. Car Vincent est un indépendant, un auteur libre. Sa liberté, il y tient autant qu’à celle de ses lecteurs. Alors que chacun invente ce qu’il veut, interprète comme il veut ! Les carcans et les codes sont brisés. Le rêve est permis ! Profitons de cela pour que chacun écrive la suite de l’histoire, de son histoire.

L’objet est magnifique, tant dans son contenu que dans sa forme. Le format à l’italienne, couvert d’une toile verte comme la mousse, est parfaitement adapté à ce travail fantastique dans tous les sens du terme. « Faire un récit sans histoire… », voilà en quelques mots comment Vincent Vanoli résume cet album dans la petite brochure qui l’accompagne et qui n’est à lire, selon nous, qu’après s’être plongé, évadé, enlisé, enfoncé, englué dans chacun des dessins, dans chacun des paysages, sous le regard intrigué d’ Aristée.