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Vincent Vanoli, auteur de BD et géographe [INTERVIEW]

Par Romain BLANDRE le 27 novembre 2023                      Lien  
Le dessinateur déambule dans les rues, carnet ou appareil photo à la main. Ici, il s’arrête quelques instants pour croquer un jardin ouvrier ou le détail d’un portail en fonte ; là, il préfère prendre plus de temps pour dessiner une maison. Ailleurs, ce sera une affichette sur un poteau électrique ou un chien qui aboie.

Progressivement il s’efface. Simple silhouette blanche dans des paysages puissants et rugueux en noir et blanc, il disparait complètement. L’espace est héroïsé. La matière se ressent presque sous nos doigts qui effleurent les pages du livre. La normalité devient exception, tout est art, tout est mis en valeur et devient beau, poétique.

Vincent Vanoli, auteur de BD et géographe [INTERVIEW]

Vincent Vanoli est auteur de bande dessinée depuis plus de 30 ans. Il signe en cette fin d’année deux ouvrages : Aristée paru à L’Apocalypse et La Boucle éditée par Ouïe Dire, maison d’édition de Marc Pichelin, un des fondateurs des Requins Marteaux. Rencontre avec Vincent autour d’une micro-table sur laquelle il dédicace au Détour, nouveau magasin mulhousien où l’on vend des vinyles, des livres et… de la laine.

Un beau recueil, cadeau pour l’auteur et pour le lecteur

« Mon éditeur m’a fait un véritable cadeau. C’est vraiment un très beau livre, avec une couverture soignée. Les livres issus de résidences d’artistes ne sont habituellement pas de cette qualité et ne bénéficient pas d’une aussi belle fabrication. Marc s’est fait plaisir et m’a fait plaisir en éditant un livre aussi luxueux. Je ne le détache absolument pas de ma bibliographie », raconte Vincent Vanoli.

Tout a commencé en février 2020, à peine quelques mois avant le grand confinement. Vincent est contacté par Marc Pichelin qui lui propose une résidence à Chamiers, une petite commune au passé industriel de la banlieue de Périgueux. Là se trouve un « finistère » au sens propre du terme, une fin de terre, un cul de sac au-delà duquel l’homme ne semble plus pouvoir aller. C’est ici que la SNCF avait aménagé la boucle, un chemin de fer qui épouse la forme du coude de la rivière. Une usine de maintenance des trains s’y trouvait. Elle fourmillait d’ouvriers et d’activités. Le lieu est aujourd’hui en pleine reconversion. Devenu un laboratoire d’idées et de nouvelles pratiques économiques, écologiques et sociales, il fallait que des artistes l’investissent afin de rendre compte de son passé, de son présent et de ses transformations actuelles. « Marc me connait très bien. Il savait que cet endroit allait me plaire. Il avait lu "Sentiers battus", "Brighton Report" et d’autres livres que j’avais faits avant. Il s’est dit que je pouvais sentir les choses et les analyser visuellement de façon sensible. Ce lieu n’a rien d’exceptionnel, mais il m’a lancé ce défi. Pour moi c’était nouveau parce que d’habitude je parcours des endroits qui me sont connus, liés à mon passé et à mon enfance  », confie Vincent.

La résidence a rassemblé des photographes, des écrivains, des dessinateurs et plein d’autres artistes dont la tâche a été de raconter le quartier, ses habitants et tout ce qui s’y passe sous la forme qu’ils voulaient : « Il fallait montrer que, par une action artistique, on peut s’ancrer dans un quartier, qu’on peut le faire vivre et interagir avec les habitants pour créer une dynamique  ». Logée dans un premier temps dans une barre de la cité, elle a été ensuite délocalisée après la démolition de l’immeuble.

Vincent y est retourné quatre fois en deux ans. La première fois, c’était pour découvrir ce territoire de deux kilomètres carrés qui lui était inconnu, le parcourir pour l’apprivoiser. « Ça m’a rappelé le livre de Georges Perec, "Tentative d’épuisement d’un lieu parisien", dans lequel l’auteur avait pris position dans l’angle d’un boulevard pour observer tous les jours et décrire tout ce qu’il voyait à l’instant où il le voyait ».

Un auteur de BD géographe

« La géographie se pratique avec les pieds », estime un fameux chercheur en géographie. Tout l’art de Vincent Vanoli est d’appliquer cette idée et de la transcender en y ajoutant le regard sensible de l’artiste. « Le premier récit de ce type que j’ai fait est paru il y a longtemps dans une revue collective de L’Association. J’y avais raconté une déambulation. Ça s’appelait "Les trois ponts." C’était une triple histoire : une balade solitaire, une autre liée à un souvenir avec un copain, et une promenade amoureuse en couple. Elle me permettait de parler d’un pont à Lyon au-dessus de la Saône, d’un autre au centre-ville de Nancy et d’un troisième dans le patelin industriel où j’ai passé ma jeunesse. Ça a été un vrai point de départ. Depuis, j’exploite cette veine-là. Je constate combien les lieux qu’on a habités nourrissent notre imaginaire et notre sensibilité  ».

Sa vie et son quartier de Brighton ont été les objets d’un reportage paru chez Ego comme X  ; dans Le passage aux escaliers, ce sont les souvenirs d’enfance vécus dans son espace proche qu’il raconte, quant au plus récent, La Grimace, il y décrit le passé industriel en voie de disparition de Mont-Saint-Martin, près de Longwy, où se trouve la maison familiale. Ces migrations sur différents territoires sont de véritables invitations à voir ce qui ne se voit plus, ou ce qu’on essaye de faire disparaitre, ce patrimoine populaire, prolétaire, dont on estimera la valeur qu’une fois qu’il sera disparu. Mais ce sera certainement trop tard.

Les super-héros en gilets fluo armés de leur pince

En bon géographe, Vincent s’intéresse aussi aux acteurs qui pratiquent au quotidien le territoire. Ces héros normaux, sont au centre de l’enquête : gens du voyage, hommes équipés de casque, de masque, de gants et de gilet fluo, armés de pince à ramasser les détritus…

C’est surtout lors de sa deuxième visite sur les lieux qu’il a pu rencontrer et discuter avec les habitants du coin. « Marc Pichelin avait pris des rendez-vous pour me mettre en contact avec les gens qui travaillent ou qui habitent là-bas. J’ai découvert ceux du centre d’accueil pour SDF, ceux qui travaillent dans l’usine de recyclerie du papier, une association à caractère social dont le but est l’insertion des personnes en difficultés. Il y avait aussi les jardiniers, les maraichers et surtout les ouvriers de l’usine SNCF », explique le dessinateur devenu presque journaliste.

Il lui aura fallu parlementer pour avoir le droit d’accéder à l’usine : « À peine rentré, je me suis rendu compte que je ne pourrai pas parler des différentes personnes qui occupent tous les postes de travail. Et là, je remarque un type qui était derrière des écrans, dans une espèce de cellule sombre. Il a commencé à nous expliquer devant son ordinateur tout ce qu’il faisait. J’ai tout noté et j’ai pris des photos. Finalement, au moment de passer au dessin, je me suis rendu compte que j’avais photographié ses mains qui faisaient comme des ombres chinoises devant les écrans. Elles étaient plus parlantes et j’ai décidé de représenter sa gestuelle comme une sorte de ballet théâtral des mains. Je voulais surtout mettre en valeur l’humanité, les gens qui ont fini par m’accueillir, qui ont accepté de me répondre. J’ai eu vraiment de la chance et comme je dessine, c’est d’un vrai joker dont je disposais pour pouvoir entrer en contact avec la population  ». Et tout cela s’est fini souvent autour d’une table pour un partage, comme un échange : un repas, un verre, un café, des souvenirs, contre un dessin.

De la géo-histoire….fantastique ou fantasmée ?

Vincent Vanoli fait ressurgir le passé de ces maisons. Il les imagine ou invite ses habitants, et par leur intermédiaire le lecteur, à penser, se souvenir, imaginer ce qu’il y avait ici ou chez eux avant. La dimension onirique, omniprésente dans son œuvre, est marquante également dans La Boucle : « On reconstitue en rêves des endroits où on a vécu. Je me suis constitué ma propre mythologie avec les paysages de mon enfance. Je m’y revois y passer du temps seul, sans m’ennuyer, y déplacer des mottes de terre pour construire des châteaux pour les escargots, ou bien, regarder la fenêtre de ma chambre avec l’envie d’aller construire une cabane dans le petit bois de peupliers juste derrière chez moi. Ce sont ces petites choses que j’ai faites qui m’ont énormément marqué. Et puis j’y associe mes sens, les odeurs, le toucher. Comme je suis de nature contemplative et rêveuse, ça me faisait vraiment du bien. J’étais en harmonie avec cet univers-là. C’est tout cela que l’on retrouve dans mes histoires : les rêveries de l’eau, les rêveries du feu, la rêverie du repos, celle de la maison, celle de la grotte… ».
Dans Aristée, autre ouvrage paru en même temps que La Boucle, c’est un géant, ni sympathique, ni inquiétant, neutre mais à l’allure triste, complètement perdu, qui marche, de villes en villes, de montagnes en montagnes, de forêts en forêts. «  Aristée se balade lui-aussi, mais il cherche une accroche avec le monde et va visiter les êtres humains. Mais il ne trouve pas. C’est un peu moi pendant la résidence à Chamiers. J’ai commencé comme ce géant qui traverse les paysages, mais moi, à sa différence, j’ai trouvé en cette fameuse boucle mon accroche ».

Une fidélité sans faille à l’édition indépendante

Après une quarantaine d’ouvrages parus en trente ans, Vincent Vanoli est certainement l’un des auteurs français les plus productifs de son temps. Nominé cette année à Angoulême pour la seconde fois avec La Boucle, il reste pourtant fidèle à ses amis de toujours et aux éditeurs qui lui ont fait confiance depuis ses débuts. « C’est dans les années 1990 que j’ai commencé la bande dessinée et que j’ai été publié pour la première fois. À cette époque, le paysage des éditeurs était assez fermé. L’autobiographie, les aventures décalées, les reportages ou les récits de voyages n’avaient pas trop de succès et n’intéressaient pas. Les graphismes un peu différents ne pouvaient pas être publiés. Alors les dessinateurs ont fondé leurs propres maisons d’édition. J’avais à l’époque 25 ans et j’ai croisé le chemin de ces gens qui, comme moi, faisaient des choses différentes. Ainsi ont vu le jour L’Association, Ego comme X ou Les Requins Marteaux par exemple. Ces maisons-là m’ont toujours soutenu et accepté. Jean-Christophe Menu publie aujourd’hui "Aristé" à L’Apocalypse et Marc Pichelin publie "La Boucle" chez Ouïe Dire ». Professeur d’arts plastiques dans un collège mulhousien, il ne vit pas de la bande dessinée, mais il « existe quand même dans cet univers  ».

Des projets, il en a sans en avoir. Outre les deux dernières bandes dessinées qu’il dédicaçait ce jour, est paru également cette année un recueil de dessins intitulé Panorama de la musique populaire qui regroupe ses réinterprétations dessinées des chanteurs et groupes les plus écoutés (ou pas) des soixante dernières décennies, complétées depuis peu par la série des auteurs et écrivains populaires. «  J’ai moins de choses de prévues, je vais un peu lever le pied, mais j’ai toujours envie de travailler, à mon rythme  », termine-t-il.

Rappelons que Vincent a créé une association avec quelques collègues et amis il y a plus d’une décennie. Elle s’appelle Fleshtone, et édite des fanzines et produit des vinyles… Elles aussi, totalement indépendante…

(par Romain BLANDRE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782919196579

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