Albums

Collection Patte de Mouche : 2022 débute sous le signe de la créativité pour L’Association

Par Hugues FRANCOIS le 15 février 2022                      Lien  
Depuis ses débuts en 1985, la collection Patte de mouche de L’Association a connu plusieurs moutures jusqu’à celle que nous connaissons aujourd’hui, la quatrième, traçant son sillon depuis 1995. En ce début 2022, ces petits livres à la couverture violette et rose reviennent en force pour proposer 24 pages d’expériences de récit graphique en noir et blanc. Les contraintes du format laissent finalement une grande liberté d’expression et une place importante au fond. Cette nouvelle fournée est presque une mise en abîme de la collection : les ouvrages présentés interrogent tous cette dynamique de la création.
Collection Patte de Mouche : 2022 débute sous le signe de la créativité pour L'Association
© L’Association

Cette nouvelle salve prolonge la démarche novatrice de la collection Patte de mouche, tout en s’appuyant sur des piliers de L’Association. Tous les auteurs, ou presque, ont déjà sévi dans cette collection. Parmi les dix premiers numéros, publiés dans la première année de la mouture actuelle de la collection, figurent trois des auteurs sur les cinq présentés ici : Marc-Antoine Mathieu (avec quatre opuscules depuis le #2), Étienne Lécroart (deux publications antérieures à partir du #3) et Vincent Vanoli qui fait son retour dans la collection (absent depuis le #8). Baladi, s’il n’a rejoint l’aventure Patte de mouche qu’en 2003, n’en est pas moins un habitué avec quatre numéros au compteur. Seul Léopold Prudon est un nouvel arrivant dans la collection - mais pas chez L’Association.

Fumier – Étienne Lécroart – L’Association (Patte de mouche #96)

Étienne Lécroart est un habitué de L’Association au sein de laquelle il a fondé l’Oubapo (Ouvroir de la bande dessinée potentielle) et trouve dès son origine sa place dans la collection Patte de mouche. À titre personnel, c’est d’ailleurs Victor et Pervenche (#3 dans la numérotation actuelle) qui m’a fait découvrir, simultanément, la collection et l’auteur. Mais depuis la publication de 1995, l’auteur n’a récidivé qu’une fois, en 2013, et ne revient que neuf ans plus tard. Ces dernières années ont plutôt été marquées par des publications engagées, notamment en lien avec les travaux du couple de sociologues Pinçon-Charlot (Le Tribunal des riches, Panique dans le 16e) ou, plus récemment, Urgence climatique avec Ivar Ekeland.

Dans Fumier, Étienne Lécroart propose une réflexion sur le travail artistique, à travers une métaphore sur ses déjections. Le sujet n’est pas nouveau, mais il est traité ici avec brio. Le texte occupe la place centrale de pages mettant en scène l’auteur aux prises avec une journaliste. Le plan est fixe et seul l’auteur-personnage est réellement expressif. Mais ses expressions, tout d’abord dessinées par un trait net et très marqué, se fondent progressivement dans le décor. Les protagonistes s’effacent ainsi progressivement, ne laissant plus la place qu’au texte lui-même… Mais à quoi bon ?

Fumier © Étienne Lécroart / L’Association 2022

Pointillés dans la nuit – Par Carola Caggiano & Baladi – L’Association (Patte de mouche #97)

Baladi est un habitué de la scène indépendante. Avec The Hoochie Coochie, il a publié deux albums majeurs en s’attaquant à deux symboles de notre imaginaire : les pirates avec Renégat et le western avec Revanche. Dans chacun des cas, l’auteur reprend les codes classiques pour les sublimer à la fois par un récit dynamique et par des planches dont la composition n’est pas figée mais s’adapte au récit pour mieux accompagner le texte. Il en résulte une œuvre à la fois très personnelle mais très accessible et immersive. La quasi-totalité de ses publications est réalisée en solo. Ici, c’est une bande dessinée à quatre mains qui trouve son origine dans une balade amoureuse.

Ceux qui connaissent son travail ne seront pas étonnés de retrouver son style graphique tout en courbes, et la première page de Pointillés dans la nuit laisse penser que nous sommes bien dans un univers qui lui est familier, où rêve et réalité se mélangent. Le terre et le ciel semblent s’inverser et l’eau, remplie des bulles des poissons, fait office de voûte céleste. La suite en est d’autant plus déroutante !

La composition est faite de cases polygonales et seuls les éléments naturels viennent casser cette géométrie comme ils viennent casser les pieds des protagonistes installés dans la nature pour observer les étoiles filantes. Soudain, dans ce désordre ambiant, un groupe de lumières, bien alignées, apparaît… Mais est-ce bien naturel ? Telle est finalement la question soulevée par Carola Caggiano et Baladi. Quelle est la place de l’homme ? D’un homme en particulier ? Une paire de sacs de couchage perdus dans l’immensité ?

Pointillés dans la nuit © Carola Caggione / Baladi / L’Association 2022

Tartlepy – Par Vincent Vanoli – L’Association (Patte de mouche #98)

Vincent Vanoli fait son retour dans la collection Patte de mouche, dans laquelle il n’avait pas publié depuis 1995 ! Cela ne signifie pas qu’il est resté inactif. La Grimace est sortie en 2021 chez le même éditeur et, en 2019, l’auteur s’est frotté à une autre maison d’édition indépendante en publiant Le promeneur du Morvan, récit d’une résidence artistique itinérante, chez Les Requins Marteaux.

Le descriptif proposé par L’Association met en avant l’hommage rendu à Bartleby par Vincent Vanoli quand il propose Tartlepy. Mais s’agit-il uniquement de cela ? Malgré le titre et l’absence de réaction de la part d’un personnage, Tartlepy, que le protagoniste principal de l’histoire recherche mais que le lecteur ne verra jamais, de nombreux éléments diffèrent. Le milieu urbain est remplacé par une maison isolée, le travail de Tartlepy ne semble pas être celui d’un notaire et la phrase mythique « I would prefer not to » n’est pas citée bien que le travail attendu de lui ne semble pas avoir été réalisé. Reste de Bartleby une réflexion à propos du repli sur soi et du piège de sa propre création.

Tarlepy © Vanoli / L’Association 2022

La Roue sans merci – Par Léopold Prudon – L’Association (Patte de mouche #99)

Nouvel entrant dans la collection, Léopold Prudon est un jeune auteur né peu avant que la dernière mouture de la collection ne voit le jour. Il a encore peu d’ouvrages à son actif mais les deux ont été publiés par des maisons indépendantes : en 2015, De l’autre côté sort aux éditions Les Enfants rouges, et, en 2020, il rejoint les rangs de L’Association pour Shanghai Chagrin. Il faut dire que l’auteur n’est pas inactif du côté de l’édition car il est également cofondateur des éditions Mökki.

Avec La Roue sans merci, Léopold Prudon propose une approche graphique du noir et blanc sans contours. Le décor, les objets et les personnages se dessinent, se devinent en négatif. Il en résulte une vision onirique du cadre, des paysages. Deux personnes, que l’on devine âgées, se baladent le long de la Loire.

Dans leur cheminement, les éléments du décor se confondent avec leur reflet dans le fleuve, avec leur ombre. Inexorablement la grande roue qui les surplombe tourne, alors que le fil de l’eau accompagne leur progression et rythme leur vie. Le temps poursuit sa marche implacable mais de manière linéaire : tantôt il s’écoule comme une rivière, tantôt il se ralentit. Il semble parfois se figer, tel un lac apparemment immobile, mais ce n’est finalement qu’une parenthèse et la roue ne cesse de tourner, peut-être pour nous emmener ailleurs.

La Roue sans merci © Léopold Prudon / L’Association 2022

L’Œuvre piège – Par Marc-Antoine Mathieu – L’Association (Patte de mouche)

S’il est un auteur habitué des expérimentations et explorations pour trouver de nouvelles manières de raconter des histoires, c’est bien Marc-Antoine Mathieu ! Son 3’’, ouvrage muet faisant suite au très verbeux Dieu en personne, a ainsi durablement marqué les esprits. Forcément, l’auteur est à son aise dans les publications de L’Association et il livre ici un nouvel ouvrage plein de mystère, laissant au lecteur le soin de trouver lui-même les réponses.

Alors que Marc-Antoine Mathieu ne se laisse pas enfermer dans des codes, son héros semble dans L’Œuvre piège tout d’abord prisonnier d’une création fleuve qui semble l’engloutir. Ce personnage est un écrivain prolifique qui peine à trouver le succès. Enfermé dans son grenier, il poursuit sans relâche la rédaction de ses livres qu’il ne parvient pas à faire éditer. Et il produit, il produit…

Jusqu’à ce que, confronté à la vacuité de sa créativité, il décide non pas de poursuivre son œuvre, mais de réaliser son grand œuvre. Le livre unique, celui qui portera tout son savoir-faire, tout ce qu’il a acquis au fil de sa prolifique production. Et ce grand œuvre, il l’éditera lui-même pour, enfin, se confronter au public. Persuadé que le génie de son œuvre restera incompris, l’auteur ne se doute pas que l’enjeu n’est finalement pas tant le nombre d’exemplaires vendus ou de pages noircies que la force de son propos qui donne du sens à son travail.

L’Œuvre-piège © Marc-Antoine Mathieu / L’Association 2022

Voir en ligne : La collection Patte de mouche - L’Association

(par Hugues FRANCOIS)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782844148711

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Hugues FRANCOIS  
A LIRE AUSSI  
Albums  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD