Collectors

Bruxelles, creuset des avant-gardes de bande dessinée, à l’heure des « bulles spéculatives »

Par Damien Boone le 14 mars 2024                      Lien  
À Bruxelles, une exposition relative à la « bande dessinée spéculative », entendue ici comme une étude, une recherche abstraite ou théorique, s’ouvre pour une dizaine de jours. Une mobilisation d’esprits critiques, potaches, imaginatifs, surréalistes, empreintes parfois, il faut bien le dire, d’un peu de cogitation masturbatoire, voilà un événement bien singulier, mais qui caractérise bien la capitale bruxelloise -entre Frémok et la 5e Couche, jusqu'aux Blow-Books- comme l'un des terreaux les plus fertiles de l'avant-garde du 9e art.

On ne la qualifiera pas encore de courant de pensée, mais la « bande dessinée spéculative » se présente ici telle qu’on la verrait au musée, comme si elle avait une histoire ancienne : fondateur, précurseurs, définition, inspirations, de sérieux débats pour savoir quels en sont les contours et les limites et qui peut revendiquer y appartenir, et des œuvres, bien entendu, très diverses.

Dans une prose abondante, dont on n’est pas toujours certain de bien comprendre la signification, l’exposition se base sur le corpus CoCo (Conceptual Comics) réalisé par Ilan Manouach, figure de proue du label La 5e Couche (on lui devrait notamment, dit-on, le célèbre détournement de Maus, Katz). Ce dernier est un artiste belgo-grec se revendiquant de la bande dessinée conceptuelle (devenue spéculative en français. La justification de cette traduction est longuement détaillée dans un jargon épistémo-philosophique). Dès 2009, on a déjà pu lire sur ActuaBD les prémices de sa démarche avec l’édition d’un album de détournement dans lequel il éliminait tous les personnages d’une aventure sauf un.

Bruxelles, creuset des avant-gardes de bande dessinée, à l'heure des « bulles spéculatives »

Signe de la production kaléïdoscopique du mouvement, le catalogue de l’exposition n’en propose qu’une « tentative de définition ». On y lit notamment : « les œuvres de bande dessinée spéculative opèrent une action critique, un questionnement dans le champ de la bande dessinée, elles déconstruisent la discipline elle-même (sa forme, sa spécificité), elles mettent en jeu le statut de ses acteurs (auteur.es, lect.eur.ices, édit.eur.ices, diffuseurs, imprimeurs, passeurs et passeuses, institutions), elles rendent sensibles ses cadres de production et ses modes d’existence (support matériel, diffusion, valeur symbolique, rôle social, incidence politique, etc.)  ».

Se revendiquant du « réel » (là où la bande dessinée narrative relèverait de « l’imaginaire »), la bande dessinée spéculative est une démarche, davantage que l’accumulation d’oeuvres formant un corpus cohérent, par son trait, ses inspirations, ou tout autre signe artistique distinctif. En somme, elle revendique le déplacement du cadre habituel de nos conceptions de la bande dessinée : elle en interroge les codes, les conditions de production et de réception (tant personnelles qu’artistiques ou économiques), elle questionne la notion et le statut d’auteur (qui peut être collectif, aboli, fictif..), et l’objet livre lui-même.

Ric Remix

Ric Remix, par David Vandermeulen. Une longue séquence de Ric Hochet, découpée en cinq chapitres, est condensée en trois pages sur lesquelles le héros prend raclée sur raclée. Une façon de souligner la violence du récit et l’improbable résilience de Ric.

En posant un regard original sur le 9e art, les oeuvres exposés - une cinquantaine - interrogent ses frontières et ses conditions de subversion. C’est parfois dérisoire, souvent étonnant, et toujours divertissant. Florilège.

Les fameux Blow Books

L’invention peut être parfois une réinvention. En 1941, dans un contexte de restriction du papier, les formats des livres d’Alfred Mazure sont revus. Cette contrainte créative est l’enjeu des Blow-Books dont ActuaBD a déjà parlé. Plus petits, moins chers, ils sont vendus dans des distributeurs automatiques. Aujourd’hui, on y trouve des pizzas, pourquoi pas des BD ?

"Humpf !" par Jean Leclercq

Toujours dans le registre de la déconstruction, Leclercq réinterprète certaines cases de bande dessinée de manière expressive, et isolées de toute narration. Ici, Bobby Smiles, personnage de Tintin en Amérique. À partir de la même oeuvre, ci-dessous, Jochen Gerner, dans TNT en Amérique, « caviarde » les pages et n’en conserve que des fragments d’éléments graphiques et de mots-clés, faisant apparaître « les thèmes symboliques et la violence de la société américaine ».

"Noirs" par Ilan Manouach

Même histoire, même nombre de pages, même format, papier et grammage similaire, mais avec une différence : voici Les Schtroumpfs noirs imprimés avec une seule couleur, la bleue. Dès lors, pas de Noirs qui mordent des bleus, ni de Purple qui mordent des Blue : a-t-on enfin réglé les problèmes de racisme supposé chez les Schtroumpfs ?

"Un cadeau" par Florent Rupert et Jérôme Mulot (Ed. L’Association)

Récit de la dissection d’un cadavre, le livre doit être lui-même disséqué pour s’y plonger.

"Astro Boy (Tome 6)", par Corentin Garrido

Si le manga est conçu pour être lu rapidement, alors autant aller à l’essentiel... Ici, seules les marques de mouvement et de vitesse sont conservées.

The Dark Night Retunrs Book One (Ed. 5e Couche)

Rétif au livre numérique ? Cet ouvrage de transition, uniquement composé du code postscript de son édition numérique, ravira les puristes de l’édition papier. 352 pages à dévorer !

"Blanco" par Ilan Manouach

Un livre cartonné, composé de 48 pages blanches. Un format standard, industriel. Mais si la quintessence du 9e Art était dans cet objet vierge ?

(par Damien Boone)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

L’exposition est visible jusqu’au 21 mars à la LUCA School of Arts de Bruxelles (rue des Palais 70), du mercredi au vendredi de 14 à 17 heures. Un « finissage » est prévu jeudi 21 mars de 18h à 21h.

Photoss : Damien Booone

tout public Etude sur la BD Belgique Marché de la BD : Faits & chiffres
 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Damien Boone  
A LIRE AUSSI  
Collectors  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD