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L’éternelle actualité de Tintin

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 février 2024                      Lien  
Alors même qu’une double exposition « Tintin & Tchang » et « Hergé & l’art » démarre au musée des Arts asiatiques et à l'espace Lympia à Nice en ce moment (on vous en parle très prochainement), l’actualité tintinophile ne faiblit pas. En l’espace de quelques mois, ce sont pas moins de six publications : quatre essais, un « mook » de Géo et une édition « Princeps » des « Bijoux de la Castafiore », qui sont arrivés en librairie. Petit point d’étape.

La fin de l’année dernière avait ouvert le bal avec la magnifique publication des Bijoux de la Castafiore, une « anti-aventure » de Tintin, sans doute le chef d’œuvre d’Hergé, en tout cas l’album qui le fait entrer dans la modernité, publié dans « la version du Journal Tintin ».

« La version du Journal Tintin », kesaco ? On sait que l’histoire des Bijoux de la Castafiore avait été publiée à raison d’une planche hebdomadaire dans la revue des 7 à 77 ans, du 4 juillet 1961 au 3 septembre 1962. Or, en raison de la rapidité de la publication (les délais, les délais…), des ajouts rédactionnels d’accompagnement de l’œuvre (couverture du journal, les titrailles, les petits textes introductifs…), une floppée de documents et de petits changements de détail ont échappé aux tintinophiles les plus aguerris. Sans compter une mise en couleurs, quelquefois massacrée par l’édition en presse dont la colorimétrie n’était pas maîtrisée, qui est ici complètement restaurée à partir des « bleus de coloriage » originels. Rien que cela, c’est une incroyable friandise. Mais quand, en plus, on y trouve une introduction savante riche en documents en tous genres : sources graphiques, planches crayonnées, plan du château de Moulinsart et autres documents inédits, on sait que l’on tient là une édition « Princeps » aussi exceptionnelle que définitive. Et franchement, pour 16,95 €, on aurait tort de se priver.

L'éternelle actualité de Tintin

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Ce mois-ci, nous découvrons la dernière édition du Mook que Géo consacre à Tintin ces dernières années : Tintin, c’est l’aventure. Cette fois, c’est l’Amérique du Sud qui est explorée. Et de fait, de L’Oreille cassée à Tintin et les Picaros en passant par Le Temple du Soleil, Tintin a plus d’une fois foulé cette partie du continent vers lequel Hergé, au faîte de ses ennuis liés à la collaboration, avait envisagé un temps, selon le critique littéraire Pierre Assouline, de s’exiler. Au sommaire, la confrontation habituelle entre les magnifiques photos de Géo et les non moins magnifiques dessins d’Hergé, accompagnés de textes de qualité et d’une sarabande de documents et d’informations inédites ! Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Du côté des « contrebandiers »…

Passons maintenant à ce que nous avons nommé naguère « l’érudition en contrebande » qui fleurit depuis plusieurs années en dépit de l’oukase de TintinImaginatio (anciennement Moulinsart) qui interdit toute publication qui n’aurait pas son imprimatur. Elle aboutit à une multiplication d’essais sans aucune image d’Hergé (mais souvent avec de belles couvertures de Stanislas) dont le sujet principal est le dessinateur bruxellois et son reporter à houppette. On retrouve trois signatures bien connues de la gnose hergéenne : Pierre Fresnault-Desruelle, Patrick Mérand et Renaud Nattiez. Le quatrième impétrant, Mark Alizart, est moins connu.

Hergé et les Incas ou la malédiction déjouée – Une relecture du Temple du Soleil de Pierre Fresnaut-Desruelles (Ed. 1000 Sabords) mérite toute notre attention car Pierre Fresnaut-Desruelles n’est pas n’importe qui. Professeur émérite des universités, c’est un des premiers commentateurs d’Hergé (cinq ouvrages à son actif), en particulier dans le domaine de la sémiologie. Dans cet opuscule, il aborde les albums sud (et centre)-américains de Tintin en cherchant les références, mais aussi les « motifs » et les « fragments mythologiques » utilisés par Hergé dans ces œuvres majeures. Un must have.

Le livre de Patrick Mérand, lui aussi commentateur de longue date de l’œuvre d’Hergé (pas moins de dix ouvrages sur l’oeuvre à son actif !) est d’une tout autre ampleur. D’abord, c’est un beau livre, de grand format, comportant pas moins de 800 images qui viennent en miroir des vignettes des 23 albums de Tintin en contextualisant les sources historiques de l’œuvre avec une iconographie abondante. C’est érudit, remarquablement illustré, et même si les sujets ont été rebattus dans d’autres ouvrages, on a là une bonne synthèse qui devrait séduire un large public fan de Tintin.

Cet opus-ci est peut-être l’un des plus intrigants, du fait de son ambition : Dark Tintin – Par Mark Alizart (Les Nouvelles Editions Réveil). Ici, nous avons un philosophe qui rebondit sur une hypothèse de Benoît Peeters formulée dans sa biographie Hergé, fils de Tintin (Flammarion) : l’inceste dont aurait été victime, enfant, le célèbre dessinateur. Une thèse qui est confirmée et étayée plus loin par le scénariste des Cités obscures mais qualifiée de « délire psychanalytique » par Albert Algoud dans le dernier ouvrage de cette sélection. Le philosophe -en a-t-il les compétences ?- se fait enquêteur-psychanalyste pour déceler dans chaque album des indices qui signaleraient « une thérapie par le dessin ».

Enfin, il y a ce Demain Tintin ? – Entretiens avec « 7 fils de Tintin » par Renaud Nattiez aux éditions 1000 Sabords.

« Demain Tintin » avec un point d’interrogation. Est-ce à dire que le héros d’Hergé est une lecture d’un autre âge, à l’heure où nos jeunes têtes blondes - la couverture de l’ouvrage signée Stanislas est très explicite - se gavent de jeux vidéo, de réseaux sociaux, et de mangas ? Dans ce contexte, « peut-on être sûr de cette pérennité  ? » s’interroge Renaud Natiez. Les plus éminents commentateurs de l’œuvre d’Hergé : l’homme de télé Albert Algoud (8 essais sur Hergé au compteur), l’homme de théâtre Jean-Marie Apostolidès (récemment décédé, dont c’est la dernière interview, 4 essais hergéens), l’académicien Goncourt Pierre Assouline et premier biographe d’Hergé, l’hergéoloque en chef, ex-secrétaire général de la Fondation Hergé Philippe Goddin (13 essais et commentaires d’oeuvres), le tintinologue Jacques Langlois (2 ouvrages sur Tintin), le scénariste et critique Benoît Peeters (4 titres hergéens) et enfin le spécialiste de BD Numa Sadoul, auteur du premier livre d’entretiens avec Hergé (Casterman), y répondent et pensent majoritairement qu’au contraire la flamme hergéenne ne s’éteindra pas de sitôt.

Les questions de Nattiez sont précises et pertinentes, un même questionnaire servant aux différents intervenants : Quel est leur rapport à Hergé ? La plupart l’ont connu personnellement (quatre sur sept, selon la comptabilité de Nattiez). Là, chacun y va de ses souvenirs, de ses anecdotes, qui montrent souvent une admiration d’enfant, pour l’œuvre et pour l’homme.

Pourquoi ce succès ? C’est l’occasion pour nos hergéologues d’aligner les truismes. Que pensent-ils des différentes exégèses ? Cette fois, opportunité leur est donnée d’asséner un coup de griffe au voisin. Ils n’y manquent pas, se disputant sur chaque interprétation. Il y a aussi des jugements sur le rôle de l’ayant droit de Tintin Imaginatio (anciennement Moulinsart), alias Fanny Rodwell et son époux Nick, dans l’exploitation de l’œuvre depuis la disparition d’Hergé. Là aussi, chacun y va de sa petite expérience, la plupart signalant un abus laissant «  une image déplorable, atroce, de censeur » (Pierre Assouline).

Quant à l’avenir de Tintin, qualifié d’ « inusable » selon le philosophe Michel Serres ? Algoud est confiant et met en avant l’admiration d’auteurs plus jeunes comme Riad Sattouf comme preuve de sa transmission future. Apostolidès, comme la plupart, lui attribue la qualité de classique « comme Winsor McCay, Flaubert, Molière ou Shakespeare ». D’autres sont plus dubitatifs.

Au total, cela nous donne un joli exercice de « métatintinologie » (le vocable a été forgé par Olivier Roche dans Tintin - Bibliographie d’un mythe - Les Impressions nouvelles, 2014), ou, selon Pierre Assouline, de « panthéonisation ». De là à ce que cela donne des idées à un certain président en exercice, il n’y a qu’un pas…

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN : 9782494744127

1000 Sabords Casterman Moulinsart Etude sur la BD
 
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4 Messages :
  • L’éternelle actualité de Tintin
    22 février 20:36, par Toledano

    Avec l’exposition « Tintin & Tchang » à Nice, on sait où Colonnier va faire ses prochaines dédicaces !

    Répondre à ce message

  • L’éternelle actualité de Tintin
    22 février 20:45, par Jacques Langlois

    Cher Didier,
    Attends de lire mon « Hergé et le carnet oublié » à paraître fin mai ! On en parle quand tu veux…
    Amitiés

    Répondre à ce message

    • Répondu par Patrice Guérin le 22 février à  22:48 :

      ... sans oublier mon "Tintin au-delà des idées reçues" à paraître dans une semaine aux Impressions nouvelles, et dont je vous avais touché deux mots à "BD Boum", au cours d’une longue discussion entre tintinophiles :-)
      Amitiés (et bises à Jacques !).

      Répondre à ce message

  • L’éternelle actualité de Tintin
    22 février 20:52, par Gina Vanilla

    Edités par 1000 Sabords, donc le type qui donne son avis sur tout sur actuabd ?
    Comme le monde est petit !

    Répondre à ce message

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