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Cinq choses que nous avons apprises lors de la dernière rencontre entre acteurs français et coréens de webtoons

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 juillet 2023                      Lien  
Jeudi dernier a eu lieu la 3e rencontre K-Story & Comics in Europe organisée par la KOCCA, organisme représentatif des entreprises culturelles coréennes en Europe. L’objectif était de se faire rencontrer les principaux acteurs du Webtoon en France avec quelque 15 entreprises coréennes spécialisées dans le contenu numérique dans un contexte qui est celui d’une présence sur le marché français des deux leaders coréens et mondiaux du webtoon : Naver, au travers de son application Webtoon, et Kakao, au travers de son application Piccoma. Des tycoons puissants face auxquels les acteurs français s’emploient à trouver une stratégie appropriée.

La première intervention de la journée s’intitulait « L’Etat des lieux et évolution des contenus numériques en Europe » par Ainara Ipas qui dirige ONO, la plateforme de contenus numérique de Média-Participations, le leader de la BD en Europe. Son intervention nous a tous scotchés.

Cinq choses que nous avons apprises lors de la dernière rencontre entre acteurs français et coréens de webtoons
Ainara Ipas (Ono) détaillant l’évolution du contenu culturel numérique en Europe lors de l’événement K-Story & Comics in Europe

Dans le descriptif qu’elle a fait des enjeux mondiaux du secteur, nous avons appris cinq choses :

1. Dans le domaine du contenu culturel numérique, les plus grands acteurs mondiaux ont les couteaux tirés mis en appétit par le succès de la percée coréenne dans les webtoons. Pour rappel les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) pèsent lourd : Facebook a 300 millions d’utilisateurs en Europe ; Kindle, la liseuse d’Amazon contribue à ce que 30% des européens (très peu de Français…) lisent des livres sur leurs écrans ; Netflix est leader dans le streaming vidéo avec ses 64 millions d’abonnés en Europe.

Mais quelques Européens tirent leur épingle du jeu. Le Suédois Spotify est leader du marché européen du streaming musical (60% des Européens consomment la musique de cette façon). Le Français Ubisoft est leader européen des jeux vidéo (60% des Européens jouent en ligne, chiffre en croissance). Enfin, Audible, producteur de livres audio dont le marché a progressé de 25% l’année dernière.

2. Les Français sont déjà très consommateurs de produits numériques. En France, sur ses 66 millions d’habitants, 107 % de la population a un smartphone et 2 millions d’entre eux sont déjà lecteurs de webtoons. 93% sont connectés à l’Internet et 80% consultent quotidiennement des réseaux sociaux. Les Français passent en moyenne 5h26 par jour sur leur smartphone, ils ont téléchargé plus de deux milliards d’applications et dépensé 2,25 milliards de US$, ce chiffre ayant augmenté de 9% en un an. Le marché français est donc mûr pour accueillir les webtoons.

3. TikTok, le phénomène. Si on regarde le temps passé sur les écrans, les Français regardent des feuilletons et des films 3h30 par jour, passent 1h55 sur les réseaux sociaux. Facebook (73%), Whatsapp (59%), Instagram (58%) sont nos favoris. La vidéo sur demande a été multipliée par 10 en six ans avec Netflix en tête (25M abonnés en France), suivi par Amazon Prime, en route pour dépasser Netflix (c’est déjà le cas en Allemagne), puis Disney+. Mais le phénomène, c’est TikTok (21h par utilisateur par mois, ils ont gagné 7 millions d’utilisateurs les 12 derniers mois), écrasant largement Facebook (12h), YouTube (11h), Instagram (8h) et Whatsapp (5h). Les vidéos d’influenceurs (17% des Français en regardent) sont en croissance de 7% par rapport à l’année précédente.

4. Il y a 6,5 millions de lecteurs de mangas en France (un Français sur dix !). Ils ont généré en 2021 plus de 330M€ de chiffre d’affaires. Cela confirme que la France est largement ouverte à la culture étrangère. On aimerait que ce soit réciproque.

5. Avant l’arrivée des webtoons, la BD numérique, c’était 1% du marché français du livre. Dans le monde, le chiffre d’affaires des webtoons a été multiplié par quatre depuis 2019, avec un CA de 3,7Mds US$ (dont 25% pour la Corée, le reste à l’export). Il devrait être multiplié par 7 d’ici 2028 pour culminer à 26,2 Mds US$.

L’avantage technologique des Coréens -cela a été exprimé dans la table ronde qui a suivi les conférences- est de s’organiser en studio alors que les Européens s’organisent en atelier, mettant en avant leur condition d’auteur. L’effacement relatif de l’auteur dans cette pratique industrielle a inquiété les créateurs présents. Ils n’ont pas manqué de le faire savoir à leur interlocuteurs coréens.

Les acteurs français du webtoon ont pu converser avec leurs homologues coréens, en présentiel et en distanciel.

La divergence réside dans une différence fondamentale d’approche : l’auteur européen voit l’horizon du livre, voire du film ou du jeu vidéo qui peut en être tiré. Les Coréens raisonnent plutôt en termes d’I.P. (Intellectual Property), c’est-à-dire un objet déclinable à 360° mobilisant des énergies variées et pouvant trouver sa voie dans diverses formes : la novélisation (K-Story), le webtoon, le dessin animé, le film live, la série TV, le jeu vidéo, le livre enfin.

En conclusion, même si l’on a l’impression qu’une deuxième vague asiatique est en train de nous submerger après celle des mangas, il n’y a pas de fatalisme. Ainsi, le Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, qui ronronnait gentiment sur les étagères de son éditeur depuis des décennies, est devenu avec son adaptation coréenne – Snowpiercer, un film puis un feuilleton TV à succès- un phénomène mondial. En essayant de comprendre les pratiques des autres cultures et en les adaptant à nos propres valeurs, on peut trouver des opportunités qui maintiendront l’Europe parmi les grands acteurs culturels de demain.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Photos : D. Pasmaonik (L’Agence BD)

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2 Messages :
  • "En France, sur ses 66 millions d’habitants, 107 % de la population a un smartphone"

    Je m’attendais à tout, sauf à un tel chiffre.

    Sept énorme !

    Répondre à ce message

  • La divergence réside dans une différence fondamentale d’approche : l’auteur européen voit l’horizon du livre, voire du film ou du jeu vidéo qui peut en être tiré. Les Coréens raisonnent plutôt en termes d’I.P. (Intellectual Property), c’est-à-dire un objet déclinable à 360° mobilisant des énergies très diverses et pouvant trouver sa voie dans diverses formes : la novélisation (K-Story), le webtoon, le dessin animé, le film live, la série TV, le jeu vidéo, le livre enfin.

    Intellectual property en français, ça se dit propriété intellectuelle.

    Oui, la divergence d’approche est fondamentale !
    Les français ont tendance à penser adaptation d’une bande dessinée en série animée ou en film plutôt que l’inverse. Dans ce sens, c’est une consécration, dans le sens inverse, c’est bassement mercantile. C’est un préjugé mais difficile de s’en débarrasser.
    La vision de la déclinaison d’une œuvre est d’abord pensée comme "intermédia" avant d’être envisagée comme "transmédia". Intermédia : traduction/ adaptation d’un médium à un autre. Comme si une "chronologie des médias" était obligatoire. Le livre doit d’abord être adapté en film ou/et série TV puis en produits dérivés et jeux vidéo. Cette vision du monde est le fruit du concept de droit d’auteur… Il faudrait des heures pour exposer ce processus.
    Les coréens comme les britanniques et les nord-américains pensent copyright. Une propriété intellectuelle est d’emblée une œuvre transmédiatique. une propriété intellectuelle est d’abord un prototype de protoytpes. Une entreprise à elle toute seule. par conséquent, un produit dérivé n’est plus dérivé mais une partie intégrante de l’œuvre. C’est une autre conception intellectuelle, un autre paradigme culturel. Essayez de le faire rentrer dans le crâne des français, ça vous prendra au mieux quelques décennies !

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