Le 14 mars 2010 s’ouvrait en fanfare à Montréal, au Québec, une galerie de vente d’originaux d’auteurs de BD qui ne cachait pas son ambition.
Son fondateur, Laurent Imbert, passionné de bandes dessinées et lui-même collectionneur, souhaitait "rendre plus accessible l’achat d’originaux et faire connaître le travail des auteurs québécois sur le marché européen." Une filiale s’ouvrit dans la foulée à Paris, près du Village Saint-Paul, et un point de vente devait s’ouvrir à New York en 2012...
Un bon nombre d’auteurs (le site de la galerie en affiche pas moins de 122 et la galerie de Paris en annonçait 190 à ses clients), illustrateurs et auteurs de BD ou de comics, signèrent avec ce nouvel arrivant, parmi lesquels des auteurs français et belges aux noms prestigieux. La passion était de mise. Les prix allant de 40 à quelques milliers d’euros, il y en avait pour toutes les bourses.
Las, un an plus tard, la galerie parisienne ferme sans crier gare à l’automne. Des rumeurs commencent à circuler, des auteurs, paniqués par cette fermeture sans préavis, se plaignent de factures impayées, de retours d’exposition non rendus... Certains en ont au-delà de 15.000 euros de créance. On imagine le séisme...
Voici quelques jours, c’est au tour des Québécois de trouver la porte de la galerie inexplicablement close. Le fondateur de la galerie, Laurent Imbert, évoque même, selon nos informations, la possibilité d’un dépôt de bilan après avoir tenté pendant plusieurs mois de sauver son entreprise...
Certains auteurs se fédèrent afin de protéger leur créance. Dans un domaine aussi spéculatif que celui-ci, la réputation est très importante. On se demande comment M. Imbert va pouvoir remonter la pente...
La prudence est de mise
Cette histoire donne un éclairage un peu cru sur le commerce, pour certains florissant, des originaux d’auteurs de bande dessinée. Il faut déjà distinguer le galeriste du marchand. Le galeriste fait des expositions temporaires (on connaît celles, toujours brillantes, de la galerie Martel à Paris), le marchand -c’est le cas de la Galerie Maghen ou de Petits Papiers- dispose d’un stock permanent qui se compte parfois en milliers de planches.
De plus en plus, la vente des originaux s’inscrit comme un complément de revenus pour de nombreux auteurs de bande dessinée. Là encore, les disparités sont énormes. On voit régulièrement de jeunes auteurs vendre un album entier à 200 euros la planche (une très mauvaise idée), alors que certaines ventes publiques affichent des planches d’Hergé, de Bilal ou de Druillet à plusieurs dizaines de milliers d’euros.
C’est que, certains auteurs ont une valeur, d’autres jouissent d’une cote...
L’établissement de cette cote est une chose difficile et c’est souvent le rôle du galeriste -qui détient un portefeuille conséquent de collectionneurs- d’établir l’intérêt du marché pour un artiste. Cela passe par une relation de confiance particulière avec son marchand, une relation qui s’étend parfois sur de nombreuses années.
Quelques conseils utiles
L’épisode malheureux de La Gallery est exemplaire d’une séquence qui peut fortement l’ébranler, ce marché. Notamment parce qu’un grand nombre de planches risque de surgir de façon chaotique sur le marché en cas de liquidation.
Comment faire confiance à un marchand ? Sur quels critères ?
Consultant un auteur professionnel qui a quelques années d’expérience de ces pratiques, celui-ci a bien voulu dispenser quelques conseils aux auteurs qui nous lisent :
Renseignez-vous auprès de vos collègues les plus anciens et les plus respectés. S’étant refusé à un galeriste pendant des années, cet auteur a fini par le rejoindre sous le conseil de deux de ses collègues réputés qui travaillaient avec lui. Il n’a eu, depuis, qu’à s’en féliciter !
Établissez un contrat régissant votre relation au galeriste. Celui-ci vous protègera en cas de bisbille. Une clause de "réserve de propriété" mise au contrat vous prémunira contre une saisie du stock par un créancier de la galerie car, en matière d’œuvre d’art, malheureusement, à défaut de contrat, "possession vaut titre."
Exigez que vos planches soient assurées au prix de vente fort en cas de sinistre (vol, incendie, dégât des eaux...). Obtenez une copie du contrat d’assurance.
Établissez une liste bien identifiée avec des "prix de réserve" minimum au cas où une planche ou un dessin viendrait à manquer dans l’inventaire.
Ne vendez jamais un original sans un certificat de garantie. Cela rassurera l’acheteur et établira la traçabilité de l’origine de l’œuvre.
Fixez une date butoir de restitution et une durée de détention. D’une manière générale, il n’est pas valorisant de laisser vos planches en dépôt. Si le galeriste en veut en stock, il peut toujours investir dans un ou deux originaux sans vous laisser porter le poids du risque.
Si vous avez une certaine notoriété, n’hésitez pas à exiger une avance. C’est parfois la meilleure des garanties.
Avec ces quelques conseils, les auteurs qui nous lisent devraient pouvoir faire leurs petites affaires sans encombre.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. pasamonik (L’Agence BD)
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