Fille d’alcoolo - Par Camilla Gallapia - Ed Larousse

De nombreux héros de BD ont un rapport difficile à l’alcool (le capitaine Haddock, Canardo, le personnage du juge dans l’album éponyme de la série Lucky Luke, le soldat romain dans le Bouclier Arverne de la série Astérix…). Loin de constituer un problème, la consommation d’alcool y sert de simple ressort comique ou dramatique.

Reconnu comme maladie depuis 1978 par l’Organisation Mondiale de la Santé, l’alcoolisme concernerait aujourd’hui 4,1 % de la population mondiale (source : OMS).

Devant l’ampleur du phénomène, les bonnes intentions ne suffisent pas pour faire une bonne BD. Pourtant, parmi les divers titres publiés sur le sujet, certains parviennent à se démarquer.

Le diable sortant de sa boîte

Récit en noir et blanc pour témoigner d’une enfance, victime collatérale de l’alcoolisme.

Avec les récits autobiographiques Les Imbuvables de Julia Wertz (Editions de L’Agrume) ou Fille d’alcoolo, le propos est bien celui de l’alcoolisme au féminin dans toutes ses dimensions : difficultés pour s’en sortir, rechutes, conditions de vie, changement de comportement, impact sur les proches… On est très loin de l’image glamour de la coupe de champagne ou du grand cru viticole bus dans un verre en cristal, véhiculée par certains romans, séries télévisées ou films.

Camille fête ses 40 ans et souffle les deux bougies de son gâteau. Seize ans déjà depuis le décès de sa mère. Qui était-elle à cet âge ? Et à 30 ans ? Qui était-elle, avant l’alcool ?

Dans ce roman graphique, Camilla Gallapia revient sur l’histoire de sa mère, née à Marrakech d’un père militaire français et d’une mère fille d’immigrés espagnols. Sa mère aura des relations avec ses parents qui ne lui permettront pas de gagner estime et confiance en elle-même. Peut-être un début d’explication à la chute future.

Comment l’alcool s’est-il infiltré dans sa vie ? Comment a-t-elle essayé de s’en sortir ?

Pourquoi ? Qu’est-ce qui déclenche l’alcoolisme ?

Une ado puis une adulte, face à une question qui restera sans réponse. Pourquoi sombre-t-on dans l’alcool ? Quand et pourquoi cette mère a-t-elle commencé à boire ?

Camilla raconte le poids de ce secret sur son enfance ; la honte et le désarroi qui l’accompagnaient au quotidien, ainsi que ses vaines tentatives pour encourager sa mère à soigner son alcoolisme.

Quelle adolescence pour la fille d’une alcoolique ? Ne pas pouvoir inviter une copine à la maison, chercher les bouteilles, garder le secret...

Avec ce récit fort et poignant auquel beaucoup s’identifieront, Camilla Gallapia a à coeur d’aider celles et ceux qui ont été touchés par l’alcoolisme d’un ou d’une proche, et de leur montrer qu’il est possible de se libérer d’une histoire qui n’est pas la leur.

Le graphisme en noir et blanc colle au sujet. Les choix visuels sont souvent forts : pleine page pour faire toucher du doigt la sensation de chute (page 119), phylactères avec un fond noir, peu de décor et personnages n’occupant qu’une partie des cases, absence de cases également...

Une maman très fatiguée...

Des choix graphiques forts pour traduire la situation et le ressenti de l’adolescente. Mélange de honte, de volonté de comprendre et d’aider.

Le texte participe à la réussite de cette BD en étant souvent percutant :
 « Mais une fois que j’ai su, j’ai vu. Les yeux hagards, la bouche molle, les mains qui tremblent, les pieds qui butent sur le sol » (page 44)
 « et j’avais honte de moi... d’avoir honte d’elle » (page 95)
 « J’essayais de la motiver à sortir, de la raccrocher au monde des vivants » (page 156)

Un témoignage des plus nécessaires sur une maladie qui ruine des vies.