Franklin. Les prisonniers de l’Arctique - par Michel Durand - Glénat

Greenhithe, sur les bords de la Tamise, 19 mai 1845. Deux puissants navires, l’Erebus et le Terror, vétérans victorieux d’une précédente expédition polaire, rééquipés avec le matériel le plus performant de l’époque, appareillent sous le commandement du capitaine John Franklin. L’objectif de cette nouvelle expédition est de trouver le passage du Nord-Ouest, qui permet de gagner le Pacifique en passant par le nord du Canada. Début août, des baleiniers croisent les deux navires s’apprêtant à traverser le détroit de Lancaster. Nul Européen ne reverra jamais plus Franklin et ses hommes.

Des expéditions de secours sont organisées, en vain. Le sort funeste des explorateurs est confirmé dès les années 1850 avec la découverte de premières tombes. Il fallut néanmoins attendre les années 1980 pour qu’une série d’enquêtes archéologiques permette d’étudier les sépultures connues et de lever une partie du voile sur le mystère, avant la découverte en 2014 et en 2016 des épaves de l’Erebus et du Terror. Tous les membres de l’expédition ont péri, victimes des maladies et du froid.

Au scénario et au dessin, Michel Durand (Cuervos, Espèce(s),...) propose un récit extrêmement prenant, nourri aux meilleures sources. Si les grands traits du drame sont connus grâce à une note manuscrite découverte sur l’île du roi Guillaume, on ne saura jamais ce qui s’est réellement joué sur les deux navires, pris par les glaces, entre 1845 et 1848. Dan Simmons, dans son roman Terror (2007), adapté en série TV en 2018, avait fait le choix d’intégrer un élément fantastique à cette histoire. Rien de tout cela chez Michel Durand qui utilise les diverses traces laissées par l’expédition pour recomposer un déroulement cohérent du drame avec des rebondissements imaginaires, mais plausibles.

Les personnages essaient de s’accrocher, chacun à leur façon, à la vie, glissant inexorablement, les uns après les autres, dans la folie du fait de la maladie et de la malnutrition. Ce voyage au bout de l’horreur fait penser au film Aguirre (1972) de Werner Herzog, le capitaine Franklin n’étant pas sans rappeler le conquistador halluciné joué par Klaus Kinski, mais aussi, pour rester dans le 9e art, au récent Vanikoro de Patrick Prugne consacré à la disparition des membres de l’expédition La Pérouse à fin du XVIIIe siècle. Sauf qu’ici ce n’est pas l’enfer vert qui engloutit ces hommes perdus, mais un redoutable enfer blanc superbement dessiné par Michel Durand.

Il faut saluer ici l’apport du magnifique travail d’Alexandre Boucq sur les couleurs. Les ciels et les différentes teintes de la glace sont particulièrement bien rendus. Tout l’album baigne dans une atmosphère crépusculaire qui plonge le lecteur au cœur de cette inexorable tragédie. L’album est complété par un cahier documentaire rédigé par Stéphane Dugast, illustré d’un riche ensemble de cartes et de documents d’époque.