Haut lieu de l’architecture bruxelloise, la Maison Autrique est un des bijoux de l’Art nouveau conçu par l’architecte Victor Horta, restaurée et réhabilitée avec son mobilier du début du XXe siècle. Les passionnés de bande dessinée connaissent d’ailleurs le lieu présent dans les albums de Benoît Peeters et François Schuiten, Les Cités obscures. Les deux auteurs ont également conçu la scénographie originale de l’habitation. Autre acteur lié à la bande dessinée : Etienne Schréder, contributeur essentiel du retour de Blake et Mortimer, est l’administrateur de la Maison Autrique depuis 2008.
C’est d’ailleurs lui qui a l’idée de cette exposition temporaire consacrée au maître fantastique flamand Raymond Jean Marie De Kremer, alias Jean Ray, un auteur culte du genre fantastique. Il l’avait initialement cantonnée à son roman le plus connu : Malpertuis (1943). L’ambiance de la Maison Autrique convient effectivement à l’atmosphère particulière de l’auteur des meilleurs récits d’Harry Dickson, des Contes du Wisky ou de La Cité de l’indicible peur. Malpertuis doit notamment sa notoriété à l’adaptation cinématographique qu’en a tiré Harry Kümel (1971) avec Orson Welles au générique, rien que ça !
Les grande affiches du film donnent le ton dès l’entrée de la Maison, introduction aux exemplaires des nombreuses éditions du roman dont les couvertures saisissantes et mystérieuses des éditions successives constituent un fil rouge au gré des étages.
En gravissant les escaliers, on découvre de très belles photographies de la célèbre adaptation cinématographique, des "shoots" des plateaux qui rappellent sa distribution prestigieuse car outre Welles figuraient aussi : Susan Hampshire, Michel Bouquet, Mathieu Carrière, Jean-Pierre Cassel ou encore... Sylvie Vartan. Johnny Hallyday, alors marié à l’actrice, fait même une courte apparition dans le film !
L’évocation de ce chef d’œuvre ne se limite pas aux photographies de tournage : de nombreux grands dessins des costumes des acteurs et actrices adornent les entresols et les plain-pieds de la demeure bruxelloise. De quoi faire travailler son imagination en se rappelant les moments emblématiques du roman.
Jean Ray, scénariste de bande dessinée
Même si cette thématique de Malpertuis aurait suffi à nourrir cette exposition, celle-ci, heureusement, s’intéresse au personnage pluriel et un brin fantasque qu’était Jean Ray. Au premier étage, un étonnant film est projeté sur un des murs du salons. Mis en scène par Henri Vernes (Jean Ray fut son mentor !), l’auteur de Bob Morane se livre à la caméra dans un décor historique et un poil angoissant. Et de nous faire découvrit l’incroyable personnage qu’était l’écrivain, aussi talentueux que prolifique, écrivant aussi bien en français qu’en néerlandais (il signait le plus souvent ses récits flamands du pseudonyme de John Flanders), multiple dans ses approches, mais également le premier romancier de sa propre légende.
Le dernier étage de la Maison Autrique est consacré précisément à la bande dessinée. En effet, on connaît les différentes adaptations BD du célèbre détective Harry Dickson. Initialement le traducteur francophone des premiers récits de cette série feuilletonnante, Jean Ray les avait progressivement réinterprétés à sa sauce, avant de les écrire du début à la fin, en s’inspirant uniquement des illustrations de couverture. Désirant maintenir une unité temporelle dans les pièces présentées, Paul Herman, le commissaire de l’exposition, a choisi de ne pas présenter des extraits des adaptations, mais les très belles illustrations des couvertures originales qui attireront immanquablement l’œil du visiteur.
L’arbre qui cache la forêt
Harry Dickson retient bien évidemment l’attention de l’amateur de bande dessinée, mais l’exposition passe rapidement outre cette référence immanquable, pour se consacrer à l’incroyable travail réalisé par Jean Ray comme auteur de BD pendant des décennies, un aspect que le visiteur n’imaginait sans doute pas. Il est concrétisé par les adaptations d’Edmund Bell par René Follet, mais surtout par de nombreuses collaborations directes pour divers magazines de l’époque : Bravo !, Petits Belges, Le Journal Tintin et bien d’autres !
De salle en salle, de couvertures en pages intérieures de magazines, on passe en revue des récits illustrés et des bandes dessinées dont on n’imaginait pas l’ampleur. En effet, comme Jean Ray a multiplié les pseudonymes tout au long de sa vie, les signatures de ces courts récits et nouvelles nous étaient inconnues. À l’arrivée, on découvre l’incroyable contribution de Jean Ray au 9e art.
Saluons donc cette excellente initiative de la Maison Autrique pour cette passionnante rétrospective qui comprend également des objets ou des lettres manuscrites de l’écrivain, un parcours passionnant que cette visite qui demande quand même deux bonnes heures.
Et un coup de chapeau à son commissaire Paul Herman qui, non content d’avoir été éditeur chez Marabout au moment où Jean Ray était remis au goût du jour, reste un érudit du neuvième art, mais pas seulement : d’où ces intelligentes et nombreuses passerelles entre la littérature, le cinéma, et la bande dessinée !
(par Charles-Louis Detournay)
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Exposition "Fantastique Jean Ray" à la Maison Autrique à Bruxelles
Jusqu’au 26 mai 2019
Du mercredi au dimanche de 12h à 18h
Textes de l’exposition à télécharger ici
Un livret-jeu est proposé aux enfants pour une visite ludique, et pour en apprendre plus sur l’écrivain et sa production foisonnante (en FR, NL et EN). Ce livret jeu en famille (disponible gratuitement à l’accueil du musée) est à feuilleter ici
Ce samedi 4 mai à 10h et à 14h, une balade contée " Si Jean Ray m’était conté " est proposée aux familles sur inscription. A partir de 8 ans. (Plus d’informations sur le site web : www.autrique.be).
Photos : Charles-Louis Detournay.
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