Depuis plusieurs mois, fait incroyable dont Laurent Boileau vous avait déjà parlé dans nos pages, la BD a son émission de télé. Une idée originale à mettre à l’actif du directeur de la chaîne Jean-Pierre Elkabbach qui avait accepté une première édition à l’occasion d’Angoulême où le gratin de la BD qui fait parler d’elle était invité : Tardi, Joann Sfar, Marjane Satrapi, Moebius, Jacques Ferrandez,... Jean-Pierre Elkabbach, en néophyte ravi, posait les questions. Il y eut, dans cette édition inaugurale, un moment étonnant où le célèbre journaliste à qui Georges Marchais avait demandé de se taire, somma à son tour le facétieux Joann Sfar d’arrêter de dessiner tout le temps ! La qualité des propos échangés fut telle que le patron de la chaîne mandata son conseiller BD, Jean-Philippe Lefèvre, d’en faire une émission régulière. Depuis, tous les quinze jours, la BD est présente à la télé. Un rendez-vous inimaginable jusque là.
ACTUABD : Comment avez-vous réussi à imposer une émission régulière de BD sur Public Sénat ?
Jean-Philippe Lefèvre : En Septembre 2003, mon patron Jean-Pierre Elkabbach m’avait nommé responsable de l’antenne de Public Sénat alors que j’étais journaliste reporter d’images. Le poste consistait à préparer notre arrivée sur la TNT en tentant au maximum d’améliorer l’antenne de la chaîne. Dans ce cadre, je lui proposais chaque semaine des idées différentes sur les émissions, sur ce qu’il fallait changer ou faire évoluer. Un jour, je lui propose de diversifier son émission littéraire « Bibliothèque Médicis » sur des thèmes qu’il n’avait pas encore explorés. Ainsi, je lui propose une « spéciale BD ». Au départ, il ne m’a même pas répondu, c’est devenu un jeu pendant plusieurs mois, je lui proposais chaque semaine la même émission et au bout de dix mois il m’a dit « banco », mais à la condition que je la prépare à ses côtés avec mon confrère de l’époque Cyril Zha. On a donc fait venir le gratin de la BD : Moebius, Tardi, Sfar, Satrapi, Ferrandez, que du beau monde pour une émission dont on a eu énormément d’échos tant en retour presse qu’en retour téléspectateurs.
Deux mois après,(Janvier 2005) alors que l’on n’en parlait plus, Jean-Pierre Elkabbach annonce en conférence de presse, devant une foule de journalistes, que j’allais présenter une émission consacrée à la BD... Le petit problème c’est qu’il ne m’avait pas mis au courant !
Ainsi est née Un Monde de Bulles. Le titre de l’émission est celui que j’avais trouvé pour celle de la Bibliothèque Médicis consacrée à la BD trois mois auparavant.
Comment fonctionne l’émission, quel en est le concept ?
Le concept de l’émission, c’est donner enfin au Neuvième Art un espace de parole en télévision. L’émission est simple, des invités, des sujets, trois formats d’émission, 15’, 26’ ou 45’ minutes pour mettre un visage sur un nom. Combien d’auteurs de BD, même très célèbres, peuvent se balader dans la rue sans être reconnus ! L’émission, et j’y tiens, est aussi une émission d’amateurs de BD et non pas de professionnels, je ne me considère pas comme un professionnel de la BD, je m’y connais un peu mais sans plus, je vis surtout la BD à travers des coups de cœur. Je ne suis pas là pour philosopher sur un scénario ou un coup de crayon, les artistes que je reçois ou que je vais rencontrer sont des artistes que j’aime.
Quel retour en avez-vous en terme de notoriété, d’audience ?
En terme de notoriété, c’est la TNT [1]qui nous apporte la plupart des retours car on touche un public beaucoup plus large qu’avant, tant sur le fond que sur la forme. Lorsque nous faisons un concours pour gagner un dessin ou une lithographie, les retours viennent des quatre coins de la France et j’avoue que c’est très enthousiasmant.
Évidemment, une émission BD sur Public Sénat, c’est étonnant au début, mais c’est finalement logique par rapport à notre désir permanent d’innover et de proposer des émissions qui n’existent pas ailleurs. Peu de gens savent que nous avons la seule émission consacrée au handicap, que nous avons la seule émission de débat pour les enfants, que nous avons tous les soirs une talk-show en direct...
Concernant les chiffres précis de l’audience nous ne les avons pas, car cela coûte 200 000 euros pas an de les connaître, et nous préférons investir cet argent sur nos programmes et l’équipe.
La BD ne dispose pas d’émission régulière sur les autres chaînes, même sur les câblées. Comment expliquez-vous cette situation ?
Je ne sais pas, je ne comprends pas. Ce qui peut s’expliquer c’est l’âge des patrons de chaînes qui ne sont pas d’une génération baignée par la BD et pourtant... Mon père qui a 60 ans est un fana de Tintin et c’est Tintin qui lui a donné envie de devenir Grand Reporter, alors... Je pense que, peut être, les chaînes aujourd’hui ne veulent plus prendre aucun risque, car il faut faire de l’audimat et de l’argent, alors la BD peut faire peur. Et puis, il y a sans doute cet esprit des « pseudo-intellectuels » qui dirigent certaines chaînes de TV et qui considèrent la BD comme un art mineur... C’est très triste, surtout quand on voit certaines émissions dites "littéraires", et qui donnent surtout envie d’aller se coucher.
Votre formule va-t-elle évoluer ?
La formule, je l’espère, va évoluer vers plus de temps. Cet été par exemple, nous aurons quatre émissions de 26 minutes et deux de 45 minutes sur des thèmes très différents. Alors, ceux qui aiment la BD sont les bienvenus sur Public Sénat, et s’ils ne reçoivent pas la chaîne, ils peuvent suivre l’émission sur le Net en direct sur le site de la chaîne www.publicsenat.fr. Tous les horaires sont sur le site et sur le blog de l’émission : unmondedebulles@over-blog.net.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Jean-Philippe Lefèvre. Photos : © D. Pasamonik.
[1] La TNT ou Télévision Numérique Terrestre est une révolution dans le paysage audiovisuel français, longtemps cantonné aux chaînes hertziennes. Pour en faire la promotion, le gouvernement a autorisé la diffusion de 18 chaînes gratuites, parmi lesquelles la chaîne parlementaire « Public Sénat ». Trouvez plus d’infos sur la TNT, en cliquant sur ce lien.
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