Après Ushijima - L’usurier de l’ombre, Shôhei Manabe revient aux éditions Kana avec un nouveau titre Kujô l’implacable. Un univers tout aussi noir attend le lecteur dans ce nouveau manga avec des personnages à la moralité douteuse.
Taiza Kujô est un avocat qui n’hésitera pas à « défendre » un homme qui a percuté un humain alors qu’il conduisait en état d’ivresse. Il reçoit régulièrement des clients douteux qui font des affaires illégales. Pourtant, il est aussi capable de représenter un jeune porteur de handicap forcé de vendre de la drogue par un homme méprisable. Tout est loin d’être noir, après tout la loi est aveugle. Pour Kujô, le client n’est pas si important que ça... ce qui compte, c’est d’avoir la meilleure ligne de défense.
Avant tout, il faut présenter le personnage central de l’histoire : Taiza Kujô. Aussi énigmatique que possible, Maître Kujô est un avocat qui ne montre pas de scrupules. Pour lui la morale et la loi sont deux choses distinctes. Tant qu’il y a une faille dans la loi, il fera tout son possible pour aider son client qui peut être ce que l’humanité a fait de pire. Ce qui est étonnant, c’est que le profit ne l’intéresse pas. D’ailleurs, il reverse presque tout son salaire à son ex-femme qui élève sa fille. Il est donc loin de vivre dans le luxe et habite dans une tente sur un toit. Une situation personnelle qui fait se poser des questions et donne envie de comprendre son fonctionnement. Un personnage qui est dur à apprécier et à détester tant ses actions sont perturbantes. Il nous rappelle ces avocats qui sont prêts à défendre jusqu’au bout des clients moralement indéfendables car tout le monde a le droit d’être défendu selon la loi.
Il est intéressant de relever que ce premier tome se concentre davantage sur les clients de Kûjo que sur l’avocat. Les personnages qui ont le plus d’apparitions sont les clients et divers voyous. Cette narration donne la chance de comprendre mieux la psychologie de certains protagonistes, surtout Sogabe qui est le bouc émissaire d’une brute. En tant que lecteur, on ressent donc de l’indignation. Par exemple, un parallèle est fait entre des victimes d’un accident de voiture dont les vies sont détruites et le responsable qui dort paisiblement.
Shôhei Manabe dépeint avec justesse et réalisme la noirceur humaine. Il nous donne un goût d’injustice, ce qui peut perturber, en représentant une loi qui est loin d’imposer à ceux qui sont en tort de dédommager convenablement les victimes. C’est une chose que l’auteur sait mettre en avant, notamment avec la première affaire. Il y a un vrai fossé quand un plaignant ne connait pas la loi et n’est pas représenté. Même si les torts subis sont avérés, il faut l’aide d’un bon professionnel pour avoir une vraie réparation. Ceci est difficile quand la famille est pauvre et n’a pas de contacts
Au niveau du style de dessin, l’auteur se démarque par son réalisme et l’utilisation de prises de vues réelles en photographies. Une esthétique qui lui est propre et qui fait ressortir le pire des personnages, rendant l’intrigue plus réelle. Les décors sont souvent travaillés et détaillés.
Même si certains pourraient apprécier le style graphique de Shôhei Manabe, celui-ci ne m’a pas convaincu. Certaines expressions de visage paraissent peu naturelles et robotiques. Un sentiment de froideur se dégage aussi des planches.
De plus, il est difficile de voir un fil conducteur dans l’histoire pour le moment. En effet, nous suivons Kujô et les clients qui font appel à lui mais chaque affaire est indépendante des autres. La formule adoptée peut-être redondante sur le long terme.
Finalement, l’univers proposé par le mangaka est intéressant du point de vue de la réflexion. Après tout, la déontologie de la justice permet aux pires individus d’avoir une défense. Un système qui est ici questionné et critiqué. En plus, la construction de son scénario et de ses personnages traduit son travail de recherche approfondi qui donne du poids aux propos tenus. Même si pour l’instant il est difficile de voir vers où se dirige l’histoire, les thématiques et les questions soulevées donnent envie de lire la suite.
(par Malgorzata Natanek)
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