Composée d’une centaine de pièces, essentiellement des revues et ouvrages de l’époque, cette première exposition patrimoniale sur l’univers BD de la Grande Île, n’est pas un événement mineur pour les historiens et les chercheurs. Doublée d’un catalogue composé par le commissaire, Christophe Cassiau-Haurie, l’exposition s’inscrit dans le programme du SoBD 2021, qui mettra, du 3 au 5 décembre, la BD malgache à l’honneur pour sa 11e édition.
Les années 1980 sont considérées en Europe francophone comme un moment perturbé, précédant l’effervescence de l’édition indépendante de la décennie suivante. Il n’en va pas de même à Madagascar...
Bien que l’histoire de la BD malgache ait ses origines au début des années 1950, c’est l’ouverture graduelle du pays aux influences étrangères vers la fin des années 1970 qui a donné lieu à l’arrivée d’un grand nombre de fumettis [1] français et italiens traduits. Donnant lieu par ce biais à un processus unique dans la région, d’assimilation et réinterprétation des produits culturels étrangers.
Comme pour de nombreux pays ayant appartenu au Bloc de l’Est, les années 1980 étaient traversées d’une grande effervescence culturelle à l’Île Rouge. À cette époque, la moyenne des tirages atteignait souvent les 3 000 exemplaires déclinés en comic books et magazines principalement. Cette effervescence arriva à son pic en 1989 où l’on comptait jusqu’à vingt-huit structures éditoriales produisant une trentaine de publications mensuelles.
Épisode inédit dans le continent africain, la diversité et la profusion de la BD malgache reste, encore à ce jour, un phénomène unique. Les revues éditées (Danz, Avotra, Benandro,...) ont lancé nombre de jeunes auteurs, qui ont su traduire la culture des comic books et du cinéma populaire de l’époque, plein de cow-boys, loup-garous, maîtres du karaté et bien d’autres créatures pulp, pour créer des héros nationaux tel Benandro, de Richard Rabesandratana, qui défendit le bon peuple de l’île grâce à sa dextérité aux arts martiaux pendant dix ans. Ainsi que des créateurs de légende, tel Ndrematoa (illustration à droite), qui assistera au prochain SoBD. L’immense majorité des titres étaient en malgache (avec des caractères arabo-malgaches) ou en version bilingue et peu d’albums cartonnés furent édités.
L’ âge d’or de la BD malgache aura duré une douzaine d’années, puisqu’à partir de 1991, les crises successives ont donné lieu à son déclin inéluctable. Le pouvoir d’achat chute et la pratique de la "location" des albums ruine les créateurs. Dans un contexte de crise structurelle, les principales maisons d’édition (Tsileondriaka, Danz, EH !) ferment leurs portes et l’aventure des fumettis malgaches arrive à une fin peu glorieuse.
Exposition patrimoniale a ne pas rater, les visiteurs y auront une opportunité singulière de découvrir un univers riche et complexe où les processus de métissage et de décolonisation visuelle ont suivi leur propre chemin dans la création d’un réseau de symboles autochtones sophistiqués, bien plus novateurs à certains égards que des productions contemporaines, plus proches du moralisme bien-pensant que de la création artistique.
Voir en ligne : Exposition : L‘âge d’or de la bande dessinée à Madagascar
(par Jorge Sanchez)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
L’exposition "L’aventure des fumettis malgache" sera ouverte jusqu’au 4 janvier 2022 à La médiathèque de la Canopée La Fontaine, 10 Passage de la Canopée, 75001 Paris.
À lire sur ActuaBD :
La chronique "la bande dessinée de Madagascar invitée du salon SoBD 2021" par Auxence Delion
[1] Petits formats de BD originaires d’Italie.