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L’histoire de la bande dessinée Gabonaise 3/3

Par Christophe CASSIAU-HAURIE le 24 août 2023                      Lien  
La fin des années 2010 correspond au renouveau de la BD locale. Face à la défaillance des éditeurs, des auteurs se prennent en mains et s’autoéditent. Dans la foulée de Pahé, quelques artistes gabonais se font connaître à l’étranger, en particulier en Europe.

Le début des années 2000 se caractérise essentiellement par la publication d’œuvres de commande. C’est en particulier le cas de Lybek, bon spécialiste du genre.

Le Petit Tsa (texte et scénario de Michel Ikamba), édité par la World Conservation Society en 2006, tourne autour de la protection du Tsa, une espèce d’antilope naine unique vivant dans les plateaux Batéké et très apprécié des populations. La même année, Lybek sortait 142,99% risques, une BD de sensibilisation sur les assurances pour automobile commandée par le groupe gabonais d’assurances Ogar Ogarvie. L’année suivante, paraissait C’est comme ça, album commandé par Total Gabon et offert aux nouveaux arrivants.

L'histoire de la bande dessinée Gabonaise 3/3
Lybek - 142,99% risques

Par la suite, Lybek continuera à produire des albums de commande comme Escale, galerie de portraits caricaturés des ambassadeurs ayant servi en France de l’indépendance jusqu’en 2020 (chez Odika édition).

C’est comme ça - Lybek

Mais cette série d’œuvres fléchées ne peut cacher le fait que très peu d’albums commerciaux sont édités localement.
En 2009, Privat Ngomo (né en 1968), informaticien, amateur d’art et de culture, entreprend d’adapter un ensemble de traditions et de légendes issues de la région du Mvet-Oyeng habité par le peuple Ayong, en s’inspirant de mythes rapportés par le maître-conteur Mvomo Eko Emmanuel. Il scénarise ce récit mythico-historico-culturel et son frère, Jean-Juste Ngomo, écrivain à ses heures, en réalise les dialogues et textes.

Cela donnera 10 fascicules de bandes dessinées d’une quinzaine de pages publiés localement en autoédition. Cette dizaine de publications fera l’objet d’une réédition en France, aux éditions Dagan avec un premier tome (constitué des 5 premier épisodes) sorti en 2012 : Alum Ndong Minko [1].

Alum Ndong Minko - Max Obiang

Le dessinateur principal en était Max Obiang Nguéma (né en 1973), peintre autodidacte, auteur de plus d’une centaine de toiles vendues à des particuliers ou à des institutions républicaines. Davy Ondo Ndong, avec 12 planches, avait participé également à la conception de l’histoire.
Cette tentative de mettre sur le marché des produits culturels mettant en valeur la civilisation négro-africaine n’aura pas de suite et Max Obiang ne fera pas d’autres BD.

En 2008, Ly. Bek sort le premier tome de la série Gabonitudes.
Les trois tomes [2] rassemblaient des planches humoristiques de l’auteur paru dans le quotidien national L’Union entre 2003 et 2005. En évoquant des sujets multiples comme la langue de bois des politiciens ; Le mari infidèle ; Le policier corrompu ; la femme volage ; l’irresponsabilité parentale ; le ’’kongossa’’ (commérages), etc. Ly. Bek offrait aux lecteurs un regard panoramique sur le Gabon et sa ’’ socialité’’. Le tome 1 fera l’objet de plusieurs rééditions par la suite.

En 2010, Fargas sort le tome 2 des aventures de Yannick Dombi, Terreur à Lambaréné [3] grâce à l’appui de plusieurs sponsors. Le tome 3, souvent annoncé, n’est - selon toutes vraisemblances - jamais sorti.
Le début de la décennie 2010 correspond au démarrage de la carrière de Jeff Aston Ikapi (né en 1987).

Après une licence en infographie-multimédia obtenue en 2012, il devient caricaturiste-bédéiste pigiste pour Gabon news en 2013 et 2014.
Cette année 2014, il publie ses premiers albums. Ce sera d’abord le tome 1 de la série Simplo aux éditions Raponda Walker, plus ancienne maison d’édition Gabonaise, fondée en 1996 [4].
Personnage représentatif du gabonais moyen, Simplo permet aux lecteurs de se plonger dans la réalité de la société gabonaise aux à travers de ses aventures ou mésaventures.

Puis aux éditions L’harmattan BD, il sort Le croqueur croqué où un ministre souhaitant se venger d’un jeune caricaturiste, sollicite l’intervention d’un sorcier pour punir le dessinateur irrévérencieux…

Puis, en 2016, Jeff Ikapi publie un second tome du personnage Simplo aux éditions Ntsame [5].

Simplo, situations simplomatiques - Jeff Ikapi

Par la suite, Ikapi créera le petit personnage de Kakuka dans deux albums, l’un sur le football (Kakuka et la CAN 2012 : Gabon vs Maroc) en 2018 et l’autre sur les droits de l’homme (Kakuka et les droits de l’homme) en 2017, albums financés par des partenaires extérieurs.
Enfin, en 2022, il a publié en autoédition deux albums Tshikwang et Zargalo, qu’il diffuse lui-même.

Tchikwang master : retour à Dragon raconte l’histoire d’un africain de retour dans son pays après plusieurs années passées en Chine dans le temple shaolin à apprendre le kung-fu. Il retourne à Dragon, quartier où règne l’insécurité.
Zargalo : zélézard life fait découvrir la vie dans un quartier de la Zélézardie (un pays peuplé de lézards anthropomorphes appelés zélézards) à travers les aventures de Zargalo, un jeune zélézard qui se cherche dans la vie. Tout un programme…

Ikapi est également caricaturiste pour Gabon Média Time depuis 2016.
Concernant la production locale, il n’y eut guère d’autres albums parus au cours de la dernière décennie. Tout juste, peut-on citer le tome 2 de Tita Abessolo en 2017, plus de 25 ans après le premier tome [6] et, quelques années plus tôt, un album auto-édité par Géraldine Sima Ondo, sur lequel l’auteur de ces lignes n’a aucune information quant à son contenu [7].

En janvier 2018, trente ans après la disparition Achka éditions, une nouvelle tentative de création d’une maison d’édition spécialisée voit le jour à Libreville avec la création de la start’up WellAfric’Art éditions dont l’un des objectifs est « de promouvoir la culture gabonaise à travers la bande dessinée [8] ». Elle intégrait en ses services une librairie numérique, une bibliothèque digitale, un département de conception et de promotion de jeux vidéos.

Plusieurs albums numériques sortiront, visibles sur la plateforme youscribe. Ce sera le cas de la série Dans l’ombre du soleil ou Rendjegho (ouvrage érotique) de Louis Rudolph Essongué, Apprentis gangster (3 volumes) de Ritch Moukamba Endamne, la série Muana (3 tomes) de T@GT@G, etc.

Avec des histoires se situant dans la société Gabonaise (souvenirs d’enfance comme dans Kinda life de Julchris Owono ou Muana, faits sociaux, etc.) mais aussi ouvrages érotiques (Rendjegho ou Nude de Saphir) et historique (Dans l’ombre du soleil, Kombe de Râ Amon…).

D’autres albums relèvent de l’heroïc fantasy, adapté au panthéon des Dieux et légendes du continent (Edenis, le monde des esprits de Elie Light Wonga, par exemple). Dans le même genre, on peut citer L’épopée Nzebi de Wilfried Mouele Mouele – enseignant en arts plastiques - qui part du mythe fondateur du peuple Nzebi, l’une des principales ethnies du Gabon.

Cet album sera d’ailleurs le seul de WellAfric’Art à sortir en version imprimée [9], à ce jour, du moins.

Jean Marc Mba (né en 1996) propose également sur Youscribe ses albums autoproduits, dans un style plus amateur, il est vrai.
En 2019 et 2021 furent organisées les deux premières éditions du Grand Prix de la Bande Dessinée Gabonaise (qui compte une page facebook, Ikoku France).
La première édition réunissait 27 candidats dont 9 furent considérés comme finalistes.

Parmi elles, deux œuvres sortaient du lot : La forêt des abeilles de Yandi Melimou (Grand prix) et Je ne t’oublierai jamais d’Ekore Kassa Wyn (Prix du jury). L’épopée Nzambi faisait partie des sept autres finalistes [10].
L’édition 2021 couronnait Wilfried Mouele Mouele avec sa bande dessinée Aki Ngoss, l’oeuf de Cuivre. Le prix du jury était décerné à Marvine Nzamba pour Evu.

Quatre auteurs composaient le jury et étaient représentatifs de la diaspora montante du 9ème art national.

En effet, en dehors de Jeff Ikapi, le jury comptait Natacha Nze Dong, autrice de Mariama Bâ et le choix de Ndeye (BD publiée dans la série Unesco, femmes dans l’histoire d’Afrique en 2017) [11], Maya Mihindou, illustratrice vivant en France, déjà autrice du superbe Sabine en 2011 (éditions Soleil) [12] et enfin le mangaka Ivan Elfried Bussa-Bu-Kumb (Kta ou Shizuha) déjà auteur de deux albums en France : D’encre et de feu (H2T en 2017) et Ragnafall (Kurokawa, 2018). Ces trois auteurs travaillent et vivent en France [13].

Sabine - Mihindou

En décembre 2016, le bédéiste Michel Boussamba Boussamba (Mîtch-B) crée le Festival Gabonais et International de bande dessinée de Libreville.
Sept éditions plus tard, ce festival est toujours en activité et constitue l’évènement le plus important du genre dans le pays. Comme souvent, chacune de ses éditions est l’occasion pour les auteurs du pays, confirmés et débutants, d’autoéditer et proposer leurs publications au public.

Prix BD décerné à l’occasion du FGIBD

En dehors des titres de Jeff Aston Ikapi, d’autres titres sont sortis à l’occasion de la dernière édition, la plus prolifique des sept.

Tchikaya - Jeff Ikapi

Le bimestriel Gabao Mangaka, première revue spécialisée manga du pays a sorti son premier numéro à cette occasion, piloté par Franck Junior Makosso (par ailleurs président de la communauté des auteurs mangaka du Gabon). La principale histoire des deux numéros était située au Gabon : Nzambé kana, du nom de l’entité considéré comme le père du genre humain, le premier homme sur la terre dans certaines régions du pays. Autre revue sortie à l’occasion du FGIBD, Art9 qui compte deux numéros à ce jour.

D’autres auteurs proposent des travaux personnels qu’ils vendent sous forme de fascicules : Boussamba Boussamba propose plusieurs titres (comme La méga tribune BD, Le proverbe est la sagesse, Recueil des thèmes en BD…). D’autres séries sont apparues comme Le combat des tribus, d’un autre auteur.
Lionel Allou Mba a sorti au cours des deux dernières éditions deux albums.
Le tome 1 de la série Ekang (du nom d’un peuple d’Afrique centrale) traitait de contes et légendes locales (2022).

Le tome 1 de Les immortels d’Engong, Oveng Ndoumou Obame : La guerre du fer (2023) s’inspire des récits guerriers du Mvett, ensemble de contes de la tradition orale, composés essentiellement de récits guerriers héroïques qui se déclament par un griot accompagné d’un instrument de musique à corde, appelé Mvett. A l’étranger, peu d’auteurs Gabonais sont visibles. L’écrivaine Bessora a scénarisé un album en 2014 [14], son unique incursion dans le genre.

Scheena Donia raconte le quotidien agité mais attachant d’une mère de famille en ne manquant pas d’y incruster des éléments liés aux racines africaines de ses enfants, eux aussi nés au Gabon dans C’est maman qui commande (illustré par Marguerite Deneuville), édité aux éditions Coast to Coast en Côte d’Ivoire mais aussi diffusé en France. Le livre a rencontré énormément de succès puisqu’après un premier tirage de 3000 exemplaires distribués au Sénégal, au Gabon, au Ghana, au Rwanda mais aussi au Vietnam, un deuxième tirage de 5000 exemplaires a suivi. Le tome 2 serait en préparation.
Enfin, Pie-Ul, jeune auteur Gabonais propose le webtoon 229 basket sur la plateforme NEA.

Ainsi se termine l’histoire de la BD Gabonaise, une histoire vieille de près de cinquante années mais qui suit une trajectoire que l’on retrouve dans bien d’autres pays. Au départ fondée sur du mimétisme, la BD Gabonaise prend peu à peu ses marques et s’autonomise progressivement. Les créateurs n’attendent plus grand-chose des éditeurs traditionnels et n’espèrent plus une carrière en occident. Bien au contraire, ils se prennent en charge, s’autoéditent et se diffusent eux-mêmes au gré des opportunités qui se présentent.

Leur terrain de prédilection, leur public-cible, le marché qu’ils souhaitent conquérir, c’est leur environnement immédiat. En soi, il s’agit d’une démarche rassurante.

(par Christophe CASSIAU-HAURIE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire les épisodes précédents :

- Histoire de la BD gabonaise 1/3

- Histoire de la BD gabonaise 2/3

[1Alum Ndong Minko, acte 1 : L’Affront. Textes et dialogues du Nlang Mvet-Oyeng. Scénario : Privat Ngomo ; textes & dialogues : Jean-Juste Ngomo & Privat Ngomo ; dessins & encrage : Max Obiang & Davy Ondo ; adaptation inspirée du récit du maître-conteur Emmanuel Mvomo Eko Bikoro. Achères : Dagan éd., coll. Bande dessinée, 2012, 60 p., ill., 31 cm – ISBN : 978-2-919-61205-5.

[2Lybek. Gabonitudes. Tome 1. Haaaa... ngabon ya bon !. Libreville : Africa Pro ; King Location, 2008, 58 p., ill. NB, 22x31 cm.
Lybek. Gabonitudes. 1. Gabon y’a bon. Libreville : La Maison de la Presse, 2012, 53 p., ill., 22x30 cm. ISBN : 358-2-910-02596-2.
Lybek. Gabonitudes. Tome 2. Ce que femme veut. Libreville : Africa Pro ; King Location, 2012, 58 p., ill., 22x31 cm.

Lybek. Gabonitudes. Tome 3. L’amère patrie. Libreville : Africa Pro ; King Location, 2008, 58 p., ill. NB, 22x31 cm

[3Yannick Ndombi [2] : Terreur à Lambaréné. Dessin : Fargas. Scénario de Gilbert Mawazo et Freddy Wembadjonga. Libreville : Multipress, 2010, 64 p., ill., 29x22 cm.

[4Simplo [1] : simplement Simplo. Libreville : éd. Raponda-Walker, 2014, 47 p., ill. – ISBN : 978-2-35495-023-1.

[5Simplo [2] : situations simplomatiques. Libreville : Éd. Ntsame, 2017, 49 p., ill., 28 cm – ISBN : 978-2-362-13147-9.

[6Levigot, Laurent. Les Élections au village. Libreville : Éd. Ntsame, coll. Les Villageoiseries de Tita Abessolo, album n°2, 2017, 51 p., 28 cm – ISBN : 978-2-362-13151-6.

[7Sima Ondo, Hilda Géraldine et Odette Maganga. Ogoula l’Ouragan : Libreville : ODEM, 2012, 54 p. [pas d’ISBN]

[9Mouele Mouele, Wilfried. L’Épopée Nzebi (ou les 7 fils Nzebi), inspiré de l’œuvre de Okoumba Nkoghe. Acte 1. L’Origine de Koto. Libreville : édition WelAfri’art, 2018.

[12Référence de deux de ses albums : Mihindou, Maya [scénario, dessin et couleur]. Sabine : Soleil Productions, coll. Venusdea, 2011, 160 p. – ISBN : 978-2-302-01267-7, Mihindou, Maya [dessin et couleur] ; Richard, David (scénario). Le Dédale. [ ?] : Éd. Danger public, coll. Miniblog, 2007, 12 pl. – ISBN : 9782351231883

[14Bessora. Alpha : Abidjan-gare du Nord. [Dessin de] Barroux (BD). Paris : Gallimard, 2014, 128 p., ill., 27 cm – ISBN : 978-2-070-65641-7.

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