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La BD en Mauritanie, une littérature graphique balbutiante

Par Christophe CASSIAU-HAURIE le 20 décembre 2023                      Lien  
Si l’Afrique recèle nombre d’auteurs talentueux, il existe des pays où l’on a du mal à en trouver des traces importantes. C’est le cas de la Mauritanie, pays sahélien doté d’une grande tradition du livre - les bibliothèques des sables de Chinguetti, Ouadane, Oualata, Tichitt en témoignent – mais qui ne compte que très peu d’éditeurs et de libraires.
Dans ces conditions, la présence d’un 9e art local relève d’un miracle et n’est dû qu’à quelques talents individuels.

Le marché du livre mauritanien reste balbutiant malgré une longue tradition tournée vers les livres et les bibliothèques. Très peu d’éditeurs sont implantés dans le pays : l’imprimerie Sahel, l’édition 15/21, Ibis Press, Artowa, l’Institut Supérieur Scientifique de Nouakchott, Joussour. De même, le système de distribution des livres est également quasiment inexistant, même dans les grandes villes d’après l’étude sur le terrain, menée par Aîna Rostaing en 2023 [1].

La capitale de Mauritanie compte assez peu de librairies proprement dit. D’après les recherches internet et la pratique de la ville, une dizaine de librairies existeraient.
La librairie 15/21, créée en 2002 par un journaliste mauritanien, a pour principal but d’encourager la lecture en Mauritanie et de toucher un public le plus divers possible. Composée au trois-quarts d’ouvrages en arabe et de fournitures de papeterie, un espace est consacré aux livres en français. Parmi ces livres, très peu de littérature française ou de BD mais au contraire, une grande majorité d’ouvrages sur la Mauritanie, le Sahel, l’Islam ou l’Afrique. Bien que l’on retrouve aussi, mélangés à ces derniers, des livres sur les Ardennes, le saké au Japon ou encore le rugby en Europe.

Membre de l’AILF, la librairie Vents du Sud est l’une des plus importantes librairies francophones du pays, ce qui ne l’empêche pas d’être composée pour moitié de livres en langue arabe et de papeterie. Les livres en français sont par contre particulièrement mis en avant.

La troisième librairie, la librairie Joussour Abdel Aziz, propose également un joli assortiment de livres en français, en dépit d’une très grande dominance des livres en arabe. Les éditeurs sont les mêmes que dans les autres librairies. La papeterie prend également une place importante dans le fonctionnement du lieu.

Les autres librairies visitées par Aïna ne proposaient que des manuels scolaires ou des livres du programme scolaire. Les livres proposés en français sont à peu près les mêmes entre les librairies. Les maisons d’édition L’Harmattan et Karthala - des éditeurs non africains - sont surreprésentées (environ les trois-quarts des ouvrages présents). Beaucoup des ouvrages proposés sont également parus il y a des années, voire plusieurs dizaines d’années, et il y a peu de nouvelles productions.

Tout cela est parfaitement rendu dans un extrait du mémoire rédigé par Aïna Rostaing : « Les fonds locaux de l’IFM possèdent de nombreux ouvrages édités par la maison d’édition Joussour, créée par le mauritanien Mohamed Ould Bouleiba [...]. D’après ses dires, l’état de l’édition en Mauritanie n’est pas très bon, il y a notamment peu de maisons d’éditions professionnelles. C’est-à-dire qu’il existe des personnes qui éditent, des commerçants, mais qui n’ont pas de comité de lecture - contrairement à lui - ou de réelles connaissances dans le métier. Propos confirmés par le directeur de la bibliothèque nationale de Mauritanie : L’édition c’est le côté commercial, chaque famille peut ouvrir sa maison d’édition sans compétences particulières […] Les maisons d’éditions ici ne sont pas tellement organisées, les gens n’ont pas le matériel suffisant pour garantir l’impression locale en Mauritanie et les éditeurs et écrivains se trouvent dans l’obligation de demander ailleurs, de partir ailleurs, d’envoyer ailleurs pour faire l’édition.
Pour sa maison d’édition, Mohamed Ould Bouleiba emploie plusieurs personnes à mi-temps (infographes, techniciens…) et possède sa propre imprimerie pour imprimer ses ouvrages, en cinq-cents ou mille exemplaires. Il n’en vit d’ailleurs pas, de cette activité : « Les gens n’achètent pas les livres ». Ses ouvrages sont régulièrement soutenus par des institutions comme la Coopération française ou la Banque Centrale de Mauritanie. Les livres édités par sa maison d’édition sont de plusieurs types, qui se veulent généralement scientifiques : traduction en arabe d’un ouvrage français par le directeur lui-même, ouvrages d’analyses littéraires écrits également par Mohamed Ould Bouleiba, et aussi des livres écrits par des amis et des collègues mauritaniens. Il publie dans les deux langues, français et arabe.
 »

Tout cela laisse peu de places au développement d’une bande dessinée mauritanienne qui souffre d’une incontestable discrétion.

Abdoul Ba (de son nom Ba Mamadou Adama) est le seul dessinateur comptant une véritable carrière derrière lui. Il est surtout connu comme caricaturiste pour la presse indépendante et ce, depuis 1983 (il est né en juin 1968 à Bagodine, dans le sud du pays, le long du fleuve Sénégal).

Ses dessins ont paru dans plusieurs quotidiens et hebdomadaires qui ont fleuri depuis le début de la période de démocratisation du pays : Le calame, Mauritanie nouvelles, La Tortue, l’Éveil Hebdo, Al Ankbar, Echtary, Mauritanie demain, Ahbar al Ousboue, La Tribune, etc. (environ une douzaine de titres dont beaucoup sont déjà morts).

Sa collaboration avec des ONG et organismes internationaux lui a permis de dessiner quelques bandes dessinées didactiques de bonne facture : Samba ou le moment de choisir (avec l’ONG World vision en 1998), Sur la route des moustiquaires imprégnées (pour l’OMS). Il est également l’auteur de plusieurs œuvres qui restent les seules disponibles dans le pays : Le Secret des vacances (avec le Comité national de lutte contre le paludisme), Boy naar (avec l’ONG Terre vivante), Le Violeur. L’affaire Dakhal Chi, son premier album personnel, édité par le Centre culturel français de Nouakchott en 2000, est le seul à avoir fait l’objet d’une critique dans la presse étrangère, en l’occurrence le N°10 de Takam tikou, le bulletin de La Joie par les livres.

La BD en Mauritanie, une littérature graphique balbutiante

Abdoul Ba est également le seul bédéiste de son pays à avoir participé à un festival international de bande dessinée, à savoir ceux de Libreville en 1999 et d’Alger (FIBDA) en 2010.

Par la suite, Abdoul Ba publiera Les Illusions d’Abdallah, œuvre plus personnelle qui traite de l’islamisme et d’autres albums de commande, toujours d’un bon niveau, comme Les Zazous de Zeinebou (sur les sacs plastiques, fléau d’un continent où existe très peu d’usine de traitement des déchets) ainsi que Les Objectifs du millénaire, publié par le PNUD.

En 2006, est sortie l’unique BD collective mauritanienne : Clin d’œil des artistes, soutenu par le Centre Culturel Français Antoine de Saint Exupery. Deux d’entre eux ne sont pas des professionnels.

Ousmane Sow (aujourd’hui décédé), qui dessine Ngaari njawlé, était policier et ne dessinait qu’à temps perdu. Il s’est fait remarquer en 2000 avec une brochure de prévention sur La dracunculose ou ver de Guinée publiée par l’Unicef et distribuée dans plusieurs pays.

Cheikh Salek Ould Abdellahi, qui signe Cheikh Salek, était professeur d’anglais au lycée de Nouakchott. Avant l’histoire Sauve qui peut ! insérée dans Clin d’œil, Cheikh Salek avait réalisé des séries de BD de sensibilisation pour le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP Mauritanie). Artiste plasticien par ailleurs, il avait déjà exposé et a travaillé comme formateur en peinture et calligraphie arabe.

La parution de Clin d’œil des artistes avait été suivie par une semaine de la bande dessinée du 16 au 20 mai à Nouakchott en présence du Burkinabé Joël Salo, du Sénégalais Oumar Diakhité et des Français Serge Letendre et Emmanuel Lepage.

Mais, en dehors d’Abdoul Ba, peu de bédéistes se sont fait remarquer.
On peut citer Abdarrahmane M’bareck Vall (né en 1997). Elevé au Sénégal jusqu’à l’âge de 20 ans, il vit à Bordeaux depuis 2018. En 2019-2020, il a étudié en 3e année section « Cinéma d’animation » dans une école d’animation 3D appelée ECV Bordeaux. Très ancré dans sa culture (il parle couramment le dialecte Hassaniya en sus du Wolof), son éloignement géographique de son pays d’origine l’a empêché de construire des projets sur place malgré le fait qu’il ait rencontré de nombreux artistes et cinéastes durant ses séjours en Mauritanie. Entre mai 2022 et mai 2023, il a travaillé en tant qu’artiste 3D pour avions depuis l’an dernier pour Asobo studio, le principal développeur de Microsoft Flight Simulator 2024 avant de se mettre à son compte.

En dépit de son jeune âge, il a remporté en 2017 un prix au Nouakshortfilm pour son court métrage "Trichi", film qu’il a juste dessiné sur le vif et monté, sans scénario ni aucun storyboard. Abdarrahmane M’bareck Vall a également réalisé plusieurs bandes dessinées personnelles, en particulier un livre de 150 pages intitulé Stick Man. En 2017, il a terminé deux épisodes d’un manga sur le breakdancing appelé Break Up en collaboration avec des breakdancers italiens et des YouTubeurs de Falcrow Production.

Écrivain et réalisateur de films documentaires (né en 1964), Karim Miské, de père mauritanien, a scénarisé un album de BD, publié en 2016, S’appartenir, (dess. D’Antoine Silvestri) sur l’identité (Karim Miské est métis) et qui constitue l’adaptation graphique du roman du scénariste, M’appartenir.

Karim Miské n’a pas scénarisé d’autres BD depuis.

Quelques BD de commande circulent également au sein des écoles. C’est le cas de la série Histoires sahéliennes, financée par l’association Alimenterre, dont l’épisode 3 se situe dans la région de Guidimakha. Mais cette série - qui traite de la diversité territoriale et sociale du Sahel occidental afin de la rendre plus accessible aux acteurs de l’aide publique au développement - n’a pas été dessiné ni scénarisé par un auteur mauritanien mais par les studios du Sénégalais TT Fons.
De même, l’ONG Save the children - Mauritanie a financé une BD, Petits pas dans le sable, qui évoque la question des migrations et en particulier la protection des enfants en mobilité en Mauritanie. Cet album, distribué dans les écoles, a toutefois été dessiné par le franco-sud-africain Brice Reignier. Une autre occasion perdue, de fait.

En quelques noms, l’histoire de la BD mauritanienne est rapidement terminée. Phénomène qui s’explique aisément par l’état de l’édition dans le pays et le manque de soutien des pouvoirs publics. Car, il en est du 9e art comme des autres formes artistiques, il ne peut se développer sans un milieu qui lui est favorable et sans des relais nécessaires dans la société.

(par Christophe CASSIAU-HAURIE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

[1Rostaing, Aïna, Master PBD, Mémoire, Août 2023.

Etude sur la BD Mauritanie
 
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