Le très secret Guide Michelin s’avère aussi et surtout un milieu d’hommes. Aussi lorsque Emma voit sa candidature spontanée acceptée, elle pénètre un univers dans lequel il lui faudra jouer des coudes pour se faire une place. Mais c’est avant tout le mode de vie d’une rare exigence qui la mettra à rude épreuve : des kilomètres de route avalés pour des inspections à la chaîne, aux quatre coins de la France, avec certaines fois de tristes déceptions et d’autres de magnifiques découvertes.
Le Goût d’Emma se présente comme un projet tout à fait atypique. Julia Pavlovitch s’est en effet lancé dans un portrait de femme contemporaine au parcours aussi formidable qu’atypique. Emmanuelle Maisonneuve fit ses armes auprès de Michel Bras et Alain Ducasse, écrivit plusieurs ouvrages sur le monde de la cuisine avant d’entrer, donc, au Guide Michelin à trente ans. Sa quête passionnée pour la belle cuisine la mènera également au Japon, autre passion.
C’est là que la projet bifurque et s’enrichit d’une manière étonnante. Ce portrait, en bande dessinée, se trouve réalisé par une mangaka : Kan Takahama. La jeune femme nous a livré récemment plusieurs beaux récits brossant précisément de superbes portraits de femmes, dotés d’une charge sensuelle indéniable. Un aspect que l’on retrouve en creux dans Le Goût d’Emma, à travers les diverses dégustations et un romance discrète filée au long du volume.
On se souvient ainsi des récents Tokyo, amour et libertés et Le Dernier Envol du Papillon, des plus anciens Kinderbook et L’eau amère, ou encore de sa participation à la "Nouvelle Manga" aux côté de Frédéric Boilet avec Mariko Parade. Notons d’ailleurs que le projet du Goût d’Emma, né en France, parut toutefois d’abord au Japon dans l’hebdomadaire Morning de Kodansha, avant d’être édité en volume l’an dernier.
Le portrait semble pourtant parfois un peu trop romancé. L’équilibre entre la dimension quasi documentaire - la vie d’une inspectrice du guide Michelin - d’une part et les émois affectifs et questionnements intimes de l’héroïne d’autre part s’avère bancal par endroits, l’intérêt de la première l’emportant globalement sur celui des seconds. Comme si un sujet féminin imposait un biais sentimental au récit.
Restent toutefois de très jolis passages autour de la rencontre avec divers plats et saveurs. Et la découverte d’un destin professionnel hors du commun, nous rappelant qu’aujourd’hui encore les femmes doivent fournir bien plus d’efforts que les hommes pour s’imposer en général, et en particulier dans certains milieux traditionnellement masculins.
(par Aurélien Pigeat)
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