L’album, découpé en six histoires (de 4 à 35 pages) relatant chacune un souvenir qui semble avoir été enfoui avant de ressurgir à l’âge adulte, aborde des thèmes que, spontanément, on n’associe pas à l’enfance tant celle-ci reste fantasmée et associée à une forme d’insouciance. Et après tout, c’est peut-être le cas quand la narratrice semble ne pas prendre conscience de la mort d’un camarade de classe, ou encore se comporte de manière curieuse avec un chat sans vie. À ce titre, Juliana Hyrri parvient à transposer des logiques de raisonnement proprement enfantines, mais qui peuvent passer à certains égards pour bien cruelles.
Mais d’autres secrets, encore bien plus lourds, sont également évoqués. Le récit de « l’invité nocturne », sur fond de jeux et d’amitié féminine, est dramatique quand on se rend compte qu’il s’agit en réalité d’une histoire d’inceste. Traités par évocations et non-dits, l’horreur des faits contraste avec le dessin, tout en arrondis, de la dessinatrice, et c’est bien ce décalage qui crée un effet glaçant.
Le graphisme s’aligne sur cette oscillation entre innocence et gravité, entre teintes en noir et blanc qui restituent une époque lointaine, plus ou moins floue, et qui jettent comme un voile sur les épisodes les plus douloureux ; et des tons rosés sur deux récits qui apportent davantage de légèreté.
À l’issue de la lecture, on est séduit par le difficile équilibre trouvé par l’autrice, dont on se réjouit que Même pas Mal ait assuré une adaptation française : elle est assurément à suivre.
(par Damien Boone)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.