La BD animalière a ses titres de noblesse : Le Château des animaux, rappelant l’univers orwellien, La Bête est morte ou Maus pour l’Histoire, les séries policières Blacksad ou Canardo, le désabusé Pacush blues, l’hilarante et mésestimée Jungle en folie, Gai-luron (by Gotlib himself), les enfantins et intelligents Trappeurs de rien, le méconnu Mulo, le magnifique Rose profond revisitant l’univers Disney... (impossible d’être exhaustif !)
Le Royaume sans nom quant à lui, rappellera davantage les excellentissimes Cinq terres, pour l’aspect royaume et relations inter-espèces et de Cape et de crocs pour le côté théâtral. Excusez du peu !
Dans un royaume sans nom peuplé d’animaux, où l’on croise un trésorier Zèbre au rôle des plus troubles, une soubrette Gazelle qui joue les espionnes ou un Cerf ménestrel et trop séducteur (pour ne pas dire obsédé), le roi Lion a atteint un âge honorable.
Une question se pose donc : qui va lui succéder ? Son fils, le jeune prince se refuse à tuer le père bien que « les princes tuent les rois et prennent leur place depuis la nuit des temps » (page 8).
Manifestant une profonde affection envers lui quand la tradition exige qu’il l’affronte et le vainque pour prendre sa place, ce jeune lion sans ambition est méprisé et jugé frêle et inoffensif. Aimer serait donc une faiblesse...
Ce roi pacifique souhaite établir des alliances avec les autres états. Mais l’arrivée de la délégation diplomatique des royaumes du Nord pour un sommet d’États semble réveiller les instincts et les complots les plus vils !
Personne n’est épargné, du petit peuple aux hautes sphères du pouvoir, tandis que les redoutés et sauvages troupes du royaume du Tigre profitent de l’agitation pour semer la panique sur le territoire.
Bientôt, la tragédie qui se noue dans ce monde animal -la mort de l’ambassadeur en est le déclencheur visible-, en proie aux manigances de l’une et des autres, va amorcer le début d’une ère nouvelle et l’avènement d’un nouveau roi ! « - N’aie plus aucune crainte mon fils. Aujourd’hui tu es."
Ce récit anthropomorphique de pouvoir et de corruption, joue finement sur les stéréotypes incarnés par les races d’animaux (le cochon vorace, les hyènes ricanantes, les gorilles bagarreurs,..)
Les dialogues ciselés d’Herik Hanna, qui prend un malin plaisir à embrasser la forme théâtrale tout en la détournant par un humour mordant, enchante :
« - J’aurai bientôt de nouveaux barreaux tout neufs pour gravir les échelons de ma fulgurante carrière. Comprends-tu ?
À vrai dire, non. J’y vois un arrivisme certain et dérangeant dans un moment particulièrement éprouvant. » (page 35)
La richesse et la générosité du travail graphique de Redec emporte le lecteur dans un univers très vivant, parfaitement accompagné par les ambiances chaudes et colorées de Lou.
Série annoncée en trois volumes seulement, le tome 2 étant prévu pour mars 2024. Il serait dommage de passer à côté de ce Royaume sans nom !
(par Christian GRANGE)
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