Coup de coeur polar pour "Douze", le duel de tueurs signé Hanna, Boivin & Georges

Depuis son étonnant détournement dans Détectives et son jubilatoire hommage aux Comics dans Bad Ass, chaque nouveauté d’Herik Hanna est à scruter avec intérêt. En effet, le scénariste n’est pas adepte de la facilité. Ses récits sont souvent savamment construits, ne manquent pas d’humour et sont bourrés de références. Douze ne fait heureusement pas exception à ce canevas !

À la manière des Dix Petits Nègres, douze personnes se retrouvent dans un lieu clos. Pas question d’île dans ce cas-ci, il s’agit d’un gigantesque hôtel qui ferme ses portes en fin de saison. Difficile de ne pas penser à Shining même si l’accueil spécial rappelle aussi l’aventure de L’Apocalypse vécue par Guy Lefranc. On pourrait même mentionner la première aventure du Janitor de Boucq & Sente, même si tout est différent.

Il faut dire que le décorum est à la hauteur des douze protagonistes, qui sont tous des spécialistes dans leur domaine : le meurtre commandité. Qui a réuni la crème des tueurs mondiaux ? Le mystérieux leader d’une association criminelle qui se fait appeler "L’Hydre". Tous les trois ans, il organise un dîner de ce type, sachant qu’à la suite de celui-ci, tout le monde va s’entretuer jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un. Mais ce que l’Hydre ignore, c’est que son concurrent le plus sérieux, à savoir la Guilde des assassins, a payé l’un des douze pour l’exécuter lors de ce seul moment où il se dévoile.

Voilà donc nos douze tueurs réunis dans cet hôtel coupé du monde... enfin onze tueurs et une tueuse. Certains se connaissent, d’autres pas. Certains sont nerveux, d’autres pas. Une personne a été payée pour trahir... Quant aux autres ? On ne sait pas. L’un des tueurs est-il ce fameux Hydre ? Il faudrait vérifier le dos de tout le monde, car on sait que ce dernier dispose d’un immense tatouage dans le dos. Mais voilà, pas question de dévoiler toutes ses cartes à des personnes qui n’ont qu’une seule envie : vous tuer. Donc on s’observe, on place ses pions avant que ne débute ce jeu macabre qui n’aura qu’un gagnant et onze perdants. Tout le monde part sur un pied d’égalité... Enfin, tout sauf un, celui a déjà gagné il y a trois ans et remet son "titre" en jeu. Normalement, c’est contraire aux règles. Mais ici, on se fout des règles. À vos armes, prêt ?... Tuez !

Avec ce cadre, ne pensez pas que ce récit se résume à une simple fusillade. Certes, la seconde partie se concentre sur ce jeu macabre, qui bénéficie d’un magnifique découpage servi par le dessinateur Hervé Boivin ! Mais la première partie du récit s’est révélée être un challenge tout aussi compliqué, car il s’agissait de mettre en scène une longue discussion entre les protagonistes, à la manière de la résolution d’un crime lorsque Hercule Poirot réunit tous les suspects et témoins. Sauf qu’ici, cela se déroule en début de récit et qu’on sait déjà que tous les intervenants sont des tueurs.

Le défi de cet album tient dans le nombre des personnages. Comme vous l’aurez compris, on dispose de douze personnages principaux, dont un est muet, histoire de devoir en faire parler un de moins. À ceux-là, on rajoute trois intervenants du décorum dont encore un muet (décidément !), un personnage extérieur et quelques employés de l’hôtel dont on ignore s’il faut retenir leurs noms ou pas. Car voilà toute la complexité du jeu que nous propose Herik Hanna : nous captiver avec presque vingt intervenants, tout en nous glissant des infos capitales au milieu d’autres parfaitement anecdotiques.

Vous l’aurez compris, Douze nécessite une attention soutenue pour en tirer toute la quintessence tout en profitant des dispositions graphiques inspirées d’Hervé Boivin, portées par les couleurs de Gaétan Georges. Si vous cherchez une bande dessinée pour vous détendre sans vous prendre la tête, passez votre chemin. Si vous aimez au contraire les polars, que vous prenez plaisir à chercher le fil de la vérité dans l’écheveau d’un énigme, alors Douze est fait pour vous !

Car pour notre part, nous avons pris autant de plaisir à la première lecture, qu’à enchaîner directement une seconde après la résolution finale, histoire d’encore mieux apprécier la mécanique construite par Hanna & Boivin. Cela en énervera certainement, qui vont clamer que ne pas tout comprendre du premier coup, démontre une trop grande complexité. On leur répondra alors qu’à la fin de lecture, on comprend très bien ce qui s’est passé dans les grandes lignes, et que rien ne nous empêche d’apprécier également les détails. Surtout quand l’enfer des tueurs se cache dans les détails !