Raconter l’histoire d’un parc depuis sa création jusqu’à sa disparition, telle est l’ambition de Mathias Martinez lorsqu’il dessine Clocki. Jeune auteur issu de la scène du fanzinat, le créateur de l’horloge parlante est avant tout un féru de parcs d’attraction. Il nous confiait lors du lancement de l’album à la Galerie Arts Factory profondément apprécier ces lieux de divertissement, vitrine d’un consumérisme outrancier, en dépit de la dissonance cognitive que cela crée chez lui vis-à-vis de ses engagements et idéaux.
Ce n’est donc bien évidemment pas un portrait doré qu’il a décidé d’en brosser. Au travers d’une succession d’histoires tragi-comiques prenant pour point de départ le personnage de Clocki, star d’un dessin animé pour enfant des années 1930, puis personnage central d’un parc à thème, l’amateur éclairé qu’il est, membre de communautés de fans sur Internet, lève le voile sur ce doux rêve mercatique.
Les dérives de la star dont l’image est écornée, la création de personnages sponsorisés, l’obsession quasi-maladive pouvant naître chez certains, les mauvais traitements des employés, puis la décrépitude et le décalage générationnel que l’on décèle dans la nostalgie de ce père souhaitant transmettre l’image idéalisée qu’il gardait de ce parc à sa fille... Si nous ne pouvons pas nous targuer de l’expertise de Mathias Martinez en matière de parcs d’attraction, force est de constater que le panorama proposé est aussi large que diversifié, aussi drôle que triste, aussi vraisemblable qu’absurde. Ne serait-ce pas là le propre du réel ?
Le dessin colle quant à lui parfaitement à l’époque-référence. À l’instar des récits successifs, l’atmosphère est résolument vintage et rappelle les cultissimes séries d’animation américaines des années 1930 que sont Betty Boop des studios Fleischer, Pooch the pup de Walter Lantz ou même les séries de comics des Puppetoons de George Pal.
Ce Clocki pourrait d’ailleurs s’inscrire dans un mouvement plus général de réhabilitation d’une esthétique délicieusement désuète dont la figure tutélaire serait le jeu vidéo de plateforme Cup Head, par la suite dérivé en comics [1], puis série d’animation par Netflix [2]. Il ne faudrait toutefois pas se leurrer, ces rondeurs cartoonesques n’ont jamais réellement disparu. En 2009 par exemple, l’américain Al Columbia publiait l’effrayant Pim & Francie traduit en français il y a peu par les éditions Huber.
Fort de cet héritage, Mathias Martinez développe sa propre grammaire visuelle en conjuguant la rondeur du trait de ses aînés à un flageolement des corps plein d’humour, presque grotesque. Ajoutez à la tambouille de grandes cases, voire de pleines pages, remettant en question l’opposition classique surcharge/lisibilité et une alternance encarts/phylactères bien rythmée... Faites encore un looping et obtenez un cocktail détonnant, sensations fortes garanties.
Enfin, comment ne pas mentionner le travail des éditions Misma qui, en soignant l’impression et la fabrication, offrent à l’ouverture du parc dessiné de Mathias Martinez un écrin à la hauteur des premiers jours de Clockiland. L’une des parutions remarquables de l’édition alternative de ce printemps.
Ruez-vous donc sur la toute dernière attraction des défricheurs de talents de chez Mismaland, il se pourrait que le Martinez Coaster recèle encore bien des surprises - et des histoires - pour notre plus grand plaisir !
(par Thomas FIGUERES)
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Clocki - Par Mathias Martinez - éditions Misma - 21,8 x 28,5 - 128 pages - 3 pantones - Sortie le 21 avril 2023 - 22 euros
[1] Cuphead - cabrioles et autres curiosités par Zack Keller et Shawn Dickinson éd. Pix’Nlove, Cuphead - chroniques cartoonesques et autres calamités par Zack Keller et Shawn Dickinson éd. Pix’Nlove
[2] Le Cup Head Show !, diffusée depuis le 18 février 2022. 36 épisodes sont sortis à ce jour. La série est en cours de production.
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