Léon Gaumont, Charles Pathé, Georges Méliès, Louis et Auguste Lumière ou Alice Guy font partie de ces gens, pour qui le cinéma, encore balbutiant, s’affirme comme une nouvelle technique à appréhender, maîtriser et pour certains à... commercialiser !
L’invention est d’abord considérée comme démoniaque en raison des incidents survenus à l’occasion des premières manifestations en public. Le premier tome [1] de ce diptyque s’ouvrait sur l’incendie du bazar de la charité, la projection y eut pour conséquence la mort de plus d’un centaine de victimes. Un accident qui marqua alors profondément une opinion encore méfiante face aux innovations technologiques de cette fin de siècle.
Peu à peu, ce groupe hétéroclite rassemblant aussi bien des rêveurs, des ambitieux que des industriels surtout préoccupés par leur chiffre d’affaire, va apprendre à comprendre le sens et maîtriser la puissance de cette nouvelle technique.
Comme toute entreprise humaine, celle ci ne sera pas dépourvue d’échecs, de réussites, d’alliances et de trahisons. Tiraillé entre art et industrie, ce nouveau medium sera au cœur de compétitions sans précédent notamment entre Charles Pathé et Léon Gaumont.
D’abord amis, complices puis au fil de la guerre des brevets et d’une bataille industrielle sans merci, ils deviendront farouchement ennemis. Leur rivalité s’amplifie dans cette seconde période où les deux hommes s’apprêtent à pénétrer le marché américain. Ces rivalités ne seront pas sans conséquence sur le destin de quelques artistes qui les avaient accompagnés. Parmi eux, le génial Méliès ou la pionnière Alice Guy dont le parcours a récemment fait l’objet d’un roman graphique éponyme réalisé par Catel et Bocquet et édité chez Casterman.
Bien que largement consacré au développement technique et commercial de l’industrie du cinéma au détour des années 1900, ces albums n’occultent pas, loin de là, les enjeux financiers et les appétits de pouvoir qui accompagnent cette évolution.
Déclinée avec clarté, notamment grâce au graphisme très épuré de Jean-Baptiste Hostache le récit se révèle captivant et érudit. Avec ce premier album publié chez Rue de Sèvres, ce dessinateur venu de l’animation et de la colorisation parvient à restituer de manière fort crédible l’esprit et les « couleurs » de l’époque, notamment en jouant sur une variété de tons sépia.
Guillaume Dorison et Damien Maric ont pour leur part conçu un scénario très documenté tout en maintenant l’attention et l’intérêt pour les parcours parallèles de tous ces pionniers. Le second volume se termine par un cahier documentaire reprenant la biographie des principaux acteurs de cette histoire. D’un format généreux et d’une réalisation particulièrement soignée (reliure toilée) ces deux imposants volumes trouveront aussi bien leur place dans la bibliothèque de l’amateur de BD que dans celle du cinéphile.
(par Patrice Gentilhomme)
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[1] voir le tome 1, La Machine du diable, paru en avril 2022.