Avant de se consacrer à la bande dessinée, Hervé Bourhis a traîné ses basques dans le monde de la communication graphique. « Je concevais des sites au tout début de l’éclosion de la bulle Internet. Je me souviens de mon premier site en 1998, c’était pour Vidéo Futur, un distributeur de vidéos. Je serais gêné de le ressortir aujourd’hui. C’était une époque où les clients n’étaient pas encore blasés et étaient prêts à payer très cher pour avoir des sites finalement très moches et mal fichus. Alors qu’aujourd’hui, tout le monde veut des sites magnifiques et gratuits ! »
Jonglant entre ce boulot alimentaire et ses premiers projets dessinés, Bourhis fait des débuts en fanfare. En 2002, son premier album « Thomas ou le retour du Tabou » obtient le Prix Goscinny. « Mon éditeur m’avait appelé au boulot pour me l’annoncer. Il était midi et j’ai terminé la journée avec un sourire béat. De 2002 à 2004, j’ai mené en parallèle ma fin de carrière dans le graphisme et le début de mon parcours en bande dessinée… ». Pas le moins du monde tétanisé de recevoir ce prix d’emblée, Bourhis embraye : « Sur le coup, j’étais persuadé que c’était normal. Ce n’est que quelques temps après que je me suis rendu compte que ça ne l’était pas ! J’ai proposé d’autres projets et ils ont tous été refusés. Retour à la réalité ! Quand je le relis douze ans après, je trouve que mon premier album c’est un fanzine, un projet d’étudiant, fait sans rien connaître des techniques de la BD ».
Deux ans après ce premier livre plein de promesses, Hervé passe le pas. « En 2004, on m’a signé deux projets. Ça me permettait de vivre de mes histoires. Je m’y suis consacré totalement. Je me suis senti professionnel à partir de Comix Remix. De 2005 à 2007, j’ai véritablement appris à faire de la bande dessinée. J’ai fait trois tomes de 80 pages en trois ans. J’ai appris sur le tas. Je n’ai jamais fait d’école, même si la lecture intensive est une bonne formation. J’ai lu énormément de BD avant de me lancer et je rappelle toujours que c’est Philémon de Fred qui a créé ma vocation. »
Au milieu des années 2000, Hervé imagine un projet entre l’illustration, la bande dessinée et l’almanach musical. Hybride, mais narratif. « Mon envie, c’était de me débarrasser de la narration classique en cases et en planches. J’avais écrit pour Rudy Spiessert « Le Stéréo Club », qui racontait des histoires de disquaires. J’étais très frustré, parce que je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à bien parler de la musique par la fiction. Je trouvais ça timoré, pas très bon. Je voulais parler de la musique, mais pas comme ça. J’ai commencé à dessiner pour m’échapper de la fiction. Je me suis rappelé d’un bouquin d’André Degaine que j’avais lu dans les années 1980. C’était un spécialiste du théâtre, qui avait commencé à fréquenter les salles tous les jours à partir des années 1940. Partant de cette expérience, il avait raconté toute sa vie en dessin. Quand je suis retombé sur ce livre, j’ai eu le déclic, c’était comme ça que je devais m’y prendre. Un patchwork d’anecdotes, chronologique. En mélangeant tout ce que j’aime dans la musique. »
Si aujourd’hui, « Le Petit Livre Rock » est une évidence et un succès de librairie (traduit en huit langues), son accueil éditorial n’était pas gagné d’avance.
« J’ai envoyé le projet partout et tout le monde l’a refusé. En fait, non, je ne l’ai pas envoyé partout. Je ne l’avais pas montré chez Dargaud, mon éditeur principal, parce que je pensais qu’ils n’accepteraient pas un livre hors format de ce type. Finalement, je leur ai envoyé et les trois éditeurs m’ont appelé en même temps : Philippe Ostermann, François Le Bescond et Thomas Ragon. Ils étaient à fond et voulaient publier le livre chez Dargaud. Grosse surprise. C’était un coup de cœur pour eux. Et c’est Philippe qui m’a proposé, ce que je n’aurais jamais osé demander : éditer le livre en format carré. Ils m’accordaient leur confiance. C’était super. »
L’anthologie connaît un succès immédiat. Rapidement, le livre est réédité en version augmentée. Une mise à jour rapide qui a ses mauvais côtés, selon l’auteur. « Je l’ai fait deux fois, mais là je pense que je vais arrêter un moment, car les premiers acheteurs pourraient se sentir lésés. Disons que c’est le problème de la chronologie : ça s’arrête à une date X. Si tu fais un travail alphabétique, tu n’as pas ce problème. Je pense que le réactualiserai tous les dix ans. Ce sera moins frustrant. »
L’idée d’un second petit livre arrive sur la table. « Je crois que Philippe Ostermann a dû me demander si j’avais un autre livre-concept en tête. Il ne m’a jamais rien imposé en terme de contenu : je lui ai parlé des Beatles, ça lui a plu. C’était un bon sujet, fédérateur et amusant pour moi qui suit un fan. » Dans la foulée, Bourhis se lance dans un troisième petit livre, consacré à la politique française. Un sujet pas évident de prime abord.
« J’ai appris beaucoup de choses. La masse de travail était considérable, parce que contrairement au Rock ou aux Beatles, j’ai dû me documenter énormément ! Il faut dire que j’avais une certaine pression car ce n’est pas du tout mon domaine, j’avais peur de dire des conneries. Un professeur de Sciences-Po a relu les épreuves, ça m’a soulagé. J’ai une belle relation avec mon éditeur. Philippe Ostermann signe toujours des sujets qui l’intéressent à titre personnel. Mon boulot est un peu sa danseuse. Il signe principalement des gros titres, des locomotives du catalogue. D’ailleurs, aujourd’hui, il n’est plus éditeur mais patron éditorial de Dargaud en France. Il a tout même conservé un petit panel, les 3B : Bouzard, Brüno et moi. »
« Le Petit Livre de la Cinquième République » connaît un revers commercial. « On n’en a vendu 4.500 exemplaires, c’est peu, comparé aux 30.000 exemplaires (en France) et 60.000 (tout pays confondus) du « Petit Livre Rock ». » Les raisons ? « C’est compliqué de parler de politique en bande dessinée. D’autant qu’il est sorti en même temps que « Quai d’Orsay » , qui est un grand livre, même si les approches n’ont rien à voir. »
En 2014, Bourhis s’attaque au « Petit Livre de la Bande Dessinée ». Une montagne à traiter et pour laquelle il a besoin d’un renfort « J’avoue : tout seul, je ne l’aurais pas fait. Si j’ai bossé avec Terreur Graphique, c’est d’abord parce que depuis trois ou quatre ans qu’on se connaît, on est devenu très copains. En allant chez lui, j’ai vu sa bibliothèque, et j’ai su qu’il était le partenaire idéal. Sa collection est très vaste, à la fois pointue et populaire. Il a des Little Nemo comme des Petit Spirou, des indés improbables, des trucs de cul, du manga, des comics… »
En ressort un livre d’une grande richesse, qui donne envie à tout amateur de bande dessinée de ressortir la moitié de sa bibliothèque. « Je crois que la passion est communicative et Terreur a un discours sur la bande dessinée. Il a un avis éclairé, un point de vue. Il a lu, comme moi, plein de bouquins sur le sujet, monographies, entretiens, analyse, c’est un fin connaisseur. Je ne voulais pas faire « Le Petit Livre de la Bande Dessinée » tout seul, pas pour le travail, mais pour la responsabilité ».
L’un des risques d’un catalogue subjectif comme celui ci, c’est la réaction des autres auteurs. Certains peuvent être contents d’être au générique. D’autres vexés de ne pas y être (sans compter ceux à qui Bourhis et Terreur taillent un costard). Les deux auteurs ont navigué en toute liberté et subjectivité… « Évidemment, Dargaud nous a donné une totale liberté de ton ! On a simplement inséré une petite phrase pour dédouaner notre éditeur en début de bouquin. Nous nous sommes immergés dans le sujet, en évacuant beaucoup de choses. On ne parle pas nécessairement des copains. On se fiche de se que les autres pourraient en penser. On a suivi notre idée et fais notre histoire de la bande dessinée. Quand le livre est sorti, on s’est rendu compte que des gens pourraient se sentir blessé. Mais ce n’est absolument pas prémédité. Ce n’est pas le Petit Livre des Copains ou des Ennemis. C’est notre vision de la bande dessinée. Parfois, Terreur et moi n’étions pas d’accord sur des albums de l’année. On a négocié. C’était excitant de faire nos listes. »
L’ouvrage a été réalisé à quatre mains, suivant une conception graphique efficace.
« On utilise un canevas mis en place depuis le premier petit livre : un gaufrier, modulable, qui nous donne une structure souple. On a choisi de trier les infos pour faire une hiérarchie logique. On a storyboardé ensemble. Et puis on a séparé le boulot : chacun était responsable éditorial d’une année sur deux. Bon, ceci dit, on s’est invité l’un l’autre, si bien qu’on est présent à plein de pages, en commun ».
À la lecture du « Petit Livre de la Bande Dessinée, » on constate que plus on avance dans le temps, plus les albums de l’année sont pointus…. « Oui, on a remarqué. À partir des années 1960, il y a la bande dessinée adulte : soit du cul, soit une ambition artistique plus importante ou assumée. Franquin c’était sublime, mais il ne fallait surtout pas lui dire. C’est quelque chose que l’on rencontre chez tous les Belges de cette génération, qui ont passé leur vie à dire qu’il ne faisait que des petits dessins dans leur coin. Alors qu’ils étaient énormes artistiquement. Bon, au bout d’un moment, il y a des gens qui se sont assumés d’un point de vue artistique, c’était une véritable scission. Elle n’existait pas à l’origine. Winsor McCay ou Hergé étaient à la fois hyper-populaires et incroyablement pointus. Aujourd’hui, c’est un phénomène qui a disparu. D’un côté tu as les ventes massives qui sont calibrées, sans réelle prétention artistique, et d’autre part les expérimentations, qui ne touchent plus le grand public. C’est une réalité contemporaine. On le sait, on trouve ça dommage qu’il y ait un manque d’ambition dans la bande dessinée populaire, mais il était impossible de faire autrement que de le refléter dans nos choix. C’est un grand écart hyper-difficile. Car l’offre est incroyablement grande, on ne voulait pas faire un catalogue exhaustif. »
Une subjectivité et un humour omniprésent qui permettent à Bourhis et Terreur Graphique de ne pas faire de leur « Petit Livre de la Bande Dessinée » un ersatz de BDM. Font-ils œuvre d’historiens pédagogues, tels des rejetons bâtards de l’Oncle Paul ? « J’espère qu’on est moins pénibles et édifiants que l’homme à la pipe ! Ceci dit, je pense que la bonne recette, c’est alterner la grande et la petite Histoire. »
(par Morgan Di Salvia)
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Photos © M. Di Salvia
Illustrations © Bourhis / Terreur Graphique – Dargaud (sauf mention contraire)
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A la Galerie Bruxelles-Paris, du 15 au 29 novembre 2014.
Galerie Bruxelles-Paris
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