« - En fait, tu sais, l’idée de la revoir me plaisait bien ». De qui parle Louis ? D’Agathe, une ex qui l’a convié à une invitation ? Ou bien de la Loire, au bord de laquelle s’était déroulée leur histoire d’amour ? Dans cette première bulle, tout est dit de la double lecture possible de cet ouvrage.
De l’histoire elle-même, on ne veut pas priver le lecteur de la joie de la découvrir et on se contentera juste du début : Louis ne sera pas seul, tous les ex d’Agathe ayant été conviés. Mais, Agathe se fait attendre...Une personne, elle, est bien là par contre : il s’agit de Loire, sans article donc et cela fait toute la différence. C’est là que réside, à notre sens, le plus grand intérêt, ainsi que la nouveauté de cet ouvrage. « Penser comme un fleuve », voilà qui n’est pas banal mais est riche d’avenir, puisqu’il s’agit de conférer une personnalité juridique à un fleuve (ou à tout autre élément naturel), ce qui est déjà le cas ailleurs dans le monde, que ce soit en Nouvelle Zélande avec le fleuve Whanganui ou au Canada.
Etienne Davodeau renvoie d’ailleurs ses lecteurs aux auditions du Parlement de Loire (coordonnées par Camille de Toledo), à la fin de son ouvrage. Dès l’exergue, Davodeau avait tenu à placer son récit sous les meilleurs auspices, en citant deux des meilleurs philosophes/anthropologues français de la nécessaire prise en compte des non-humains, à savoir P. Descola et Bruno Latour [1]
Davodeau réussit le tour de force de donner la parole au cours d’eau, qu’il connait bien dans sa partie angevine. Cela nous vaut de très beaux dessins à l’aquarelle du fleuve et de ses berges, entre Les Ponts-de-Cé et Montjean-sur-Loire environ, en passant par Savennières et Chalonnes et que les Ligériens se feront une joie de retrouver. Les cases s’élargissent ou s’agrandissent, le texte s’absente, pour qu’on puisse mieux contempler le fleuve, mais aussi la faune et la flore qui s’y sont développées, nous faisant du coup oublier les visages, corps et mains dessinés plus rapidement.
Si l’on sent bien le point de vue de Davodeau, celui-ci donne aussi la parole à ceux qui voient les choses différemment. Comme Jalil par exemple, qui nous dit que l’avion, depuis les années 1960, a été vu « comme un fantasme, puis comme une banalité. Maintenant, c’est une honte » (p. 55). Tout a changé en effet, le temps d’une à deux générations, dont les relations sont elles aussi évoquées avec finesse.
Comme le laissait présager la très belle couverture, voilà donc un très bel ouvrage, tant sur la forme que sur le fond, qui en dit beaucoup sans être bavard. Que demander de plus ?
(par Philippe LEBAS)
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[1] Décédé il y a un an, non sans avoir convié Etienne Davodeau lors de l’émission de La Grande Librairie du 23 février 2022 (indisponible sur le site de France 5 malheureusement, mais dont on peut trouver des extraits ICI sur youtube).