Corée du Sud, 1997. Yongmin, étudiant et dessinateur, découvre l’ampleur de ce que l’on nomme "le massacre de Gwangju" au début des années 1980, l’impunité de ceux qui l’ont perpétré et constate que son pays s’avère finalement plus loin de la démocratie que ce qu’il pouvait en espérer. Il rejoint des mouvements de protestation et finit arrêté à la suite d’une manifestation. Dans l’attente de son procès, il est incarcéré dans un centre de détention au sein duquel il va devoir partager pendant quelques mois le quotidien d’autres détenus.
Le récit de Yongmin recoupe bien entendu l’expérience personnelle de son auteur, Kim Hong-Mo. Le jeune étudiant révolté est entretemps devenu une figure du manhwa. S’il s’est construit, après cette période agitée de sa vie, en marge de cet engagement, sans toutefois le renier, il y revient donc des années plus tard, difficilement (l’écriture et la publication lui prendront une dizaine d’années). Il ne sera d’ailleurs pas question de l’après, qui reste comme un angle mort du récit, assumé et partiellement expliqué dans l’épilogue.
Globalement doux et positif dans le ton adopté et les portraits brossés, Ma Vie en prison témoigne néanmoins d’une évidente acuité du regard sur le politique coréen, ses espoirs et ses désillusions. Car n’oublions pas que Kim Hong-Mo fut inscrit sur différentes listes noires des autorités : celles des artistes et celles des 300 personnes à surveiller selon les services de renseignement. Au final, c’est bien de la liberté d’expression qu’il est, de diverses manières, question dans cet ouvrage.
Par un habile jeu de contrastes, le récit balance l’itinéraire individuel enfermé avec le mouvement collectif réprimé. La petite histoire sert de révélateur à la grande tout en éclairant de petits destins personnels, chaque prisonnier devenant l’occasion d’une historiette capable de dire aussi des choses sur la société coréenne.
Graphiquement, le noir et blanc rehaussé de lavis gris employé par Kim Hong-Mo confère un cachet indéniable à cette étrange entreprise mémorielle qui interroge tout autant son auteur que l’objet dont il s’est saisi à savoir l’histoire récente de la démocratie en Corée.
On notera enfin que le volume est encadré par deux textes passionnants. D’une part l’épilogue de l’auteur, qui permet de comprendre certains choix narratifs. Il est toujours précieux de pouvoir ainsi suivre une démarche créatrice. D’autre part une préface de Alain Delissen, directeur d’études à l’EHESS spécialiste de la Corée, qui ne se contente pas de simplement contextualiser le propos de l’ouvrage mais en donne une perspective de lecture d’une formidable richesse.
Kana propose ainsi avec cet album l’un des très beaux récits de cette année 2020 dont la sortie initiale, contrariée par la crise du Covid-19, s’effectue à présent dans un contexte où il résonne avec force : entre méditation sur l’enfermement et réflexion sur la répression politique et les violences policières, il semble que l’actualité donne une portée singulière à Ma vie en prison.
(par Aurélien Pigeat)
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Ma vie en prison. Par Kim Hong-Mo. Traduction Yeong-hee Lim et adaptation Mélanie Basnel. Kana, collection "Made In". Sortie le 15 mai 2020. 224 pages. 18 euros.