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Mathieu Sapin : "Le but est de désacraliser la page de BD à l’européenne"

Par Laurent Boileau le 27 mars 2010                      Lien  
L'année 2010 s'annonce chargée pour Mathieu Sapin. Elle a démarré sur les chapeaux de roues avec la sortie en janvier de Feuille de choux, le making of en bande dessinée du film Gainsbourg (une vie héroïque) de Joann Sfar, puis de deux tomes de MKM (Mega Krav Maga), un nouveau délire graphique et narratif cosigné avec Frantico, sur une idée de Lewis Trondheim.

Comment vous êtes-vous retrouvé à réaliser Feuille de choux ?

Mathieu Sapin : En fait, le pré-tournage du film commençait tout juste, lorsque Lewis Trondheim m’a proposé de le suivre pour faire comme un reportage. J’ai dit oui tout de suite et une semaine après, je me suis retrouvé à observer les essayages des costumes, les décors, les effets spéciaux…

C’était votre première expérience dans le cinéma ?

M.S. : Oui, je ne connaissais rien du tout au cinéma ; c’était une découverte totale. Je n’avais pas besoin de surjouer : la curiosité, c’était sincère.

Pour vous, quels attraits avait cette aventure dessinée ?

M.S. : Le but pour moi, c’était de raconter une histoire mais avec des personnages réels, d’une équipe qui construit un film. Je suis très content quand on me dit que ça se lit comme un roman. Il y a une montée en tension et une forme de suspens qui étaient réelles, puisqu’à tout moment, il peut y avoir un problème dans le film (et il y en a eu mais ils ont été surmontés). Ce qui était très curieux, c’est que d’habitude quand j’écris, c’est de la fiction totale, tandis que là, j’avais un matériel qui était la réalité et en la racontant elle devenait une histoire.

Mathieu Sapin : "Le but est de désacraliser la page de BD à l'européenne"
Rien n’est inventé ?

M.S. : Non. Je n’ai absolument inventé aucune ligne de dialogue. Tout ce que j’apporte c’est le regard, c’est la manière dont je rapporte les choses ; mais tout ce que je raconte ce sont des choses que j’ai vues et entendues.

Comment avez-vous procédé sur le tournage ?

M.S. : J’avais juste des carnets. J’ai dû prendre quelque chose comme 600 pages de notes ! Je les avais toujours avec moi et je dessinais quand j’avais le temps ce qui n’arrivait pas souvent finalement. La plupart du temps, je prenais beaucoup de notes écrites et aussi des photos qui m’ont servies à redessiner des scènes. Je me suis surpris à développer des facultés de mémoire que j’ignorais chez moi. Aujourd’hui, ça s’estompe, mais sur le moment je retenais des pans entiers de conversations et j’étais capable de retrouver une phrase qui avait été prononcée la semaine d’avant dans tel contexte. C’était assez impressionnant de voir ce que peut stocker le cerveau quand il est vraiment mobilisé !

Les dessins étaient-ils réalisés au fur et à mesure du tournage ou bien à la fin ?

M.S. : Je dessinais vraiment le maximum au fur et à mesure, mais les journées étaient tellement denses que je n’avais pas du tout le temps sur le moment de finaliser les pages. Et il se passait tellement de nouvelles choses le lendemain qu’il fallait que je fasse le choix, soit de rater des scènes, soit de prendre le temps de finaliser mes pages. Il y avait donc une espèce de course, un marathon… Ce n’était pas stressant, c’était plutôt haletant.


Par manque d’une vision globale de l’album, n’y a-t-il pas un danger de dessiner des scènes finalement anecdotiques ?

M.S. : J’ai viré des pages, mais surtout j’en ai contractées. Par exemple, si j’avais 6 pages de notes avec des dessins, je me débrouillais pour en faire deux pages. Il y a aussi une scène que j’ai racontée sur 6 pages et finalement, cette scène a été coupée au montage. Mais évidemment quand j’ai pris mes notes, je ne le savais pas. Tout cela était très intuitif. C’était assez agréable de travailler comme cela parce que cela oblige à être toujours concentré ; il y avait un côté un peu "live". Mais, finalement, c’est un gros mensonge, dans la mesure où, quand on lit le bouquin, on peut penser que tout à été fait sur place, alors que c’est complètement impossible…

Avez-vous suivi la post-production du film ?

M.S. : Feuille de choux s’arrête le dernier jour du tournage. Mais un deuxième livre qui paraîtra avant l’été, racontera toute la post-production du film et la sortie du film, l’accueil du public… Ce livre sera moins épais, mais tout aussi intéressant (en tout cas pour moi !), parce qu’il y a plein de choses dont j’ignorais même l’existence, comme le congrès des exploitants où l’on montre le film en avant-première, où l’on doit vendre le film juste avec quelques images…


Les producteurs du film ont-ils eu leur mot à dire sur le contenu du livre ?

M.S. : Avant de se lancer dans l’aventure, nous avions défini les modalités, mais Joann et Lewis ont insisté pour que j’aie carte blanche pour pouvoir raconter ce que je voulais. Donc, pendant l’élaboration, personne n’a regardé mes pages et j’ai commencé à les prépublier sur le site dédié au film. Quand je suis arrivé à la fin de l’écriture, j’ai montré l’ensemble des planches aux producteurs qui m’ont fait quelques remarques. Mais c’étaient surtout des inexactitudes techniques ou des choses que j’avais mal comprises ou mal interprétées. Ils m’ont aussi demandé de ne pas citer certains noms qui pouvaient causer des préjudices à des personnes ou à des sociétés. Je n’ai pas voulu les enlever, je les ai juste rayés pour que le lecteur voit que je fais allusion à quelqu’un mais il ne sait pas qui. En même temps ils ont été très fairplays parce que je ne dis pas toujours du bien de la production, je montre aussi les imperfections, et il n’y a pas eu de problème à montrer ça.

Finalement, que retenez-vous de cette aventure ? La découverte du cinéma ou l’exercice de style qui consiste à couvrir un événement ?

M.S. : J’ai adoré cette forme de narration qui consiste à parler du vivant, du réel, mais avec un œil subjectif et personnel. C’est informatif, mais c’est avant tout un regard. Ça m’a tellement plu, que j’ai envie de retenter l’expérience, mais sur un domaine autre que le cinéma.

C’est une forme de journalisme ?

M.S. : Oui, mais avec le côté faillible du type qui fait part de ses impressions. Je n’ai pas vocation à être exact dans ce que je raconte. Je ne sais pas si on peut parler de journalisme mais en tout cas de interaction entre fiction et réalité.


Toujours aux Editions Delcourt, vous publiez MKM (Mega Krav Maga). Quelle est la genèse de cette nouvelle série ?

M.S. : Comme beaucoup de mes projets, le point de départ, c’est de s’amuser et d’essayer des choses nouvelles. Avec Frantico, nous avions envie de travailler ensemble. Mais l’idée était d’être vraiment sur un pied d’égalité au niveau de l’écriture et des dessins. L’enjeu était donc de trouver une écriture qui soit à la fois individuelle et propre à chacun mais en même temps complémentaire. Nous voulions raconter un récit à deux que le lecteur puisse suivre sans être perturbé par le passage de l’un à l’autre.

Il y a une forme de ping-pong dans l’écriture…

M.S. : Nous nous sommes déplacés ensemble sur les lieux que nous évoquons. Et le jeu était vraiment, en effet, de faire du ping-pong entre nous. Il y a aussi un côté improvisation puisque nous mettons en scène nos personnages qui entretiennent une correspondance à travers un blog et qui sont pris dans une histoire qui les dépasse. De ce fait, ils n’ont pas le temps de faire des pages bien soignées. C’est quelque chose qui peut dérouter parce qu’il y a un côté très "jeté" mais qui est justifié par l’histoire. Et il y a un jeu comme ça avec le lecteur qui se demande si c’est du lard ou du cochon.


Comment s’est déroulée la publication sur le vrai blog ?

M.S. : Pendant les semaines qui ont précédé la sortie du livre, il y a eu plein de gens qui se sont demandés "mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?", "quel est le vrai du faux ?", "qui est qui, qui fait quoi ?". Les internautes nous faisaient leurs commentaires et c’était amusant.

Les pages étaient mises en ligne au fur et à mesure de la création ?

M.S. : Non, tout était terminé, mais les gens ne le savaient pas forcément. Les réflexions que nous avions ne pouvaient pas interagir sur la suite puisqu’elle était déjà écrite et dessinée depuis longtemps.

En quoi le format joue sur l’écriture ou sur le dessin ?

M.S. : Le but est d’essayer un format manga avec beaucoup de pages qui se lisent très vite, et de désacraliser la page de BD à l’européenne où ce sont de belles pages où l’on passe du temps. Moi je suis très content si les lecteurs prennent le bouquin et tordent la couverture pour le lire plus confortablement dans le train. Je n’ai pas forcément le culte du bel objet en BD, même si je n’ai pas non plus envie qu’on joue au foot avec mes albums !

(par Laurent Boileau)

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Photo © L. Boileau
Illustrations © Sapin/Delcourt

 
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15 Messages :
  • Belle façon de justifier son potage,mais à cracher dans la soupe "je n’est pas forcément le culte du bel objet en BD" on court le risque de se couper de son public de base.

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    • Répondu par marcel le 30 mars 2010 à  13:04 :

      Plume occulte votre pseudo est excellent, vraiment très drôle,il fallait que je vous le dise.
      n’attrapez pas froid au crazy horse garnement !

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      • Répondu par la plume occulte le 31 mars 2010 à  09:13 :

        Il me vient de mon oncle sarkozyste :"LE CRISSANT CLAVIER",c’est vous dire si c’est un grand comique...

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  • Je voudrais juste revenir sur la dernière question, moi je ne veux pas tordre ma BD surtout au prix que je les achète et j’ai du respect pour le travail de l’auteur, j’ai le culte de l’objet et j’aime prendre mon temps sur les belles pages ! Stop à la société de consommation vite consommée, si c’est ça l’avenir de la BD, ça sera sans moi !

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    • Répondu par mikekafka le 29 mars 2010 à  15:44 :

      La BD européenne actuelle n’a rien de sacré .. il y a 20 ans peux être ... on aurait pu faire ce genre de déclaration (que je trouve prétentieuse ...

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    • Répondu par marcel le 29 mars 2010 à  22:58 :

      je n’en peux plus de cette médiocrité graphique !
      halte au tout publiable ! révolution !

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      • Répondu par marcel le 30 mars 2010 à  18:21 :

        Tu ne désacralises rien du tout Mathieu, tu fais moins bien et tu accompagnes ce vide d’un baratin prétentieux.
        J’échange 2000 de tes pages contre une courte histoire de...Chaland par exemple.

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  • en n’achetant pas sa série MKM. Je n’ai rien contre lui, il est intéressant dans Feuille de choux ou chez Poisson PIlote. Mais MKM, c’est vraiment pas mon truc, même avec Frantico et Trondheim. Ce n’est pas parce que l’on porte des noms connus, messieurs Frantico & Trondheim, que l’on peut publier n’importe quoi fait très rapidement ! et qui essaie de ressembler à du manga !!

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  • il y a 30 ans dans les bd Elvifrance, ont trouvait ce slogan paillard : "Ras l’cul des bédérastes qui fourguent des merdes à prix d’or !"

    slogan hélas encore d’actualité...

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  • Dans MKM, on est effectivement dans la société de consommation, on nous propose une bédé mal dessinée, mal pensée... c’est pas grave, il suffira de mal la lire dans les transports publics. Faux lancement blog (arrêté au moment du festival d’Angoulême), alignement de clichés sur divers pays sous prétexte d’humour, humour de nerd, de geek, de scout, de premier de la classe... pitié

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  • Mes petits élèves du mercredi après midi, à qui j’enseigne le dessin, et ben,
    sans s’en rendre compte ils désacralisent encore plus !!!

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  • ...désacraliser la page bd. alors que fondamentalement, la page bd reproductible est par essence loin de l’objet unique admiré à outrance par le bourgeois...ok, il y a eu peut être à un moment une dérive, un goût pour la belle page, qu’on placarde au mur en dehors de toute narration....mais tout de même, rien n’étais plus commun et ordinaire et pour cette raison même , méprisé qu’une planche bd à ses débuts.

    De plus, désacraliser la page bd, il faudrait qu’il en parle à son pote sfar, qui lui laisse de côté l’objectivité du conteur pour laisser place à un univers égocentrique,( talentueux certes, et poètique ) parfaitement le genre de travail que la bourgeoisie âadore sacraliser.....

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  • dire qu’à l’époque, cauvin est devenu scénariste car considéré comme piètre dessinateur...
    ce monsieur sapin ne voudrait pas faire que du scénar, rien que pour éviter de me faire mal aux yeux !

    et il y a tant d’auteurs talentueux qui ne trouvent pas d’éditeurs à cause de gens comme ça !

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    • Répondu le 1er avril 2010 à  14:54 :

      d’ailleurs même un dessin dédicacé de cauvin est 100 fois mieux que "ça"...on marche sur la tête.

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      • Répondu le 1er avril 2010 à  22:12 :

        De plus, le prix de sa BD est loin d’être désacralisé, lui !

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