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Olivier Martin & Sylvain Runberg ("Cases blanches") : « La pression économique peut effectivement amener à broyer quelqu’un. »

Par Charles-Louis Detournay le 20 janvier 2015                      Lien  
À l'unisson, scénariste et dessinateur développent un récit sensible et haletant qui dépeint les difficultés d'un homme seul, enfermé dans son blocage artistique, empêtré dans les mensonges qu'il aligne pour cacher la vérité à ses proches.

Olivier Martin & Sylvain Runberg ("Cases blanches") : « La pression économique peut effectivement amener à broyer quelqu'un. »D’où est venue l’idée de traiter d’un dessinateur de bande dessinée souffrant du syndrome de la page blanche ?

Sylvain Runberg : Je voulais parler d’un homme qui subit un succès qu’il n’attendait pas. Artistiquement, notre personnage se retrouve bloqué et commence à mentir à lui-même et à ses proches. Cela permet de présenter un auteur face à son œuvre. J’ai travaillé en tant que libraire, éditeur puis finalement auteur, je voulais dévoiler les arcanes du métier, les coulisses de la bande dessinée,.Des lecteurs m’avaient souvent demandé quels étaient les rapports entre les différents acteurs, je les explique ici.

Olivier Martin : Lors de [notre dernière collaboration avec Sylvain, Face cachée, chez Futuropolis [1] , on se demandait ce qui nous ferait plaisir dans un nouveau projet. En notant des envies qui me venaient, je voulais changer d’ambiance, de nature, d’espace vert, avec un brin de fantastique. Et comme nous évoquions notre métier, le mainstream, l’underground, les soucis du quotidien, Sylvain m’a parlé de ce projet qui le taraudait depuis dix ans. Il a donc mêlé cette idée de nature au métier de la bande dessinée.

Vous avez joué sur le découpage et l’ouverture des cases afin d’illustrer la pression croissante qui s’opère sur cet auteur ?

SR : C’est aussi un thriller, je voulais monter crescendo la tension, car notre auteur ne peut plus faire face à ses mensonges. La bande dessinée se paupérise. Lui qui est à l’abri, il ne peut parler de son blocage, car il en a honte...

OM : Lors du découpage et du storyboard, j’ai effectivement ouvert les cases au début, puis on a joué sur le cadrage afin que le lecteur sente l’oppression progressive.

Quelle est la part d’autobiographie dans votre album ?

OM :Le personnage de Vincent qui enchaîne des albums, c’est une bonne part de moi-même, avec ses limites bien entendu : je ne mens pas à mes proches. Mais je me reconnais dans son parcours, dans les séances de dédicaces. Avant de dessiner ces planches, je me suis inspiré des carnets que je réalisais dans les festivals, croquant les files d’attente. Cela a été un réel plaisir de les retranscrire.

SR : Ce ne sont pas toujours des choses que j’ai vécues, mais il y a des anecdotes authentiques, comme cette personne qui avait dessiné plus de 80 planches et qui me les apportait en dédicace en me demandant où elle pouvait les publier, ce qui montre que beaucoup de gens ne savent pas comment fonctionne le monde de la BD. Si le cœur de l’histoire est la problématique du créateur face à son œuvre, il y a un plaisir d’éviter les clichés, de montrer comment cela fonctionne, avec les frictions qui arrivent naturellement lorsque les protagonistes ont des visions différentes.

Sylvain Runberg et Olivier Martin, lors d’une séance de dédicaces au festival international de BD de Stockholm 2014.
Photo : Per A.J. Andersson - Creative Commons Licence (Wikipedia).

Vous présentez tout de même un marché qui broie l’auteur, qui l’empêche d’une certaine façon d’exprimer sa créativité…

SR : Le monde de l’édition n’est pas plus pur que d’autres, et nous avons heureusement pas mal de personnes passionnées. Mais la pression économique peut effectivement amener à broyer quelqu’un, mais ce n’est pas lié uniquement à la création, ni à la bande dessinée.

Vous confrontez un auteur qui réussit malgré lui, à un autre qui reçoit un succès d’estime mais peine à vendre ses albums. Vouliez-vous démontrer la paupérisation actuelle des auteurs, notamment avec cette vraie/fausse interview en postface ?

SR : Beaucoup de livres très reconnus ne se vendent effectivement pas, malgré les prix qu’ils peuvent recevoir. L’écriture de ce récit s’est réalisée il y a trois ans, et la situation des auteurs est encore pire maintenant. C’est pour cela que j’ai écrit cette interview factice, afin de coller à l’actualité. Des acteurs du métier tentent de trouver des solutions. Outre les auteurs, ce sont différents métiers qui en sont périls actuellement, et je voulais l’expliquer au lecteur.

Comment s’est défini le traitement graphique de cette histoire ?

OM : Nous voulions continuer sur la lancée de notre précédente collaboration tout en sortant du gris de Face cachée. Dans la gamme de tons de mes carnets, je voulais évoluer et cela collait au niveau psychologique du héros. Et puis, l’encrage de type classique ne me permet pas toujours de laisser transparaître toutes les émotions des personnages, j’ai donc choisi de garder ce style crayonné, mêlé de lavis afin conserver l’esprit punchy de mes esquisses.

Je n’arrête pas de travailler cela depuis 25 ans ! Le crayonné permet une énergie et des émotions. L’élégance de l’encrage comporte également ses avantages, mais je pense que cela fige mon trait de manière générale. Comme on perd lors cette étape, et je voulais essayer de la maintenir avec cette nouvelle technique. Dans une autobiographie, nous avions raison de maintenir cet esprit.

Quels sont prochains projets ? On parle, Sylvain, d’un projet avec Berthet...

SR : Avant tout, sortent François sans nom chez Quadrants, Trahie chez Dargaud (une adaptation), puis Orbital T6 et Millenium T5 chez Dupuis. . Et puis, en effet, je travaille avec Philippe Berthet sur un récit dans sa collection Polar.

OM : De mon côté, je travaille sur un album en noir et blanc chez Vents d’Ouest pour une nouvelle collection dont les premiers albums sortiront en 2015. Un couple de scénariste-dessinateur à chaque fois. Je collabore aussi avec L-F. Bollée, à un album sur Charlotte Corday, la femme qui assassina Marat. Suivra ensuite un prochain projet avec Sylvain, bien entendu !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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[1Un album qui a reçu le Prix international du manga en mars 2011.

 
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