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Olivier Sulpice : « Bamboo est le plus petit des grands éditeurs »

Par Nicolas Anspach le 4 mai 2005                      Lien  
En quelques années, {{Olivier Sulpice}} a réussi à imposer sa maison d'édition auprès des lecteurs de bandes dessinées. Certaines des séries humoristiques publiées par Bamboo sont régulièrement classées parmi les meilleures ventes de {Livre Hebdo}. {Les Profs}, {Les Gendarmes} ou plus récemment les {Rugbymen} en sont les meilleurs exemples. Bamboo tente à présent de se faire une place dans une niche plus réaliste -voire intimiste- ({Le Style Catherine, Montserrat, Bouclier Humain}), dans l'aventure/thriller ({Sam Lawry}) ou dans l'heroïc-fantasy. Malgré ce récent succès, qui aurait fait gonfler le cou de certains, Olivier Sulpice reste un homme simple, accueillant et jovial. On le sent habité par une véritable passion pour son métier !

Le premier album des gendarmes (avec Jenfèvre au dessin), dont vous assumiez le scénario, a été publié en 1997 sous votre propre label. Pourquoi avez-vous créé votre propre maison d’édition ?

J’ai toujours souhaité être responsable des différentes facettes qui découlent de mon travail, afin d’être maître de la situation. Je ne me voyais donc pas être édité chez un éditeur. J’ai donc créé le label Bamboo pour nous éditer. Au bout de deux ou trois ans, la situation économique de la maison d’édition était devenue plus saine et nous offrait la possibilité de publier d’autres auteurs .

Comment est née la série "Les Gendarmes" ?

J’ai rencontré Jenfèvre lors de mon service militaire à la Gendarmerie, en 1993. Nous avons donc logiquement puisé dans nos souvenirs - et dans les ambiances que nous avions partagées - pour créer les Gendarmes. En fait, la collection Bamboo Jobs est née naturellement. Nous n’avions pas prévu, à l’époque, de réaliser des bandes dessinées sur différents métiers.

Les mauvaises langues diront que vous utilisez la « méthode Cauvin » en créant des séries d’humour sur des professions...

Ce n’est pas entièrement faux. J’ai toujours apprécié le travail de Raoul Cauvin. Mais je vous le répète, la politique éditoriale de Bamboo est venue naturellement et sans aucun calcul de notre part. Raoul Cauvin a plutôt l’habitude de raconter des gags autour d’un seul héros, exception faite des Femmes en Blanc.

Nous avons plutôt cherché à ancrer les séries dans leurs propres univers : un lycée (Les Profs), une brigade (Les Pompiers, les Gendarmes), etc. Bref, une multitude de personnages, ayant leurs propres caractères, qui vivent en communauté. Ce fut une innovation ! Pica et Erroc n’ont essuyé que des refus lorsqu’ils ont présenté les Profs
aux grandes maisons d’édition. Les responsables éditoriaux n’appréciaient guère de ne pas y retrouver un véritable « héros ».

En fait, nous avons réussi à nous imposer dans un créneau, alors que les éditions Dupuis (pionnier dans l’humour tout public) étaient en perte de vitesse...

Mis à part quelques exceptions, Dupuis semble avoir du mal à renouveler son équipe de scénaristes aussi talentueux et vendeurs que Raoul Cauvin. Le paradoxe est que vous y soyez arrivés.

Des chaînes de grande surface nous ont confié les mêmes propos. En trois ans, nous avons publié une dizaine de nouvelles séries dont le tirage dépasse aujourd’hui les quinze milles exemplaires. Les autres éditeurs spécialisés dans l’humour n’ont pas sorti autant de séries avec le même succès. Bien sûr, leurs séries historiques se vendent toujours bien. Mais on constate qu’ils ont des difficultés à se renouveler. Ceci dit, nous nous concentrons actuellement sur la pérennité des titres existants et publierons donc moins de nouvelles séries.

Nous allons accorder plus d’importance à la collection Bamboo Sport. Le premier album des Rugbymen, paru en janvier, a décollé : le tirage de trente mille exemplaires fut épuisé en deux mois et nous avons dû en imprimer dix mille autres. Nous allons lancer une série sur le basket en juin dans cette même collection.

Olivier Sulpice : « Bamboo est le plus petit des grands éditeurs »
"Basket Dunk"
Un premier tome à paraître en juin.

Quelles ont été vos sources de financement à vos débuts ?

J’ai commencé avec peu d’argent, et fort heureusement, le premier album s’est rentabilisé tout de suite. Durant les deux premières années, je me diffusais tout seul. Je travaillais dans mon agence de publicité jusqu’à quatre heures de l’après-midi, puis téléphonais aux libraires les deux heures suivantes. Le soir, je confectionnais les colis. En fait, je dormais peu, et cela a marché ! Nous avons aujourd’hui une progression régulière. Des investisseurs veulent rentrer dans notre capital. Cela ne m’intéresse pas. J’ai une autorisation de découvert fort large et j’arrive à tenir mes échéances financières sans le moindre problème.

Le succès des Profs était loin d’être attendu. Pica, le dessinateur, avait déjà essuyé plusieurs échecs.

Aujourd’hui j’en rigole souvent avec lui. J’ai édité son plus grand « bide » (Monster Hôtel) et son plus grand succès. C’est un très grand plaisir de travailler avec un auteur aussi professionnel : il sait ce qu’est la vie, et surtout le métier. Il n’a pas la grosse tête...

Comment est née votre collaboration avec Ribera (Monserrat& Jeunesse Bafouée
) ?

Nous avions sympathisé lors des festivals. Un jour, il m’a appelé pour me présenter son projet autobiographique. Il voulait que je l’édite. A l’époque, je ne connais pas du tout le Vagabond des Limbes. Ribera a une personnalité étonnante. Je l’admire beaucoup. Il va réaliser un troisième album où il nous racontera sa vie jusqu’à la mort de Franco.

Où en est le projet de série télévisée sur les Profs ?

Le pilote est tourné, mais nous avons eu du mal à convaincre les chaînes de télévision. La raison est simple : nous n’avons aucune assise dans ce métier si particulier. Aujourd’hui, je connais quelques producteurs et j’aimerais relancer le projet avec eux. Cela me permettrait de me concentrer sur l’aspect créatif de cette initiative. C’est donc un projet qui n’est donc pas abandonné, mais qui n’est plus aussi brûlant qu’à une certaine époque.

Vous avez approché le monde de l’audiovisuel en adaptant en BD une fiction télévisée, "Homos Sapiens".

Je n’étais pas vraiment emballé lorsque l’on m’a présenté ce projet. Et puis, j’ai rencontré Jacques Malaterre... Il m’a convaincu et j’ai été subjugué par ses envies et sa personnalité. Nous avons travaillé ensemble sur cette adaptation. Il s’est beaucoup impliqué dans cette bande dessinée. Le jour où l’album fut terminé, je me suis rendu compte que nos conversations téléphoniques me manquaient. Nous allons sûrement retravailler ensemble. Peut-être sur l’adaptation télévisée des Profs, qui sait ? Il aimerait également refaire une bande dessinée.

En 2002, Vous vous êtes tourné vers la bande dessinée réaliste.

J’avais rencontré Hervé Richez à Angoulême à la fin des années 90. Il m’a présenté les aventures de Sam Lawry. J’avais adoré ce projet qui traitait de la guerre du Viêtnam. Mais je ne pouvais pas le publier pour différentes raisons. Quelques années plus tard, les finances de Bamboo se sont assainies et je bénéficiais surtout des services d’un distributeur confirmé, Vivendi. J’ai donc contacté Hervé pour d’une part publier son projet, et d’autre part pour lui proposer d’accompagner la collection Angle en tant que responsable éditorial. Je désirais créer une véritable collection qui mélangerait thriller, aventure, récits intimistes, etc. Chacune des séries de la collection Angle comprendra des cycles de deux ou trois albums, afin que les histoires se clôturent rapidement.

Que pensez-vous de la surproduction ? De plus en plus de livres paraissent chaque année. Les librairies se disent noyés sous les nouveautés ... Heureux ou malheureux ?

Malheureux ! Des éditeurs signent quatre ou cinq contrats avec le même scénariste, rien que pour accueillir le projet qu’ils considèrent comme étant une pépite potentielle ! C’est une manière d’agir assez dangereuse. Certains éditeurs aimeraient publier moins d’albums. Mais ce n’est pas si facile car la machine est lancée. Les éditeurs sont tenus de respecter leurs obligations. S’ils tiennent parole, le résultat ne se fera sentir que dans deux ou trois ans !
Le tirage moyen des albums diminue à cause de la surproduction. Il y a des titres qui se vendent plutôt bien, mais beaucoup d’autres qui ne dépassent pas les mille exemplaires ! Chez Bamboo, nous publions quelques titres qui avoisinent ce dernier tirage. Malheureusement !

Vous prenez le risque de publier le suivant lorsque vous êtes confronté à un tirage aussi faible ?

Pour les séries à suite, oui ! C’est une question d’honnêteté par rapport au lecteur, même si la série n’est pas rentable. Le lecteur mérite d’avoir un cycle complet, avec une histoire qui se tient ! C’est pour cela que les séries des collections Angle ne comptent que deux ou trois albums.

Quels sont vos grands projets pour 2005 ?

Nous lançons une nouvelle collection intitulée Angle Comics. Nous y publierons exclusivement des bandes dessinées anglo-saxonnes. Mais notre grande priorité est d’asseoir la notoriété des collections existantes, et principalement la collection Bamboo Sport.

Le mot de la fin ?

J’ai appris dernièrement que les éditions Bamboo représentaient 3% du marché en France. Nous avons vendu plus d’un million d’album en 2004. Nous faisons partie des sept plus gros éditeurs, avec Delcourt en ligne de mire. Certaines personnes pensent que nous sommes le plus grand des petits éditeurs. Mais, en fait, c’est l’inverse : Bamboo est le plus petit des grands éditeurs !

(par Nicolas Anspach)

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Le site des éditions Bamboo

Photo en médaillon : (c) NA.

 
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