C’est Julie Birmant, journaliste, productrice à France Culture et dramaturge, que nos lecteurs connaissent déjà grâce à Drôles de femmes dessiné par Catherine Meurisse, qui apporte le projet à Clément Oubrerie, le dessinateur de Aya de Yopougon et par ailleurs l’un des piliers de Autochenille Productions, grâce à l’intermédiaire de l’éditrice Gisèle De Haan chez Dargaud.
L’opus arrive sous la forme d’un roman et la première figure qui y apparaît alors que le jeune Pablo Picasso arrive à Paris est celle du poète Max Jacob. Outre la figure titanesque du peintre cubiste, ce projet suscite un intérêt particulier pour le dessinateur qui a un lien personnel indirect avec l’auteur du Cornet à dés, grand ami des peintres : "C’est un sujet qui m’était très familier. Max Jacob était un ami de mon grand père. Ils ont eu toute une relation épistolaire. Max Jacob a même fait des dessins pour mon grand père que je détiens encore aujourd’hui."
Le problème, c’est qu’au moment où il reçoit la proposition, Oubrerie est sur son film, Aya de Yopougon, une production d’Autochenille qui devrait sortir en salle avant l’été : pas question pour lui de faire l’adaptation lui-même !
C’est ainsi que Jul, le dessinateur de Charlie Hebdo qui s’est fait une solide réputation dans le monde de la BD depuis Il faut tuer José Bové, par ailleurs à la ville le compagnon de Julie Birmant, arrive dans le projet en s’associant avec elle dans l’adaptation.
Cela donne un récit enlevé aux personnages éminemment romanesques, formidablement bien écrit, qui permet à Oubrerie de se concentrer sur le dessin.
Le référent Picasso
Chose périlleuse car comment se frotter à cet ogre artistique sans être dévoré par son talent ? "Ce qui est formidable à cette époque, avant Marcel Duchamp et le Surréalisme, explique Oubrerie, c’est qu’il restait énormément de choses à inventer dans le domaine des arts graphiques. On n’était pas obligé d’être hyper-conceptuel. Même si la démarche de Picasso l’était parfois, on pouvait rester dans le figuratif sans passer pour un ringard et sans être obligatoirement ironique, comme le sont bien des peintres réalistes actuels. Beaucoup de dessinateurs de BD, parmi lesquels je m’inclus, se sont rabattus sur la BD par manque d’ambition dans le domaine complètement bouché de la peinture. C’est une période donc extrêmement réjouissante. Après, la difficulté avec Picasso, c’est sa qualité de référent. Se mettre en concurrence avec lui n’aurait pas de sens. J’ai essayé quand même de changer de technique, de travailler le plus grand possible, pour qu’il y ait au moins un combat avec la matière. Chaque case fait à peu près un A4 ; je ne me suis rien interdit : du fusain, de l’encre, dans une liberté qui était un peu dans l’esprit de Picasso."
Chaque case était donc scannée, puis remontée sous la forme d’une BD.
La documentation qui fonde l’ouvrage se fonde le plus souvent sur le travail de Julie Birmant qui, comme réalisatrice de documentaires, est rompue à ce genre d’exercice. On y retrouve des images connues : La Coupole à Montparnasse, la Place du Tertre, le Lapin Agile... Mais aussi des points de vue rares glanés au cours d’expositions, comme celle sur L’aventure des Stein qui a lieu jusqu’au 22 janvier au grand Palais. On découvre le marchand Ambroise Vollard en géant sûr de lui et Max Jacob comme un petit bonhomme rondouillard et séduisant.
Difficile pourtant d’échapper aux représentations graphiques du maître espagnol : quand Max Jacob "flashe" sur Picasso, le gros plan de son visage évoque sans nul doute son portrait, un visage interpellant : "C’est une rare citation de l’artiste, raconte Oubrerie, car juridiquement, on ne pouvait pas représenter les œuvres existantes. C’est donc volontairement qu’il n’y a pas de citations directes."
Itinéraire d’un moderne
On découvre la bohême absolue de l’artiste. Ce moderne dans l’âme arrive à Paris au début 1900, un Paris qui n’a pas fondamentalement changé depuis le Second Empire et Zola. Il apprend le français en lisant la poésie de Rimbaud, de Verlaine, d’Apollinaire... Le point de vue même de l’ouvrage qui prête la parole à une narratrice qui a été le modèle des peintres de Montparnasse et de Montmartre raconte l’aventure d’une héroïne sortie d’une ambiance de frou-frou digne d’Au Bonheur des dames pour se diriger vers une modernité empreinte de barbarie qui verra Max Jacob finir ses jours à Drancy...
Pablo : Max Jacob est le premier tome d’une série de quatre volumes. Le film Aya de Youpougon étant terminé depuis plusieurs semaines, Oubrerie achève en ce moment le tome 2 cette biographie, lequel sortira à la rentrée 2012 avec un autre ouvrage, cette fois conçu en commun avec Joann Sfar : une BD animalière intitulée Django Renard qui rend, on le devine, un hommage appuyé au Manouche compositeur-interprète de Nuages.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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