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Yves Swolfs : "Je voulais me frotter à une autre génération d’auteurs"

Par Nicolas Anspach le 13 juin 2006                      Lien  
Cela fait un quart de siècle qu'{{Yves Swolfs}} nous captive avec ses histoires. Le créateur de {Durango} aime emprunter de nouvelles pistes pour mieux nous étonner : du récit de genre explorant le mythe des vampires ({Le Prince de la Nuit}) en passant par de l'anticipation politique ({Vlad}), ou encore par des séries au contexte plus historique ({Dampierre}). Aujourd'hui, Yves Swolfs a trouvé sa voie chez Soleil ! La reprise graphique de {Durango} par {{Thierry Girod}} et le troisième {Légende} sont des succès.

L’auteur a eu raison de ne pas se contenter de n’écrire que ses propres récits. Sa route a déjà croisé celle de dessinateurs tels que De Vita, Griffo ou Marc Renier. Le dessinateur des débuts s’est imposé comme un faiseur d’histoire, une valeur sûre du monde de la bande dessinée.

ACTUABD : Après Durango, Dampierre, Le Prince de la Nuit, vous nous entraînez dans une saga moyenâgeuse avec Légende. Vous n’êtes décidément pas l’homme d’une série. Pourquoi changer continuellement d’univers ?

YVES SWOLFS : Pour le plaisir, tout simplement ! Je serais incapable de dessiner vingt albums d’une même série. J’ai abandonné le graphisme de Durango après treize albums car j’avais abordé tous les thèmes que je souhaitais dessiner dans le western. Je voulais donc me consacrer à d’autres univers pour raviver la flamme, et surtout continuer à m’amuser dans ce métier.

Vous pourriez alterner les nouveautés au sein de vos différentes séries, au lieu de les confier à d’autres...

C’est ce que je vais faire à l’avenir. Le Prince de la Nuit est une série qui est terminée, mais il y aura une déviation futuriste que j’explorerai avec un autre dessinateur. Je me pencherai également, dans les prochaines années, sur les mémoires de Kergan. J’ai actuellement quatre synopsis prêts pour ces one-shots parallèles. J’en dessinerai certains.

Les choix narratifs que vous employez dans Légende sont audacieux. La jeunesse du chevalier errant est traitée sous la forme d’un énorme flash back, tout au long des trois premiers albums...

Effectivement. Cela me permettait d’employer des constructions narratives différentes de celles que j’utilise à l’accoutumée. J’ai souhaité complexifier la narration au travers différents flash back qui se succèdent ou qui se superposent. L’histoire du chevalier errant est classique. Il était donc opportun que je recherche l’originalité, d’une part dans la narration et, d’autre part, dans la complexité psychologique des personnages et les relations qu’ils entretiennent entre eux. J’aime qu’ils agissent parfois de manière inattendue...

Yves Swolfs : "Je voulais me frotter à une autre génération d'auteurs"
Extrait du T3 de "Légende"
(c) Swolfs & Soleil.

Jean Van Hamme a dit un jour qu’un scénario consistait en 90% d’inspiration d’autres œuvres et seulement 10% d’innovation réelle. La part d’invention est-elle si réduite ?

Sans doute, bien que je ne sois pas forcément d’accord avec cette proportion. J’ai lu un jour qu’un chercheur s’était amusé à répertorier tous les thèmes existants dans la dramaturgie au fil des différents siècles, de la littérature grecque aux écrits contemporains. Il n’a retrouvé qu’une vingtaine de thèmes différents. Les auteurs traitent donc tous, à leur manière, des mêmes sujets.
Je n’ai pas la prétention d’inventer un thème nouveau. Par contre, j’essaie d’insuffler à mes histoires un traitement particulier. Je suis particulièrement fier du septième album de Vlad qui se termine de manière inattendue...

Vous donnez énormément d’importance aux méchants dans Légende. On assiste même à une véritable lutte de pouvoir entre eux...

L’incarnation du mal que représente ce type de personnage frappe l’imagination des lecteurs. Ils sont aussi importants, voire plus, que les héros. J’ai même fait de l’un deux le personnage principal de l’une de mes séries. Finalement, Kergan a le premier rôle dans Le Prince de la Nuit. Pourtant, c’est un vampire.

Le lecteur ne s’identifie-t-il pas aux Rougemont ?

Pas spécialement ! En dédicace, ils me demandent de leur dessiner le vampire, Kergan, et me pressent de le faire revenir.

Dans Légende, vous bâtissez également l’identité d’un méchant, Eol, en parallèle à celui du héros...

Eol est le pendant du personnage principal. Ils ont été élevés en suivant des règles de vie différents. Le chevalier errant a reçu une éducation naturelle, plus psychologique, et fondamentalement accrochée à la nature. L’autre, Eol, a été instrumentalisé par son père afin de remplir un objectif bien précis. Son père, Shaggan, souhaitait qu’il devienne une machine à combattre, à prendre le pouvoir grâce aux armes. Mais Eol ne va pas suivre le destin qu’on avait imaginé pour lui. Il a été élevé dans un milieu guerrier, sans aucun lien avec sa mère et a été instrumentalisé à un point tel qu’il ne sait plus comment il doit appeler Shaggan. « Père » ou « Maître » ? Sa relation avec son père deviendra de plus en plus floue...

Avez-vous encore l’impression que votre style graphique évolue ?

Je l’espère ! Etre publié par les éditions Soleil était d’ailleurs une suite logique à mon évolution graphique. Je voulais me frotter à une génération de jeunes dessinateurs qui ne partageait pas mes influences. A leur contact, j’ai découvert le talent graphique d’auteurs de comics américains dont j’ignorais jusqu’alors l’existence !
Je me suis intéressé à leurs influences pour faire évoluer mon style, sans le bouleverser complètement. J’ai compris les raisons de la modernité de certains comics, et surtout de leurs spécifications propres : le cadrage, la représentation et la manière de faire bouger les personnages, etc.
J’ai appris énormément de chose en découvrant ces comics et en parlant avec les autres auteurs des éditions Soleil.

Le moine que l’on voit sur la couverture du troisième album de Légende, la grande battue, fait fortement penser à Anthony Hopkins ...

C’est délibéré ! Mais cet acteur est quasiment impossible à dessiner. Certaines personnes sont faciles à représenter graphiquement, mais pas lui ! Je n’en suis pas satisfait. Le lecteur découvrira en lisant l’album que ce n’est jamais tout à fait lui. Ses traits changent au fil des pages...

N’est ce pas tout simplement un manque de maîtrise graphique ?

Non. Je me suis servi du physique de l’un des acteurs de Sleepy Hollow pour le personnage de Kurtz. Il a les traits si caractéristiques qu’on le reconnaît dans mes albums. Anthony Hopkins a des traits forts réguliers, si bien qu’il n’a pas de particularité physique majeure.
Heureusement, un spécialiste du moyen-âge m’a confié dernièrement qu’à cette époque, les moines portaient généralement des grandes barbes. Je vais donc suivre la réalité historique. Mon problème est donc résolu...

Vous venez de citer un film de Tim Burton. Ces films sont plus étranges et fantaisistes que votre univers...

J’adore la plupart des films de ce réalisateur, même si je serais incapable d’écrire des histoires qui s’inscrivent dans la même veine. J’apprécie également beaucoup les univers de David Lynch, Sean Penn ou les frères Coen.

N’avez-vous pas justement envie de réaliser des histoires à contre-courant de ce que vos lecteurs attendent de vous ?

Je l’ai déjà fait, avec James Healer ! Malheureusement, pour des raisons indépendantes de ma volonté, je ne suis pas certain que cette série continuera.
D’une part, nous n’avons pas été soutenus par les éditions du Lombard. Je crois qu’ils étaient heureux que De Vita commence une série avec moi chez eux, mais notre éditeur avait d’autres projets à lui confier. Il commence une nouvelle série qui sera publiée en août dans la collection Portail.
D’autre part, De Vita et moi-même n’avions pas la même manière de travailler. Il voulait travailler avec un scénariste qui lui laisse la liberté de modifier l’histoire. Or, j’estime qu’à partir du moment où le récit est structuré, on ne peut pas modifier des scènes ou changer la fin. Il faut garder une certaine logique...
Je vais probablement écrire une série qui sera dans le même ton pour les éditions Soleil. J’appréciais ce type de récit. J’essaierai d’y régler le « problème James Healer » car je n’aime pas ne pas terminer des choses que j’ai entamées.

Le contact semble bien passer entre vous et Soleil ...

J’ai rencontré Mourad Boudjellal grâce à l’imprimeur Lesaffre. Nous avons parlé pendant une heure, et nous nous sommes directement aperçus que nous pouvions nous faire beaucoup de bien l’un et l’autre en travaillant ensemble. Il a débloqué des fonds pour assurer la promotion de Légende. Je n’ai jamais eu un tel soutien publicitaire chez mes autres éditeurs.
En tant qu’auteur « de bande dessinée classique », je pouvais apporter mon savoir-faire à sa maison d’édition. Il n’avait quasiment aucun auteur "classique" dans son catalogue. Il souhaiterait que je devienne scénariste pour quatre ou cinq dessinateurs, mais malheureusement, je manque de temps...

Crayonné de Girod pour Durango

Pourquoi avoir scénarisé un quatorzième Durango pour Thierry Girod.

Je n’avais pas perdu l’envie de raconter la vie de ce personnage. Par contre, je ne souhaitais plus le dessiner moi-même. Comme je vous l’ai confié, je pense avoir fait le tour du western. J’avais quelques idées dans mes tiroirs, et je voulais les mettre en forme pour un dessinateur auquel je croyais. Différents éditeurs m’ont proposé des dessinateurs au fil des ans. Mais je n’ai jamais été convaincu ! Quand je suis arrivé chez Soleil, Thierry Girod recherchait une histoire à illustrer...

La reprise de Dampierre fut plutôt chaotique. Le troisième album de cette série ne correspondait pas vraiment à votre style, et vos lecteurs ont été déçus. Vous n’aviez pas peur de les décevoir une nouvelle fois ?

Oui. C’est pour cette raison que j’ai attendu si longtemps. Il faut se méfier des coups montés de toute pièce par les éditeurs. Je pense sincèrement que Thierry Girod est le dessinateur qui convient pour Durango. Il est beaucoup plus pointu que moi dans ce domaine. Son style est à la croisée entre le mien et celui de Jean Giraud. On ne pouvait pas rêver mieux !

Combien d’album comportera ce nouveau cycle ?

Trois ou quatre. J’ai déjà une idée pour le prochain qui se déroulera au Mexique.

(par Nicolas Anspach)

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1 Message :
  • Bonjour,
    J’aimait beaucoup, et j’étais lecteur de toutes les series de Mr Swolfs, j" étais fan de ses histoires et de son graphisme, lorsque Mme J. Charrance et Mr T. Girod sont intervenus, j’étais toujours fan,mais pour le dernier Durango, je suis extrêmement déçu du graphisme de Mr Iko et des couleurs de Mr S. Paibreau.
    Si Mr Swolfs ne revient pas à ses anciennes amours, je ne serais plus lecteur. A ce jour ce n’est plus Mr Swolfs, mais un autre.
    Cordialement

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