L’enjeu est de témoigner, avec une sensibilité propre à chaque artiste, pour faire passer ce qui ne peut être transmis ni par un documentaire, ni par un essai, ou partiellement dans un témoignage de procès : la profondeur des sentiments.
Comme pour la Shoah, le curseur se place entre la transcription réaliste, factuelle, de l’horreur et son évocation proprement artistique. Là encore, la bande dessinée s’affirme comme un outil de transmission de la mémoire et de médiation diablement efficace.
Mentionnons le premier d’entre eux : Déogratias de Jean-Philippe Stassen (2000, Dupuis / Coll. Aire Libre). Alors qu’il fallut des décennies pour que le judéocide allemand aboutisse dans le domaine de la BD -tout le monde connaît Maus, désormais, Stassen (actuellement en tournée de conférences sur le sujet aux États-Unis) réalise ce tour de force six ans seulement après les faits. Encore aujourd’hui, cet ouvrage garde sa force d’évocation.
Nous n’avons pas manqué de signaler le travail de Pat Masioni dans le diptyque Rwanda 1994 (scénario de Cécile Grenier & Alain Austini, Glénat, 2011), ni La Fantaisie des Dieux de Patrick de Saint-Exupéry & Hippolyte (Éditions les Arènes, 2014).
On peut y ajouter le reportage Turquoise de Frédéric Debomy & Olivier Bramanti (Les Cahiers dessinés, 2012) à propos de la présence de l’armée française pendant le génocide des Tutsis au Rwanda.
Le même Frédéric Debomy vient de sortir, avec Emmanuel Prost au dessin, Full Stop - Le génocide des Tutsi au Rwanda (Ed. Cambourakis), une enquête sur place effectuée en février 2017, guidé par Alain Gauthier, du Collectif des parties civiles pour le Rwanda et recueillant les témoignages, précises et éclairantes, des rescapés.
Espérons qu’un jour l’une de ces victimes raconte elle-même - comme Miriam Katin dans Seules contre tous- - ce qu’elle a vécu et la difficulté de revenir dans son pays pour continuer à vivre parmi les « génocidaires ».
Il est consternant de constater à quel point des concepts occidentaux aux relents coloniaux (la notion de « race » , la distinction arbitraire entre les ethnies hutues et tutsies…) apposés à même les cartes d’identité, ont pu justifier de tels crimes.
La mention des ethnies sur les cartes d’identité a aujourd’hui disparu, mais le crime continuera longtemps à marquer les esprits.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
LIRE AUSSI SUR ACTUABD :
L’insupportable vérité de Deogratias
Jean-Philippe Stassen : au cœur des ténèbres
La critique de Rwanda 1994 de Pat Masioni, Cécile Grenier et Alain Austini, très critiquée dans le forum
Pat Masioni : « Je dessinais des fois, quand il faisait beau, sur les bancs des squares. Sans compter les nuits glaciales passées à la belle étoile. »
Rwanda 1994-2014 : un bien triste anniversaire