L’exposition, commandée par la ville de Megève, trouve tout son sens dans le décor qui l’entoure : la ville est située au pied du Mont Blanc, à quelque 1100 mètres d’altitude. Ces cimes gigantesques, tout en contrastes et couvertes de conifères, ont de tous temps inspiré les artistes bédéastes, note Thierry Groensteen, historien de la bande dessinée et ancien directeur du Musée de la bande dessinée d’Angoulême : “Le thème de la montagne en BD est aussi ancien que la BD elle-même.”
La première salle de l’exposition plonge ainsi le visiteur ou la visiteuse dans le passé, exposant des planches de la Bécassine de Jacqueline Rivière et Émile-Joseph-Porphyre Pinchon - malheureusement des reproductions : les originales aujourd’hui “trop fragiles pour être prêtées”, regrette Thierry Groensteen - sur lesquelles la servante bretonne étourdie s’enthousiasme pour la montagne qu’elle découvre.
Font face des planches dessinées par Gustave Doré, auteur de BD (ou “d’albums illustrés”) au commencement de sa carrière, tirées de son livre Dés-agréments d’un voyage d’agrément. Même avant cela, nous rappelle l’exposition, le papa de la BD, le Genevois Rodolphe Töpffer, se plaisait à relater le récit des courses dans les Alpes auxquelles il prenait part avec ses élèves.
Le reste de l’exposition propose un découpage thématique assez arbitraire : l’alpinisme, la faune sauvage, ou encore le ski - thème qui devait au départ être celui de l’exposition, rapporte Thierry Groensteen. Chaque salle présente entre deux et quatre auteurs, principalement du franco-belge, 111 des 177 cadres exposés contenant de magnifiques originaux, parfaitement mis en valeur par l’agencement aéré des salles, la présentation de plusieurs pages successives dans certains cas, ainsi que de superbes agrandissements qui se prêtent parfaitement au thème montagnard.
Mieux encore : afin de reproduire l’atmosphère alpine, de discrets haut-parleurs diffusent de temps à autres crissements de bottes dans la neige, ahanements d’alpinistes ou encore chants d’oiseaux et de cigales…
Pêlemêle, on découvre quelques planches de Cosey et de son Bouddha d’Azur, ou de La Cordée du Mont d’Or, dessiné à l’ordinateur par Olivier Balez. La salle consacrée au ski est l’occasion de faire un détour par Les formidables aventures de Lapinot de Trondheim, juste après avoir contemplé le trait plein de douceur du Japonais Jirô Taniguchi dans Terre de rêves. L’exposition se veut éclectique, et propose des originaux du Thorgal de Rosinski et des reproductions d’Astérix chez les Helvètes comme les travaux d’auteurs moins connus du grand public, à l’instar de Vincent Vanoli.
La faute aux multiples difficultés que rencontre tout commissaire d’exposition de BD, certains “grands” manquent toutefois à l’appel : on citera entre autres Jean-Marc Rochette, auteur du Loup, apparemment échaudé par quelques mauvaises expériences avec de précédentes expositions collectives, ou encore l’immense Tintin au Tibet, par lequel Hergé inspira toute une génération de futurs bédéastes montagnards - et tout de même présent dans l’esprit, puisqu’un court-métrage, projeté dans une salle de l’exposition, rappelle l’omniprésence de la légende du yéti dans la BD. Mais également Derib et son Yakari, entre autres, ou encore l’excellent mangaka Gou Tanabe qui s’attelle depuis quelques années à la retranscription ardue des contes lovecraftiens en mangas… Dont les Montagnes hallucinées !
“L’idée n’était pas de tout montrer”, justifie Thierry Groensteen. “Sinon, une telle exposition deviendrait assommante ! Il faut que ça respire. Je voulais plutôt montrer la diversité des approches, des styles et des techniques dont on traite la montagne dans la BD. Cosey [qui n’a que peu de planches exposées], Tintin… ce sont les absences les plus criantes. Mais tout ce qui est exposé me plaît, et j’assume tout ce qui est montré !”
On trouve parmi les auteurs exposés : Olivier Balez, Edmond Baudoin, Georges Bess, Laurent Bidot, Cosey, Michel Crespin, Jean-Marie Cuzin, Nicolas Bedon, Guy Delisle, Gustave Doré, Amélie Flechais, F’murr, Jochen Gerner, Elisa Giacomotti, Gog, Emmanuel Guibert, Nicole Lambert, Max, Joseph Porphyre Pinchon, Albert Robida, Grzegorz Rosinski, Samivel, Jirô Taniguchi, Lewis Trondheim, Guillaume Trouillard, Albert Uderzo et Vincent Vanoli.
Si l’approche par thèmes fera sans doute froncer quelques sourcils, car parfois capillotractée -on eût peut-être préféré une chronologie, plus accessible aux profanes -, l’exposition est une réussite, tant par la quantité que par la qualité des œuvres présentées dans leur diversité relative. On en ressort avec des envies de promenades dans les plus hauts alpages...
(par Pierre GARRIGUES)
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Du 18/12/2021 au 18/04/2022
Du mardi au dimanche – de 15h à 19h
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