Le succès a cette sale habitude : à chaque nouveauté, l’auteur d’une œuvre de grande notoriété est attendu au tournant. Goscinny n’en revenait pas. Il constatait déjà à la fin des années soixante, au début avec amusement, ensuite avec agacement, que la plupart des « critiques » considérait que son nouvel album était moins bon que le précédent : « À chaque nouveauté, disait-il , je baisse ! ». Il ne lui avait pas échappé que le scepticisme croissant des critiques semblait indexé sur la courbe de ses ventes. Le discret Uderzo sait cela. Il lui revient cette sentence de Georges Dargaud, prononcée aux obsèques parisiennes du scénariste : « Goscinny est mort, Astérix est mort ! » Or, Astérix n’a jamais été aussi sollicité, aussi vivant. Alors il reste cet argument, que l’on ressort à chaque fois, puisque « Goscinny est mort » : « il est moins bon que le(s) précédent(s). »
On peut dire que, dans cet album, Uderzo donne même un bâton pour se faire battre : il transforme une BD qui a fait sa réputation en parodiant l’histoire en un étonnant récit de science-fiction. Cette fois, la Gaule n’est pas envahie pas les Romains, mais par les extra-terrestres ! Et quels extra-terrestres ! Ni plus ni moins des parodies de superhéros et de mangas ! Un sympathique petit personnage violet est accompagné d’une cohorte de clones du Monsieur Muscle austro-californien Schwarzenegger déguisé en une sorte de Superman ; face à lui, un méchant Yoda qui aurait choisi la force stupide vole dans une fusée dont les atours font penser à Goldorak [1] et dont les sbires sont ici nommés « Goelderats », « Gueules de rats ? » interroge Astérix, peut-être par allusion à un sketch de Guy Bedos.
Pourtant, si l’on dépasse les préventions suscitées par ces surprises incongrues, l’album se laisse lire. Il est correctement ficelé et plutôt bien dessiné, les séquences s’enchaînent sans heurt dans un récit peut-être un peu trop linéaire. On regrette, comme à chaque fois, de ne pas retrouver le travail sur la langue qui était la marque de fabrique de Goscinny, mais on en conclut qu’Uderzo nous a produit là, pour le moins, un album honnête.
Les bédéphiles que nous sommes sont néanmoins interpellés par la parabole : en clair, les super-héros américains et les héros bariolés japonais ne doivent pas nous impressionner, malgré la puissance de leurs gadgets. Si nous restons nous-mêmes, nous serons irréductibles. Cela, Astérix nous le prouve chaque année depuis quarante ans !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] On se rappelle que l’éditeur d’Astérix de l’époque, Georges Dargaud, était également l’éditeur français de Goldorak à la fin des années soixante-dix.
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