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Bruno Marchand : "Bajram et Mangin ont été touchés par la thématique des coïncidences"

Par Nicolas Anspach le 28 mars 2008                      Lien  
Auteur rare et méticuleux, {{Bruno Marchand}} vient de signer le premier tome d’une trilogie intitulée « Quelques Pas Vers La Lumière ». Avec un style graphique imprégné par la ligne claire, il nous raconte la quête d’une jeune femme, Marianne, qui souhaite percer le mystère de la disparition de son père durant la Seconde Guerre mondiale.

Bruno Marchand : "Bajram et Mangin ont été touchés par la thématique des coïncidences"Pourriez-vous nous expliquer la genèse de « Quelques pas vers la Lumière » ?

Ce récit est né d’une accumulation d’envies. J’ai commencé à travailler sur cette histoire bien avant Little Nemo. En 1989, j’ai présenté plusieurs versions de ce projet à des éditeurs. Ils ont tous été refusés. J’ai écrit une sixième version du scénario en 1997 qui a suivi la même voie. J’ai rencontré Denis Bajram et Valérie Mangin en février 2006 à la Foire du Livre de Bruxelles. Ils m’ont parlé du label Quadrants qu’ils allaient créer pour Soleil. Je leur ai parlé de Quelques pas vers la Lumière. Je venais une nouvelle fois de retravailler le scénario. Je n’avais pas le courage d’aller voir les éditeurs de peur de me faire jeter à nouveau. Denis et Valérie étaient intéressés par mon récit et m’ont demandé de leur envoyer un dossier de présentation.

Qu’est ce qui les a touchés ?

Un élément que je n’osais pas trop mettre en avant, car les éditeurs n’étaient pas enthousiastes à ce sujet : les coïncidences et les hasards ! J’ai vu leurs yeux pétiller lorsque j’ai abordé cette thématique. Ils m’ont mis en confiance et m’ont demandé de développer cette idée…

Votre histoire a-t-elle fortement changée depuis la version de 1997 ?

Le récit était plus simple et plus court. Dans la première version, Marianne partait à la recherche d’indices sur la mort de son père. Elle y rencontrait bien Peter, l’homme qui va l’aider dans sa quête.
Mes histoires naissent d’une envie de dessiner des endroits. J’ai lu un livre sur le Népal, et j’ai souhaité y placer une partie de l’histoire. Mais il me fallait une excuse… Peu de temps après, j’ai entendu parler des soldats népalais qui avaient servi dans l’armée anglaise durant la Seconde Guerre mondiale. Je tenais mon trait d’union.

Le récit est dense, à l’instar d’un album de Blake & Mortimer

Jacobs réalisait des textes narratifs pour décrire les actions de ses personnages. Les miens sont là pour retranscrire leurs états d’âme, ou faire passer un élément que je ne peux pas dessiner. Il y a une différence…

Extrait du T1 de "Quelques pas vers la Lumière"

« Quelques pas vers la Lumière » se déroule dans des villes différentes : Paris, Londres, etc…

J’aime voyager. Changer les lieux des scènes me permettait de varier les plaisirs graphiques. En fait, dans le script d’origine, l’histoire ne se déroulait qu’à Paris et au Népal. Les éditions Casterman m’ont proposé de dessiner une histoire de Lefranc qui avait pour cadre la ville de Londres dans les années ’50. Cela ne s’est pas fait, mais je me suis retrouvé avec beaucoup de documentation sur le sujet. J’ai décidé de m’en resservir lorsque j’ai modifié mon synopsis. Curieusement, les pièces du puzzle s’assemblaient parfaitement bien. Marianne est devenue anglaise suite à cela.

Votre style graphique est dans la lignée de la ligne claire …

Oui. J’ai toujours été proche de la ligne claire. Même dans Little Nemo, où je dessinais les visages de manière épurée. Dans « Quelques Pas Vers la Lumière », on remarque plus cette filiation. La raison est simple : Hergé et Jacobs dessinaient si bien les années ’50.

Peyo disait qu’une couverture devait être visible au format d’un timbre poste…

C’est vrai. À ce niveau, la couverture du premier tome de « Quelques pas vers la Lumière » est une catastrophe (Rires). Je suis plutôt de son avis, mais je ne trouvais pas d’images accrocheuses. Denis Bajram, qui est mon directeur artistique, a réalisé la maquette. Il voulait que ma couverture fasse ressentir à ceux qui la regardent que l’histoire parle de voyage. Il m’a conseillé de mettre un paquet de « photos » derrière les personnages. Je l’ai fait. Il a eu ensuite l’idée d’écrire le titre en verticale sur le côté. Je serais parti vers quelque chose de plus classique. Mais je pense qu’il avait raison. Actuellement, il y a énormément de couverture avec une image-clef, toujours efficace. Celle-ci dénote de ce patchwork…

Dans le milieu de la bande dessinée, j’entends souvent dire que vous êtes un formidable coloriste. Vous n’en n’avez pas marre que l’on ne retienne que cela de votre travail ?

On n’en a jamais marre des compliments. Ceci dit, à un moment on ne me disait que cela. Cela me barbait ! Je m’échinais à faire une belle mise en page, et on ne me complimentait que pour mes couleurs. Aujourd’hui, cela s’équilibre et on me parle aussi de mon dessin !

Extrait du T1 de "Quelques pas vers la Lumière"

Il y a un petit supplément sympathique à la fin du livre …

Denis et Valérie en ont eu l’idée de compléter le livre par des textes : trois ou quatre pages pour présenter l’auteur, deux autres pour décrire le livre en lui-même, et enfin un compte-rendu des actualités de la collection. C’était prévu depuis le début. Tous les livres de Quadrants comporteront ce type de supplément.
Denis et Valérie se sont occupés de la partie créative de l’album. Corinne Bertrand, qui les a rejoints après la création de la collection, s’est chargée de vérifier les textes…

Vous avez dernièrement réalisé un travail de moine copiste en reproduisant des couvertures célèbres…

Oui. Il faut distinguer les fac-similés aux hommages. Pour les fac-similés, j’ai représenté certaines couvertures marquantes en les dessinant telles qu’elles sont imprimées. C’est-à-dire en reproduisant le titre, avec la typographie, et la couleur. Alors que bien souvent les dessins originaux des auteurs étaient en noir & blanc, et qu’ils ne contenaient rarement de titre.
Pour les hommages, j’ai créé des illustrations à la façon de l’auteur. Bien sûr, on reconnaît mon style. Les fac-similés ont intéressé beaucoup de personnes, puisque je les ai quasiment tous vendus. J’ai eu un plaisir de gamin à les dessiner. Lorsque l’on est enfant et qu’on est féru de BD, on recopie les dessins des auteurs que l’on apprécie. Je l’ai refait, mais avec toute la technique accumulée depuis lors. Le plaisir d’enfant est ainsi associé à la technique de l’adulte. Bien entendu, je n’ai eu aucun mérite créatif pour ces fac-similés, mais techniquement c’est vivifiant de se dire que l’on capable de le faire…

Photographie d’un crayonné pour le T2.

N’avez-vous pas l’impression que les lecteurs retenaient plus le travail de Moebius que le vôtre dans Little Nemo ?

Moebius est très présent dans Little Nemo. Mais il n’a rien dessiné. Concernant le scénario, j’ai retravaillé un manuscrit qu’il avait réalisé pour un dessin animé. Je me suis chargé de l’adaptation en BD. Je me suis donc beaucoup impliqué dans ce projet. Les albums suivants, que j’ai réalisé seuls, ne se sont pas vendus. On a perdu 90% des lecteurs. Les gens se disaient : « Ce n’est plus du Moebius, quel intérêt de continuer à acheter Little Nemo » !

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Photos (c) Nicolas Anspach
Illustrations (c) B. Marchand & Quadrants (Soleil)

 
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2 Messages :
  • Bruno Marchand nous montre que des textes narratifs bien conçus (on oublie Jacobs) accompagnent formidablement une BD en accentuant et en facilitant grandement l’effet "ellipse" tout en donnant de la profondeur aux caractères des personnages. Il permet entre autre d’éviter certaines "bulles de pensées", d’aspect parfois naïf, surtout lorsqu’elles sont trop nombreuses. Roger Lécureux en était aussi un orfèvre (Rahan).

    Aujourd’hui, on a coutume de renvoyer la Bande Dessinées vers le cinéma plutôt que vers la littérature, dans l’esprit, en privilégiant les cases sans paroles. C’est l’une des possibilités. L’autre, qui pourrait lui sembler opposée, est la narration "à outrance". Il y a un jeu scénaristique intéressant à retrouver, il me semble...

    (il existe de nombreux exemples de scénarios récents de ce type, bien sûr, et il serait intéressant de s’amuser à les recenser... Mais qu’est-ce qui fait qu’on remarque cet effet ici et pas dans d’autres oeuvres ?)

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  • Je conseille vivement cet album ; tout est bon : dessin, couleurs et scénario ;si les deux autres albums ont le même niveau, on pourra parler de chef d’oeuvre ! Bruno Marchand est rare, alors ne laissez pas passer ce petit bijou.

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