Nous sommes en présence d’un mythe vivant : Georges Clemenceau (1841-1929), 82 ans, ancien président du Conseil. C’est le « Père la victoire » de la Première Guerre mondiale. Médecin, maire du 18e arrondissement pendant la Commune de Paris, c’est un radical de gauche, qui plaida notamment aux côtés de Victor Hugo pour l’amnistie des Communards, anticolonialiste, militant pour la séparation des Eglises et de l’Etat, pour les mesures sociales comme la limitation de la durée légale de la journée de travail, la retraite des vieux travailleurs, la responsabilité des patrons en cas d’accident, le rétablissement du divorce et la reconnaissance du droit d’association et notamment du droit syndical. Homme de presse, il est partisan de Dreyfus lors de l’Affaire, et souffle le célèbre « J’Accuse ! » à son ami Emile Zola. Elu président du conseil, il porte la plupart des causes historiques de la IIIe République. Arrive la guerre qu’il termine en vainqueur, avec le surnom de « Père la victoire ». Mais son pragmatisme, sa volonté d’aboutir rapidement à la paix lui valent aussi le sobriquet peu flatteur de « Perd la victoire ».
En 1923, il rencontre l’éditrice Marguerite Baldensperger, de 40 ans sa cadette, qui vit très mal le décès de sa fille, suicidée après être tombée amoureuse d’un pasteur protestant marié. Le vieux tigre est touché par la détresse de cette jeune femme et conçoit pour elle une sorte de coup de foudre parfaitement platonique : « Mettez votre main dans la mienne. Je vous aiderai à vivre, vous m’aiderez à mourir, c’est notre pacte » lui dit-il.
Elle est certes embarrassée par cette relation qui a lieu au vu de tous, qui fait jaser bien que cette rencontre ne fut pas charnelle. Il ne peut désormais plus se passer d’elle. Il lui écrira 668 lettres passionnées, exigeant des réponses qui ne viendront pas toujours. Clemenceau a une belle plume et commente chemin faisant aussi bien ses actions passés que la politique de son temps. Ces lettres resteront longtemps inédites : elles ne seront publiées que dans les années 1970.
Ces échanges directs et incisifs témoignent des derniers combats d’un homme qui a porté le siècle et le moindre des talents de Benoît Mély est d’avoir su utiliser ces mots tout en mettant en valeur son interlocutrice, Marguerite Baldensperger qui a eu la bonne idée de ne pas détruire les lettres de son « amant ». Il a su transformer ces lettres en un roman épistolaire d’un très haut niveau, y compris dans le dessin : chaque détail est appuyé sur une documentation solide fournie par la Fondation Clemenceau et les Maisons Clemenceau de Mouilleron-en-Pareds et de Saint-Vincent-sur-Jard. Une bibliographie indicative à destination des lecteurs curieux permet de prolonger la lecture. Un travail impeccable.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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