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Dave McKean : « La bande dessinée est mon premier amour, je suis heureux d’y revenir »

Par Morgan Di Salvia le 3 juin 2009                      Lien  
L’illustrateur britannique Dave McKean vient de réaliser un somptueux carnet de voyage sobrement intitulé « Postcards from Brussels ». Rencontre avec ce géant, à l’occasion d’une exposition que lui consacre la galerie Petits Papiers.

Vous aviez déjà réalisé des carnets de voyage sur Vienne, Barcelone et Paris. Est-ce que votre approche a été différente lors de la réalisation de « Postcards from Brussels » ?

Le challenge reste le même : il s’agit d’un carnet de dessins. C’est quelque chose où je travaille d’abord pour moi-même. Je dessine dans différents styles, j’essaie de nouvelles choses. C’est vraiment un travail personnel, comme un cahier d’exercice. Ensuite le choix des villes vient comme un défi. Je vais dans un endroit que je ne connais pas, souvent je réponds à une invitation. Et c’est là que je trouve des différences dans l’exercice, car toutes les villes ont leurs propres caractéristiques. Il ne s’agit pas de faire le guide définitif d’une ville. Pas du tout. Il s’agit juste de ma vision très personnelle d’un voyage, d’endroits visités, de gens rencontrés ou même du souvenir d’un repas.

Alors pourquoi avoir choisi Bruxelles ?

En fait c’est parti d’une invitation de la Galerie Petits Papiers. Le propriétaire de la galerie était intéressé par une exposition de mon travail. Certaines des peintures exposées ici faisaient partie de séries en cours, et pour moi il est très important de pouvoir utiliser ces expositions comme des deadlines dans mon travail. Cela me force à boucler des séries de peintures. Et puis nous avions l’idée d’éditer un autre petit livre à la manière de ceux qui existaient sur Vienne, Barcelone et Paris. Un certain nombre de choses se sont mises en place pour en arriver à ce voyage et cette exposition à Bruxelles.

Dave McKean : « La bande dessinée est mon premier amour, je suis heureux d'y revenir »
Panaché des récents carnets de
voyage de Dave Mc Kean

Vous utilisez d’anciennes cartes postales et d’anciens timbres comme éléments de décor de vos dessins et peintures de la ville, étais-ce dans le but de lier une ancienne vision et une vision contemporaine de Bruxelles ?

Oui en quelque sorte. J’aime ces vieilles cartes. A cette époque, les gens étaient très expressifs dans leurs écritures et dans ce qu’ils y racontaient. J’ai l’impression que l’art d’écrire des lettres et des cartes postales s’estompe. Je trouve que l’on voit le caractère des gens à travers leur choix de carte, leur écriture ou leur signature. L’idée d’utiliser ces vieux documents m’est venue lors du premier carnet à Vienne. J’ai un ami écrivain là-bas qui m’a offert deux vieilles cartes postales. Elles étaient tellement belles ! L’idée du livre est partie de ce cadeau. En l’honneur de cette première étincelle viennoise, j’aime reprendre le principe des vieux papiers ! Dans chaque ville que j’aborde je trouve toujours un marché ou un endroit où acheter d’anciens timbres et d’anciennes lettres. C’est aussi important de remarquer la typographie de la ville. Voir comment l’on a choisi d’écrire son nom sur les cartes, les informations du copyright. Tous ces détails sont très révélateurs. Cela semble banal, mais ce sont des éléments chargés de l’âme de l’endroit.

Est-ce que vous connaissez les carnets de voyage de Dupuy & Berberian ? Vous sentez vous proche de leur manière d’évoquer les sentiments qu’inspirent la ville plutôt qu’une vue réaliste ?

Si c’est effectivement ce qu’ils font, oui j’en suis proche. Je dois vous avouer que je ne connais pas très bien leur travail. Mais j’ai bien sûr remarqué l’immense mur qu’ils ont peint non loin d’ici [1]. Il y a quelques années j’ai été exposé à Louvain juste après leur exposition Bicéphale, ça m’a permis d’apprécier ce duo. Mais je suppose que c’est quelque chose de commun à quiconque entreprend un carnet de voyage. Je suis très ami avec Lorenzo Mattotti, et l’on se rejoint certainement sur notre approche de l’exercice : un aide-mémoire pour se souvenir des sensations éprouvées lors de sa réalisation. Quand vous dessinez vous êtes très concentré sur tout ce qui vous entoure, vous pouvez vous souvenir d’une foule de détails (la musique, le temps, votre propre état d’esprit,…). Encore une fois, je pense qu’il ne doit en aucun cas s’agir de guides définitifs.

Vous êtes un illustrateur et un peintre très demandé, quel plaisir trouvez vous dans la réalisation de graphic novels ?

En fait la bande dessinée est redevenue l’activité qui m’occupe le plus. En ce moment, je travaille sur une nouvelle histoire en bande dessinée qui s’appellera Caligaro. J’ai commencé ma carrière en faisant des comics, ça a été mon premier amour et je suis content d’y revenir. En partie parce que j’ai arrêté d’être distrait par beaucoup d’autres choses. J’ai été ravi d’être appelé pour de nombreux projets en dehors de la bande dessinée, mais je me suis rendu compte que les années passaient vite et que j’avais encore beaucoup de choses à raconter ! Je me suis bien amusé, mais j’ai envie de faire à nouveau des choses pour moi. J’ai également flirté avec la réalisation de films, j’en ai apprécié certains aspects, mais beaucoup de choses échappaient complètement à mon contrôle. Je n’aime pas cette sensation.

Lorsque vous réalisez une bande dessinée, vous avez le dernier mot.

Pas seulement le dernier, mais aussi le premier mot ! J’ai ressenti pas mal de frustration l’an dernier. J’avais plusieurs films en chantiers à divers niveaux, dont un qui n’attendait plus que d’être monté. Aujourd’hui je suis bloqué, ça n’est pas moi qui ait le pouvoir de faire avancer le chantier. Galigaro est un de ces scripts, ce projet de film me prendra peut-être des années, alors que si je décide de l’adapter en bande dessinée, je peux commencer cet après-midi ! C’est très excitant !

Une série de peintures aux techniques mixtes sont exposées
jusqu’au 27 juin 2009

« Postcards from Brussels » est principalement pictural, mais avec l’arrivée du personnage de Folon, il devient plus narratif. Est ce que vous avez ressenti le besoin d’avoir un guide (Folon en l’occurrence) ?

Non. Je ne sais pas d’où m’est venue cette idée. Je dessine beaucoup, mais je prends également énormément de photos lors de mes voyages. J’avais beaucoup de photos, mais pas forcément évidente à relier entre elles. Parmi les magnifiques sculptures de Jean-Michel Folon, j’ai eu cette sensation qu’elles résumaient bien Bruxelles, j’avais trouvé mon liant ! A l’étranger, il est souvent assimilé à un artiste français, bien que né en Belgique. Mais pour moi, ses sculptures de personnages avec mallette et chapeau sont un résumé de Bruxelles.

C’est amusant que vous citiez d’abord Folon, car souvent c’est Magritte qui est évoqué comme artiste symbole de la Belgique…

C’est vrai que Magritte représente aussi des personnages avec chapeau, mais il est plus universel, on le retrouve sur des pochettes de disques, il est beaucoup plus reproduit que Folon. Ce dernier est plus discret, plus intime aussi. C’est pourquoi j’ai souhaité utiliser son image.

Folon de retour à Bruxelles
vu par Dave Mc Kean

Dans votre carnet de Bruxelles, on peut également voir Paul Cuvelier, Fernand Khnopff, James Ensor,… Est-ce qu’il s’agit de votre "Musée belge des Beaux-Arts" personnel ?

Oui bien sûr ! J’ai ajouté des références à ces artistes que j’aime. C’est aussi lié au fait qu’à chaque voyage, je finis toujours par visiter une galerie ou un musée lors de mon séjour. Ca m’entraîne à glisser ces clins d’oeil à d’autres disciplines et à des artistes que j’aime regarder. C’est parfois le fait du hasard, mais ça colore mon expérience de voyage dans la ville, il est donc normal que j’en fasse ensuite écho dans mon carnet.

Terminons par notre question rituelle, quel est le livre qui vous a donné envie de faire ce métier ?

When the Wind Blows
un graphic novel de Raymond Briggs réalise en 1982

Alors, ça n’est pas le premier comics que j’ai vu étant enfant, mais plutôt le premier que j’ai lu et aimé. Ca devait être… une des premières histoires d’Alan Moore, les premiers épisodes de V Pour Vendetta. La qualité d’écriture était au dessus de tout ce qui se faisait à l’époque. Mais il est clair que le dessin est très important pour moi, donc j’ai également envie de citer le graphic novel anglais When the Wind Blows de Raymond Briggs, qui raconte les derniers moments d’un couple avant un bombardement atomique. C’était une histoire pacifiste absolument déchirante, et si bien racontée... Elle a eu une portée énorme en Angleterre, et a même influencé les manuels scolaires. Pour toutes ces raisons, ce livre a été très important pour moi.

(par Morgan Di Salvia)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Photos : © M. Di Salvia

L’exposition "Postcards from Brussels and other selected works" est accessible jusqu’au 27 juin 2009 à la Galerie Petits Papiers.

Petits Papiers, 1 Place Fontainas 1000 Bruxelles -
Tél : (+32) 2.513.46.70 - contact@petitspapiers.be

Lire aussi : Double bang graphique pour Dave McKean

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[1on peut admirer la fresque Monsieur Jean au 28 rue des Bogards, à l’angle de la rue du Midi à Bruxelles.

 
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