Actualité

Décès de Frank Thorne, le plus barbare des sorciers du crayon.

Par Pascal AGGABI le 9 mars 2021                      Lien  
HOMME À FABLES. On disait de lui qu'il était "le plus vieil enfant de douze ans du monde". Éternel hippie, farceur, toujours souriant, fan inconditionnel d'histoires pleines de sorciers, il était un des précurseurs de ce que l'on appelait pas encore le "cosplay", ces déguisements de fans en héros de la culture populaire, dans les années 1970, avec l'arrivée des premières conventions de comics. Le légendaire auteur de comics Frank Thorne vient de nous quitter, ce 7 mars 2021, à l'âge de 90 ans. Sa femme Marilyn, muse de chaque instant, l'a suivi dans la mort seulement six heures après.

Frank Thorne était né le 16 juin 1930 à Rahway (État du New Jersey) aux États-Unis. « Tout ce que j’ai toujours voulu être, c’est dessinateur ! » disait-il souvent en interview quant on l’interrogeait sur sa vocation et son enfance, même si la bande dessinée n’était pas la profession la plus respectable à l’époque de son adolescence. Pas de quoi l’arrêter. C’est pourquoi il s’était inscrit, dès l’âge requis, à une école d’art : The Art Career School, à Manhattan.

Décès de Frank Thorne, le plus barbare des sorciers du crayon.
Frank Thorne et Marilyn sa femme, "éternelle muse" dixit, décédés tous les deux à six heures d’écart.
© Eros Graphic Albums.

Dessinateur, encreur, scénariste, parfois coloriste, Thorne disait ainsi aimer se charger de tout faire sur une page de BD, ce qui est assez rare dans le monde des comics où ces tâches spécifiques sont assez séparées, avec divers intervenants spécialisés. Les artistes qui l’ont influencé à ses débuts sont les dessinateurs Alex Raymond, Hal Foster et le moins connu, mais excellent Neil O’Keefe qui, tous, officiaient en tant que dessinateurs dans les journaux quotidiens.

Frank Thorne cultive son goût pour le déguisement en compagnie de son modèle Linda Behrle, en couverture du premier volume de Ghita d’Alizarr.
© Frank Thorne..

Thorne qui n’aimait pas du tout les super-héros, même s’il en a fait un peu, s’est avant tout illustré en posant ses crayons, pinceaux et plumes, avec une carrière qui s’est étalée sur près de huit décennies, sur de nombreux genres différents. Comme des histoires d’aventure, de guerre, de mystère, d’horreur, d’épée et de sorcellerie, de comics de jungle ou le western. Si on lui demandait s’il avait un genre favori, il répondait, toujours avec le même enthousiasme, tant il aimait son travail : «  J’ADORE dessiner des femmes ! » Alors peu importe le sujet, du moment qu’il pouvait en dessiner autant que possible.

Premières Conventions Comics dans les années 1970 et concours Red Sonja, pour ce qui ne s’appelle pas encore cosplay, mais "Lookalike".
DR

C’est sans aucun doute pourquoi Frank Thorne était surtout connu, et reconnu, pour sa belle prestation sur le personnage de Marvel Comics Red Sonja. La rousse guerrière hyrkanienne dont il était immédiatement tombé amoureux, en la dessinant. On y reviendra.

Frank Thorne le sorcier, jury du concours Red Sonja. À sa gauche la souriante Wendy Pini, bientôt célèbre pour être celle qui va contribuer à l’essor des comics indépendants avec et son Elfquest, poussée par l’avènement des comic shops.
© Nick Arroyo.
Dans une histoire courte dédiée, face à Thorne, les belles se rebellent.
© Marvel Comics, Frank Thorne.

Mais au fil des ans, Frank Thorne avait travaillé pour pratiquement tout le monde dans l’industrie des comics : DC Comics et Marvel, Dell Comics, Warren Publishing, Gold Key, Seaboard, Archie Comics... Principalement sur Dracula, Moby Dick, Tarzan, The Phantom et Enemy Ace.

Korak fils de Tarzan de pour DC Comics.
© DC Comics.

Cependant, le bouillant artiste avait commencé assez calmement sa carrière chez Dell et Standard Comics en 1948. Standard Comics pour qui, précisément, il dessinait des BD romantiques. À 20 ans, diplôme en poche, il s’était ensuite présenté dans les bureaux du syndicate King Features, avec un dossier plein de dessins.

Là, on lui a confié la destinée du strip quotidien et de la page du dimanche (colorée par ses soins) du personnage policier Perry Mason. Un travail dans les journaux comme ses premières idoles du dessin, chaque semaine pendant près de deux ans, emploi qui de plus sonnait comme être le Saint Graal à l’époque, puisque le salaire était énorme ! 

Il a également travaillé sur un certain nombre de bandes de journaux, y compris Flash Gordon et Jungle Jim d’Alex Raymond dont il a longtemps gardé un style proche, The Green Hornet et bien d’autres comme Dr. Guy Bennett/Dr. Duncan, de 1957 à 1963, pour La Fave Newspaper Features.

La bande quotidienne "Doctor Guy Bennett."
DR

Mais c’est surtout son travail dans les années 1970, alors qu’il a développé son propre style depuis un moment, qui lui amènera la reconnaissance. Là, il a dessiné la plupart des séries dérivées de Conan, personnage à l’énorme succès de Marvel Comics, dont bien sûr Red Sonja qu’il chérit tant. Personnage dont il va se charger d’animer la plupart des aventures dans le comics qui va lui être dédié en cette fin de décennie ; pour ensuite en donner une version plus conforme à sa vision, mais pas du tout conforme à la ligne éditoriale, plus mesurée, de Marvel.

Thorne vient travailler pour Marvel sur le personnage de "Red Sonja" dans le titre Marvel Feature. Une révélation pour lui.
© Marvel Comics.
Devant le succès public (qui ne durera pas), Marvel décide de lancer un nouveau magazine spécialement dédié. Frank Thorne va se découvrir un goût pour l’érotisme difficile à assouvir ici. Donc, il part.
© Marvel Comics.

C’est pour ça qu’il quitte, en 1978, cet éditeur pour créer Ghita of Alizzar, une version plus adulte de Sonja, sa fameuse version plus libre, et aussitôt devenir un des principaux représentants du genre Heroic Fantasy érotique.

Arrive Ghita of Alizarr. Thorne se révèle. Mieux : il s’est trouvé !
© Frank Thorne.
Des crayonnés vaporeux mais précis, que Thorne encre d’un trait de plume tout en décontraction et relâchement.
© Frank Thorne.

Après cela, il a créé un certain nombre de bandes dessinées plus ou moins érotiques, où s’expriment son amour pour la fable et la Fantasy ou la SF, dont "Moonshine McJugs" pour Playboy, "Lann" dans le magazine Heavy Metal , "Danger Rangerette" dans National Lampoon et la mini-série "Ribit" pour Comico Comics. Ainsi que les albums au format romans graphiques de Fantagraphics Book "The Iron Devil", "The Devil’s Angel" et une bande historique "The Illustrated History of Union County".

"Moonshine McJugs" son oeuvre préférée.
© Frank Thorne.
Frank Thorne et ses trois passions : Les costumes Fantasy, le dessin, les femmes. Et, bien sûr, l’humour et l’autodérision.
© Frank Thorne.

Tout une gamme de comics où il peut parfaitement exprimer son goût profond pour le dessin des femmes, d’abord, de l’action, des univers improbables avec des personnages grotesques, inquiétants ou à côté de la plaque, des barbares, des guerrières, des sorciers. Avec son dessin à l’encrage profond et rugueux, à la sensualité débordante et la juste distance nécessaire.

Un ensemble pour lui de simples jouets, même si tapageurs, pour l’éternel enfant de douze qu’il n’a jamais cessé d’être. Dessiner, jubilatoirement, ne pouvait en effet rien contenir de grave à ses yeux.

Red Sonja perd un de ses pères.
© Marvel Comics.

Quand on lui demandait, avec les années qui, malgré tout, passent, s’il avait l’intention de prendre sa retraite, alors qu’il continuait à réaliser des commissions, ces commandes particulières de fans, invariablement il répondait : « Je n’ai jamais eu l’impression de travailler en dessinant, alors comment puis-je prendre ma retraite ? »

(par Pascal AGGABI)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

tout public
 
Participez à la discussion
7 Messages :
  • visages de couvertures
    9 mars 2021 15:14, par Bernard Joubert

    Je me souviens qu’on soupçonnait John Romita (Sr.), alors directeur artistique chez Marvel, d’avoir refait les visages de Red Sonja en couvertures des premiers numéros de la série — dont les deux que vous présentez. Je n’en ai jamais eu confirmation, mais ça sentait effectivement la rustine et il était connu que Marvel cherchait à avoir un style maison (Romita, Buscema...) dont était loin Frank Thorne et son trait relâché à la Kubert. Comme si "Pif Gadget" avait fait retoucher la tête à Corto Maltese par André Chéret...

    Répondre à ce message

    • Répondu par kyle william le 9 mars 2021 à  16:39 :

      Anecdote passionnante même si j’ai du mal à croire à cette histoire de rustines. Quel fabuleux dessinateur que ce Frank Thorne ! Il me semble, contrairement à ce qui est dit, qu’il utilisait le pinceau plutôt que la plume, non ?

      Répondre à ce message

      • Répondu par Pascal Aggabi le 10 mars 2021 à  14:28 :

        Encrage à la plume, avec aplats de noir et, parfois, quelques effets et jeux d’épaisseur au pinceau.

        D’après Thorne, pour la plume, la célèbre et très souple : Hunt-102 Crow Quill. La favorite de beaucoup de dessinateurs et encreurs US. https://cdn.shopify.com/s/files/1/1436/7450/products/Artists_Nibs_P1.jpg?v=1512442376
        Et aussi :
        - Papier à dessin : Strathmore série 50 0 Bristol, surface vélin 2 plis.
        - Encre : Dr.Martin’s TECH.
        Si vous aimez Thorne, regardez ses dessins d’humour pleine page pour Playboy. Très simples et très beaux.

        Répondre à ce message

    • Répondu par Pascal Aggabi le 10 mars 2021 à  15:20 :

      C’est tout à fait possible, John Romita a été longtemps à la tête d’un "studio" de retouche, les "Romita’s raiders" formés par ses soins, qui l’aidaient à retoucher des pages. Visages surtout (souvent en couvertures, la "vitrine" qui influence très fortement l’achat spontané ou le détourne. Romita sr, venu du romance comics, était le roi incontesté du glamour et du dessin "attractif", d’où l’attribution de cette fonction précise), poitrines et hanches trop opulentes (Comics Code Authority), etc... Bien sûr à la demande de l’éditorial de Marvel. C’était plus une volonté de "séduire" que de vraiment se conformer à une style maison, même si...

      En effet le visage de Sonja sur le cheval, numéro qui marque l’arrivée sur la série du petit nouveau chez Marvel Frank Thorne, semble porter la "patte" Romita, probablement sans rustine mais retouche au blanc correcteur et encre. Le corps de Sonja semble aussi retouché par Romita, avec son habituel et identifiable coup de pinceau.
      Il est visible, et c’est une indication, que la première page de Thorne sur la série a été retouchée, pour la silhouette et les cheveux pas très "Thorniens" de Sonja : https://i0.wp.com/whatchareading.com/wp-content/uploads/2014/09/FTRSArtEd-_Page_01.jpg
      Une tentative de nuancer un peu son encrage jugé trop rugueux pour une série qui débutait ?

      Mais je crois que Thorne, qui faisait ses preuves, a ensuite été laissé assez libre, même pour les autres couvertures. Jusqu’à un certain point toutefois, il faut toujours nuancer, puisque c’est la convocation de Thorne par Stan Lee en personne pour lui proposer un encreur, pour que le comics Red Sonja ne soit pas le seul, soi-disant, à ne pas ressembler à un comics Marvel, qui a définitivement convaincu le dessinateur de quitter cet éditeur et créer sa Ghita of Alizarr qui depuis un moment le titillait. Il y a des centaines d’histoires comme ça dans les comics où l’humeur du jour pouvait compter beaucoup, surtout chez Marvel.

      Depuis le passage de Thorne chez DC sous la direction de Kubert, ils étaient très amis.

      Répondre à ce message

  • Il y a une intégrale de sonja chez l’editeur marseillais neofilis

    Répondre à ce message

  • RIP M Thorne et merci.

    Il a pour moi été (quoi qu’involontairement mais ça serait trop long à expliquer) l’inspirateur d’un de mes personnages de jdr préféré.

    Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Pascal AGGABI  
A LIRE AUSSI  
Actualité  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD