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EXCLUSIF : Entretien avec Keiji Nakazawa, l’auteur de « Gen d’Hiroshima »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 20 juillet 2003                      Lien  
"Gen d’Hiroshima" de Keiji Nakazawa (Editions Vertige-Graphic) est un livre-témoignage marquant. Lors de sa publication aux Etats-Unis, Art Spiegelman, auteur de la préface, a écrit à son sujet : « La plus grande vertu de ce travail est son abrupte et totale sérénité. Sa conviction et son honnêteté nous permettent de croire à l’incroyable, à l’impossible qui pourtant se produisit à Hiroshima. C’est l’art inexorable du témoignage »

- Votre famille est-elle originaire d’Hiroshima ?

Ma famille se composait de huit membres : mon père, ma mère, leurs quatre fils et leur deux filles. Nous vivions à Hiroshima avant l’explosion de la bombe.

- Quelle était la situation de votre famille pendant la guerre ?

Mon père était un peintre de style traditionnel. Chez nous, il décorait des chaussures de bois. Dans cette période, nous subissions de sévères restrictions alimentaires. Nous avions faim. Nos parents nous ont élevé en travaillant très dur.

- Dans quel état se trouvait le Japon à ce moment de la guerre ?

Les villes voisines avaient été dévastées par les bombes incendiaires. Hiroshima, cependant, n’était pas touchée, malgré les nombreuses alertes aériennes. Des avions cargos survolaient la ville parfois. Les seules attaques étaient des mitraillages.

- Le Japon s’attendait-il à subir une telle arme fatale ?

Les Japonais ignoraient tout de la bombe atomique.

- Quelle est la différence entre la vie de Gen et la vôtre ? Votre père était-il pacifiste, lui aussi ?

Mon père était pacifiste. Exactement comme dans Gen d’Hiroshima.

- L’hystérie du gouvernement japonais dans les derniers jours de la guerre est très bien décrite dans votre bande dessinée. Quelle était la situation réelle des citoyens coréens que vous évoquez ?

Après la défaite du Japon, les Coréens s’appliquèrent avec grandeur à surmonter leur rancune contre les Japonais.

- Quelle a été l’expérience personnelle de votre famille lors du bombardement d’Hiroshima ? Comment a-t-elle survécu ?

Exactement de la façon qui est celle qui a été décrite dans Gen d’Hiroshima. Ni plus, ni moins.

- Quelle a été votre propre expérience de cette tragédie ? Pensez-vous que les Américains ont eu raison d’accéder à de telles extrémités ?

J’ai la conviction que les Américains savaient que l’issue de la guerre leur était favorable mais qu’ils ont utilisé l’occasion des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki pour expérimenter leur bombe.

- Comment votre famille s’est-elle reconstruite après ce drame ?

Nous avons reconstruit notre vie, comme dans Gen d’Hiroshima.

- Comment êtes-vous devenu manga-ka ?

Je dessinais depuis tout gosse sans doute parce que mon père était peintre. Je produisais plus particulièrement des dessins d’humour. J’en faisais quotidiennement. J’ai obtenu un poste de lettriste publicitaire juste après mon bac. C’est là que j’ai appris à peindre. A 22 ans, je suis parti à Tôkyô où j’ai commencé ma carrière d’auteur de bande dessinée.

- Quand avez-vous décidé de réaliser ce témoignage ? Pensez-vous que la BD soit le meilleur vecteur pour témoigner de telles atrocités ?

Ma mère décéda à l’âge de 60 ans. Quand nous avons incinéré son corps, Elle n’avait plus d’os. J’ai pensé que le rayonnement de la bombe atomique avait détruit jusqu’à sa matière osseuse. Cela m’a révulsé. Je décidai aussitôt de faire une BD qui raconte la bombe. La BD est un média idéal pour pratiquer ce type de témoignage car le caractère immédiat de sa lecture en permet un accès facile à quiconque.

- Ce travail de mémoire a-t-il été bien perçu par les autorités, par votre éditeur ? Y a-t-il eu une quelconque forme de censure ?

J’ai fait le tour des éditeurs. Ils étaient pour la plupart très hésitants. Et puis, il y en a eu un qui a décidé de publier l’ouvrage qui a été publié sans aucune espèce de censure.

- « Le Tombeau des Lucioles » est un récit au thème très voisin au vôtre. Y a-t-il eu une influence réciproque ?

Mon travail n’a rien en commun avec « Le Tombeau des Lucioles ».

- Comment votre manga a-t-elle par le public au moment de sa sortie, au Japon et à l’étranger ?

La plupart de mes lecteurs, qu’il soient japonais ou étrangers, m’ont dit que ce livre leur a fait prendre conscience de l’horreur de la guerre et la terreur que suscite la bombe.

- Saviez-vous que Gen d’Hiroshima a été historiquement la première manga publiée en France, un genre qui y est devenu très populaire depuis ?

Je sais que Gen a déjà été publié en français. Je pense que les mangas représentent une littérature alternative qui a encore un grand avenir devant-elle.

Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 19 mars 2003, avec l’aide de Namie Asazuma de Project Gen.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Gen d’Hiroshima
 
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1 Message :
  • J’ai été vraiment bouleversé par la lecture de ce chef d’oeuvre de Keiji Nakazawa .au demeurant l’entretien publié est très sobre ; cela peut être imputé aux contraintes inhérentes à une interview mais aussi au caractère de l’auteur . Il a su tout exprimer par la BD . D’autre part , j’ai trouvé des critiques somme toute mitigées de Gen d’Hiroshima alors que je pense cette d’oeuvre réussie en tout point et même dans sa fonction "politique" :il y a une analyse aussi bien de ce qu’engendre la guerre que de ses fondements . il a su donner la vision d’un enfant et en même temps , nul simplisme ni angélisme ne diminuent cet aspect.Le graphisme est tout à fait adapté à ce projet :une esthétique plus réaliste aurait paradoxalement créé plus de distance entre le lecteur et le sujet .Je vous remercie d’avoir publié cet entretien qui montre un auteur modeste que je salue . K N nous permet aussi de découvrir un Japon méconnu , loin des clichés des médias , et vécu de l’intérieur . Je conseillerais donc aux amateurs de lire aussi la littérature Japonaise : on retrouve certains personnages mis en scène par keiji nakazawa .

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