La bande dessinée rassemble-t-elle suffisamment de lecteurs pour qu’un hebdomadaire aussi diffusé que le vôtre s’y intéresse ?
Dès 1990, dans notre série d’été, notre avions envoyé notre grand reporter sur les traces de Tintin. Notre collaborateur Michel Daubert avait consacré un hors-série à Tintin, une formule que nous réservions jusque là aux grands peintres du patrimoine. A partir de 1995, il y a 350 articles, et je ne parle pas de critiques de livres, qui ont été consacrés à la BD. C’est considérable ! Depuis trois ans, Jean-Claude Loiseau tient une chronique régulière sur la BD, toutes les semaines, dans nos pages littéraires. Nous avions édité pendant l’été Blake & Mortimer, puis Isaac le pirate de Christophe Blain. Pourquoi ce choix ? Parce que, par rapport à notre lectorat, ça nous ouvre. Je crois beaucoup à la culture au sens le plus large du terme. Et, évidemment, pour moi, une excellente BD a autant d’intérêt qu’un bon roman. En plus, c’est un autre type de lecteur, peut-être un peu plus jeune, quoique pas forcément. Je crois beaucoup à la BD en tant qu’art, que ce soit du point de vue de l’illustration, comme celui du texte. Quand on publie Tardi cet été, c’est parce que c’est non seulement quelqu’un qui a un trait admirable, un peu noir, reconnaissable entre mille, mais qui a aussi une vraie langue, proche de Céline, des grands feuilletonistes. Donc, pour nous, la BD est une discipline culturelle importante à côté de laquelle on ne peut pas passer. C’est pourquoi j’ai demandé, il y a trois ans, à Jean-Claude Loiseau d’avoir une chronique permanente.
C’est quand même relativement nouveau, cette reconnaissance. Angoulême a déjà 35 ans…
Oui, mais nous sommes les seuls à faire cela.
Certains ont reproché à Télérama d’être le magazine des « bobos » branchés. Est-ce que la BD n’est pas un des attributs de cette catégorie sociale qui, selon certains, compose la majorité de votre lectorat ?
Personnellement, j’ai deux enfants, un fils de vingt ans et un autre de dix ans. Ils ne lisent que des mangas et de la BD. Moi les Bobos, je m’en fiche, tant mieux s’ils nous lisent. Et puis, on en est tous, moi la première. Je pense que la lecture a changé. Les jeunes, et même les moins jeunes, lisent moins. Je pense que la BD peut-être un vecteur culturel qui peut faire découvrir des univers qui sont aussi admirables que ceux des grands romanciers du 19ème siècle. Je suis plutôt intéressée à capter toute cette frange de lecteurs qui lisent de la BD et qui lisent de moins en moins de Littérature.
Ce qui frappe les observateurs, c’est que vous avez mis une certaine BD à l’honneur. Vous avez fait la couverture sur Joann Sfar, sur Marjane Satrapi dont le rayonnement aujourd’hui dépasse largement celui de la BD. Vous êtes plutôt attachés à une bande dessinée d’auteur.
Comme pour le cinéma ! On préfère publier Tardi que la fin des aventures de XIII, bien entendu. On défend une certaine BD que l’on trouve la plus artistique, la plus créative, la plus singulière possible. L’été dernier, j’avais demandé à Jean-Claude Loiseau de nous choisir cinq dessinateurs à qui nous avons donné carte blanche : Dupuy & Berbérian, Crecy, Trondheim, Baru, Bravo… La BD n’est pas pour nous un choix opportuniste : nous avons la même politique d’exigence que nous l’avons pour la littérature ou pour le cinéma.
Ca va continuer ?
Ah oui, bien sûr.
Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 21 juin 2007.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Dans Télérama, donc, du 27 juin au 28 août 2007, le nouvel Adèle Blanc-Sec de Tardi, Le labyrinthe infernal, qui revient après neuf ans d’absence. Un grand-guignol drôlatique et absurde où l’auteur nous révèle sa passion pour le Paris hausmannien et son penchant pour l’anarchie. Dans le numéro de cette semaine Tardi fait l’objet d’un portrait fort bien brossé par Jean-Claude Loiseau.
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