Joli scoop de l’hebdomadaire belge ! Nous nous réjouissions de recevoir le premier tome de cette incroyable voyage de Jijé, de sa famille et de Morris et Franquin aux États-Unis et au Mexique. L’anecdote est vraie et a été racontée maintes fois par ses acteurs : craignant que la guerre nucléaire ne se déclare en Europe, Joseph Gillain alias Jijé partit avec sa famille, une femme et des enfants en bas âge, de même qu’avec Morris et Franquin, au Mexique et aux États-Unis dans des conditions rocambolesques.
Gringos Locos (littéralement : ces fous d’étrangers) désignent cette bande de dingues parlant à peine la langue locale et réalisant la moitié du Journal de Spirou de l’autre côté de l’Atlantique.
L’anecdote, pour loufoque soit-elle, a un impact considérable sur la BD franco-belge : Confronté aux grands dessinateurs réalistes américains (Foster, Raymond, Caniff, Kurtzman...), Jijé va renouveler la veine réaliste dans nos contrées, suivi en cela par des Giraud et des Mézières qui feront eux aussi le voyage des Amériques.
De la même façon, Franquin et Morris tirent du graphisme américain de l’époque -le plus moderne du monde- la substantifique moelle d’un renouveau graphique qui leur permet de se débarrasser de l’influence niaise de Disney. Le passage de Jijé et de Morris à New York est l’occasion d’une rencontre historique avec René Goscinny. Le futur créateur d’Astérix trouve chez ces deux Belges égarés la voie royale pour faire de la BD en France. On le retrouve très vite au scénario de Jerry Spring et de Lucky Luke.
Schwartz & Yann trouvent là une épopée réjouissante qui leur permet d’exploiter à plein la veine référentielle qui avait fait le succès de leur Spirou : Le Groom vert-de-gris. La première histoire paraît intégralement dans l’hebdomadaire Spirou et est très bien reçue. Tout au plus, quelques spécialistes lèvent-ils le sourcil sur quelques erreurs factuelles, notamment quand ils voient Gillain, wallon militant et grenouille de bénitier notoire, proférer à toutes les pages des jurons en Bruxellois...
Selon l’article du Vif, les héritiers de Jijé auraient découvert dans le quotidien Le Soir cette bio “non autorisée” de leur géniteur et envisagent de faire interdire la publication de l’ouvrage, attendu dans une quinzaine de jours. Même la fille de Franquin, dit-on, ne serait pas ravie. On ignore ce qu’il en est du côté de l’épouse de Morris... Que ces gens n’aient pas été dûment consultés, la chose étonne...
Techniquement, rien n’empêche Dupuis de publier ce livre, d’autant que 35.000 exemplaires auraient été imprimés. Mais l’éditeur de Marcinelle peut-il se permettre de braver le courroux de Franquin, Morris et Jijé, qui sont les joyaux de son catalogue ? On sent bien que non. Le pilon n’est donc pas loin, à moins qu’un accord soit trouvé pour amadouer les ayants droit. Affaire à suivre...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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