Tout vient d’un article paru dans Le Monde daté du 28 avril à l’occasion de la ressortie en kiosque d’un titre historique de l’extrême droite française, Le Choc du Mois. « Le mensuel d’extrême droite, écrit Christiane Chombeau, [...] reparaît, jeudi 27 avril, après treize ans d’absence. Avec, annoncés en couverture, deux entretiens : l’un avec l’humoriste Dieudonné et l’autre avec Jean Van Hamme, auteur de bandes dessinées et créateur, entre autres de XIII et de Largo Winch. Ce dernier y développe la théorie du complot du "gouvernement contre le peuple", abordée dans son album SOS bonheur sorti il y a 20 ans. Pour "ceux qui nous gouvernent (...) l’ennemi est désormais à l’intérieur. (...) cet ennemi c’est nous !" affirme-t-il ». Immédiatement, une copie de l’article tombe dans les messageries du petit monde de la BD. Dans le forum de BDParadisio.com, un sujet de discussion qui s’intitule : « Décidément, Van Hamme et le fascisme » , relaie « objectivement » l’info. Un internaute écrit : « On tombe de haut ! »
Or, à notre connaissance, l’album cité, SOS Bonheur, un excellent album de Jean Van Hamme dessiné par Griffo [1] est tout sauf un brûlot d’extrême droite ! C’est plutôt, nous l’avons déjà écrit, une vision finalement très schumpéterienne de l’économie, c’est-à-dire une pensée assez critique envers le libéralisme, mais aussi vis-à-vis de la plupart des pensées économiques marxistes. Nulle part, chez Jean Van Hamme, il n’y a le moindre indice qui permette de le soupçonner d’appartenir de près ou de loin à une obédience extrémiste : son milliardaire a tout l’air d’être un gauchiste égaré dans la haute finance, l’un de ses meilleurs potes est un ancien soldat de l’armée israélienne et, au niveau des mœurs, la série Largo Winch, naguère censurée dans les pages du Figaro pour cause de baiser lesbien, est assez éloignée des propos homophobes et pudibonds des amis de MM. De Villiers et Le Pen. En fait, le message du scénariste est avant tout celui d’un moraliste qui déplore la malignité de la nature humaine.
Bien évidemment, nous avons été immédiatement vérifier l’objet du délit. Quelle mouche a pu piquer Van Hamme ? Aurait-t-il viré sa cuti, comme cela arrive parfois chez certains vieux écrivains à la dérive, ou s’est-il fait manipuler ? Analyse faite, ni l’un, ni l’autre. L’interview de Van Hamme fait partie d’un gros article sur la théorie du complot dans la BD qui n’est qu’un démarquage des thèses de Pierre-André Taguieff dans La Foire aux illuminés : Esotérisme, théorie du complot, extrémisme (Mille et Une Nuits) pour les appliquer à la BD. Le journaliste du Choc remarque que le complot est partout dans l’univers des bulles et un grand nombre de BD sont citées : Le Scorpion, Le Décalogue, Le Chant des Stryges, Section financière ou Vlad, pas exactement des auteurs dans la mouvance de M. Le Pen, que du contraire. Or cet intérêt de la BD pour le complot, Taguieff l’avait déjà remarqué dans son livre, citant aussi bien Le Décalogue que Le Triangle secret. La thèse n’est donc même pas originale. On notera seulement que l’ouvrage si bien nommé « Le Complot » de Will Eisner qui dénonce un faux antisémite devenu un best-seller dans les officines d’extrême droite, Les Protocoles des Sages de Sion, a été, quant à lui, très opportunément oublié...
Quant à l’interview de Van Hamme, du genre de ce que fait n’importe quel journaliste par téléphone ou même par mèl, elle consiste seulement, de la part de Van Hamme, à livrer ses analyses sur les types de complots que l’on trouve dans la fiction contemporaine. Van Hamme parle en expert, et plutôt brillamment, comme à son habitude. Pas un seul dérapage, pas une opinion suspecte. Juste une rumeur qui enfle sur internet...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Nous l’avions en son temps chroniqué pour Amazon.fr.
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