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Kris : "Lucie contient des intrigues à tiroirs multiples"

Par Nicolas Anspach le 31 mai 2006                      Lien  
Kris fait partie de ces jeunes scénaristes prometteurs. Il nous avait étonné dans son premier travail, "Toussaint 66", un « road-movie » africain de 120 pages (avec Julien Lamanda, au dessin). Il rejoint aujourd'hui la collection « 32 » de Futuropolis, avec le premier tome « du Monde de Lucie », un récit qui devrait nous tenir en haleine pendant dix-huit épisodes. Il explore, dans cette série, le monde de la parapsychologie. Un thème peu abordé en bande dessinée...

« Le Monde de Lucie » est publié dans la toute nouvelle collection « 32 » de Futuropolis. Son concept est plutôt novateur. Pourquoi avoir choisi cette maison d’édition ?

J’ai été épaté par l’enthousiasme de Sébastien Gnaedig et de Luc Brunschwig pour le scénario du Monde de Lucie. Ils ont directement souhaité inclure ce projet à la collection « 32 » dont ils jetaient les premières bases. J’étais certain qu’ils allaient accompagner cette série avec rigueur et sérieux.
En plus, deux autres contrats étaient déjà signés chez eux, et ils étaient fortement intéressés par un autre projet. Futuropolis était en passe de devenir ma maison d’édition principale.
Faire partie de cette aventure était un challenge excitant pour un jeune auteur comme moi. La collection « 32 » est novatrice. Il était donc logique d’en faire partie si on m’en offrait la possibilité.

Ne nourrissiez-vous pas certaines appréhensions par rapport au format ?

Je ne me souviens pas en avoir eu ! Ceci dit, je ne me sens pas particulièrement à l’aise avec le format standard de 46 pages. Cette pagination est, selon moi, soit trop courte pour vraiment développer des personnages intéressants où une intrigue complexe ; soit trop longue pour mettre l’accent sur une seule situation, un événement ou une personnalité. Le scénario de Lucie contient des intrigues à tiroirs multiples et des personnages que l’on découvre sur le long terme.
Aujourd’hui, avec la profusion des sorties, il faut convaincre le lecteur dès le premier tome. Sinon, c’est la mort de la série et vous la finissez, dans un quasi-anonymat, en trois albums, maximum. Cette réflexion, alliée à d’autres, a conduit Luc Brunschwig et Sébastien Gnaedig à créer la collection « 32 ».

Mon travail s’oriente naturellement soit vers des histoires simples - construite sur une idée forte - qui se développent en un ou deux longs volumes ; soit vers quelque chose de bien plus long et complexe, et qui ne peut pas donner sa pleine mesure avant les deux ou trois premiers volumes. Les sorties rapprochées et le prix modique [1] de la collection « 32 » correspondait donc parfaitement à ce que j’écrivais...

Kris : "Lucie contient des intrigues à tiroirs multiples"
Croquis préparatoire

Avez-vous déjà une idée de l’accueil de la collection ?

Les quatre premiers titres sont sortis. L’accueil est plutôt bon, tant pour le concept que pour les albums, et ce malgré un contexte économique difficile. Nous n’avons pas raté le lancement. Il reste maintenant à convaincre le public sur le long terme, tant du point de vue de la qualité éditoriale que par rapport à la régularité des sorties. Nous devons réussir à créer une véritable attente pour chaque nouvel album, et veiller à ce que la collection soit économiquement viable. J’espère y publier d’autres projets...

Que raconte « Le Monde de Lucie » ?

Je vais vous résumer l’intrigue en quelques phrases : « Dans une mégapole d’un futur proche, un groupe d’enfants des rues, rebelles et désespérés, mettent le feu à un centre commercial, causant des centaines de morts, y compris la leur, dans une folie incompréhensible. Seule une petite fille de huit ans appelée Margaret a survécu. Elle était au cœur du brasier, et pourtant elle n’a aucune marque de brûlure. Plongée dans le coma, elle se réveille de temps en temps mais parle russe, une langue qu’elle n’a jamais apprise. Sacha, un scientifique ayant travaillé sur les pouvoirs latents du cerveau, semble à même de rentrer en contact avec elle et de répondre aux questions que tout le monde se pose à son sujet. »

Il s’agit, à première vue, d’un thriller flirtant avec le paranormal. Même si c’est bien le moteur de l’intrigue, l’histoire s’attachera avant tout à des personnages que leur talent particulier rendent marginaux et totalement inadaptés à une vie sociale « classique ». Les événements racontés seront aussi symboliques de la crise du monde actuel, à la fois malade et en pleine recherche de nouvelles voies porteuses d’espoir. Mais mes personnages n’ont pas tous la même définition de l’espoir...

Essai pour "Le Monde de Lucie".

Avez-vous rencontré des difficultés à bâtir une intrigue sur une pagination de trente-deux pages. On perçoit que ce premier album est une sorte de mise en place. Finalement, vous restez très mystérieux sur Lucie...

Raconter une histoire dans un format aussi court, est effectivement l’un des défis de cette collection. Mais une fois que le lecteur aura lu deux ou trois albums de notre série, il s’apercevra que ce format ne sera plus « problématique » en terme d’intrigue. Raconter un dix-huitième d’une histoire sur trente-deux pages n’est effectivement pas une manière simple pour poser les bases de l’univers, et surtout de prendre le lecteur par les tripes pour lui donner envie de découvrir les prochains albums.
Mais c’est aussi un véritable plaisir car il s’agit d’un travail de précision où chaque case compte, et où il ne faut continuellement se remettre en question. J’ai écrit pas moins de sept versions du synopsis pour le premier tome, et six pour le deuxième.

Extrait du T1.

J’ai réalisé un court-métrage [2] en 2004. En travaillant pour la collection « 32 », j’ai retrouvé des habitudes de travail qui ressemblaient au montage cinématographique. Dans les deux cas, on peut passer beaucoup de temps à tenter différentes possibilités narratives, à les déconstruire, pour mieux les reconstruire ensuite.

Le format de 32 pages est il un handicap ?

Pas du tout ! Cela le serait s’il n’y avait qu’une sortie par an. Or, trois albums du Monde de Lucie sont prévus pour la première année. La réalisation de la série en devient beaucoup plus ludique : chaque tome est construit pour apporter des éléments et poser de nouvelles questions au sein d’un album de 32 pages ; ou d’une intégrale de 96 pages.
Ceci entraîne une construction narrative en « double rythme », et sincèrement, cela a décuplé mon plaisir d’écriture en ce qui concerne les séries.

D’où vient votre goût pour la parapsychologie ?

... de l’écriture du Monde de Lucie, tout simplement. Je n’y connaissais pas grand-chose avant de m’intéresser à ce sujet. Je considérais même que la parapsychologie comportait des théories bancales pour des illuminés un peu naïfs.
La première version du Monde de Lucie était plus proche de la science-fiction que de ce que nous connaissions actuellement. Mais mes conversations avec Luc Brunschwig et avec Guillaume Martinez ont fait évoluer le récit vers la parapsychologie. Cette série est sans conteste celle qui m’a demandé le plus de documentation et m’a obligé à m’intéresser à des sujets très variés : de l’histoire du diable, jusqu’au symbolisme des herbes hallucinogènes chez certains peuples, en passant par Jung ! Le « continent » du paranormal et de la parapsychologie est très vaste ...

Le dessinateur du Monde de Lucie, Guillaume Martinez, intervient-il dans le scénario ?

Bien sûr ! Comme tous les auteurs avec lesquels je travaille. Même si un scénario est déjà écrit lorsque je débute une collaboration, je m’arrange pour que le dessinateur ait son mot à dire et puisse émettre des suggestions. C’est d’ailleurs une condition sine qua non pour qu’il garde l’enthousiasme et la motivation de départ et qu’il donne le meilleur de lui-même pour notre série. Je veille juste à garder une certaine cohérence et à ne pas perdre de vue mon objectif narratif et ce vers que je voulais précisément aller. Mais les chemins pour y arriver peuvent être multiples ...

Kris
Photo (c) DR.

Vous avez d’autres vos projets ?

Parmi ceux qui sont signés, citons :
- « Un homme est mort », dessiné par Etienne Davodeau qui traitera du tournage d’un film lors des grandes grèves de 1950 à Brest. L’album devrait sortir le 12 octobre prochain, chez Futuropolis.
- « Coupures Irlandaises » sera illustré par Vincent Bailly. Deux adolescents français découvrent, à l’occasion d’un voyage linguistique, la réalité du conflit nord-irlandais à la fin des années ’80. A paraître chez Futuropolis à la fin 2007.
- « En Novembre, quand elle viendra ... », avec Thierry Martin. Ce récit sera découpé en deux volumes et racontera l’itinéraire d’un vieux bluesman aussi cinglé que paranoïaque et d’un gamin métis dans l’Amérique des années ’50. Le tout sur fond de naissance du rock’n roll... Le premier tome paraîtra chez Futuropolis au début de l’année 2008.
- « Ukronia », une série dessinée par Mig, qui mélangera histoire et science-fiction. Le premier tome devrait être publié dans la collection Repérages de Dupuis en 2007...
- Enfin, je reprends la suite d’Angus Powderhill, à partir du milieu du troisième album. Le dessin sera toujours réalisé par Vincent Bailly.

Je travaille également sur deux autres projets qui n’ont pas encore de dessinateurs. « Notre Mère la Guerre », qui se déroulera durant la première guerre mondiale. Et une série intitulée « Une Amérique », mais il est encore un peu tôt pour en parler...

Le Monde de Lucie
Couverture du Tome 2 (à paraître)

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Illustrations (c) Guillaume Martinez, Kris & Futuropolis.

[14,90 € par album

[2"Au fond, sur le Parapet des ponts", qui a reçu le prix Estran du scénario (prix du meilleur premier scénario breton), décerné par un jury présidé par Manuel Poirier.

 
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