"Kuro" : gothique chic, fable horrifique

Dans un immense manoir, Coco, une toute jeune fille, vit une existence sans souci en compagnie de Kuro, son étrange petit chat noir. Il est un peu bizarre à bien y regarder : un peu trop d’yeux, des dents très pointues...

Sans qu’elle ne s’en rende réellement compte, Kuro semble être un véritable ange gardien pour la fillette. Et elle en a bien besoin car dans le village où ils vivent rôdent des monstres abominables. Gare à ne pas quitter le chemin, pour ne pas tomber entre leurs griffes...

KURO © 2011 by Somato / SHUEISHA Inc.

Un conte de fée sans les fées

On connaît l’univers du duo So-Ma-To via leur série phare en cours de parution chez Glénat : Shadows House. Les lecteurs assidus d’ActuaBD savent d’ailleurs que cette série est l’une des (si ce n’est LA) série récente préférée de votre serviteur, Kuro était donc attendu avec beaucoup d’impatience.

Verdict : c’est un grand, un immense OUI. On replonge avec délice dans l’atmosphère-signature des auteurs : du gothique à la fois kawaii et angoissant qui enrobe une histoire pétrie de mystère. La référence est un peu obscure (dans les deux sens du terme) mais pour vous faire une idée du style, pensez à une version nippone d’Emily The Strange un peu moins psychédélique mais tout aussi charmante et dérangeante.

KURO © 2011 by Somato / SHUEISHA Inc.

Dans Kuro, série en trois tomes antérieure à Shadows House - et qui préfigure d’ailleurs pas mal de thèmes et images qu’on y retrouve - les auteurs s’amusent avec les codes et tropes du conte de fée en y ajoutant un soupçon d’angoisse voire d’horreur franche.

À la mignonnerie irrésistible de Coco s’opposent le glauque des monstres qu’on entraperçoit au bord du chemin, et une intrigue qui avance à pas de loup mais qu’on devine forcément dramatique. Le procédé rappelle pas mal Wandering Witch (Kurokawa) pour sa capacité à faire surgir des thèmes très lourds et assez déprimants au cœur d’un récit qui parvient à rester léger et amusant.

En plus d’une histoire qu’on dévore page après page, pressé d’arriver au moment où "tout va basculer", le titre séduit par son dessin impeccable. Dans des scènes d’action trépidantes comme dans des contemplations plus posées, le dessin brille par sa justesse. Les émotions souhaitées par les auteurs sont transmises instantanément, et les variations du style épousent parfaitement les changements de ton de l’intrigue. On passe du clair à l’obscur aussi bien dans le fond que dans la forme, avec une fluidité rare.

KURO © 2011 by Somato / SHUEISHA Inc.

Contrairement à Shadows House dans laquelle So-Ma-To ont déjà trouvé leur voix et leur esthétique, on devine que Kuro tient plus de l’expérimentation et que les auteurs se cherchent encore. Ils explorent plusieurs environnement (manoir grandiose, serre luxuriante, ruelles pittoresques) et plusieurs types de personnages (sur des variations aussi bien physiques qu’au niveau de leurs personnalités), avec tout de même une fascination pour l’image de la fillette innocente et pure, gamines toutes mignonnes que sont Coco et ses camarades et qu’on retrouve presque trait pour trait dans Shadows House.

Les deux séries restent bien distinctes (même si plusieurs détails laissent entendre qu’elles pourraient se passer dans le même univers), et elles se lisent indépendamment l’une de l’autre. Et là où Shadows House se montre plus ambitieux et développe une histoire au moyen / long terme (déjà dix tomes parus à date), Kuro est plus léger et décousu, et se lit comme une succession de tranches de vie de quelques pages liées entre elles par une trame de fond discrète.

Avec So-Ma-To, il n’y a jamais de demi-mesure. Soit on adhère complètement à leur univers mignon et glauque, leur narration empreinte de mystère et leur esthétique lolita-barroque, et dans ces cas-là chaque titre du duo est un pur régal, soit on n’accroche pas et le livre nous tombe des mains. Aux seconds, passez votre chemin (vous ne savez pas ce que vous manquez) ; aux premiers : ruez-vous sur Kuro avec la même confiance que sur Shadows House (mais sans sortir du chemin...)