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L’Adieu à Moebius

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 mars 2012                      Lien  
Journée éprouvante hier où la communauté de la bande dessinée francophone s'est réunie une dernière fois autour de la dépouille de Jean Giraud Moebius à l'occasion de son enterrement. Des témoignages émouvants, surtout de la part des enfants de l'artiste.
L'Adieu à Moebius
Dionnet, hier jeudi.

L’heure était au recueillement, hier après-midi. La Basilique Saint-Clotilde (7e arrondissement de Paris) était bondée dès 14h30.

La petite communauté de la bande dessinée était réunie, mais pas seulement, car Jean Giraud était aimé bien au-delà du cercle du 9e Art : on y croisait les compagnons de route de Pilote et de Métal Hurlant : Jean-Claude Mézières et Christin, Enki Bilal, Jean-Pierre Dionnet - absolument effondré -, Philippe Manœuvre, Frank Margerin, Denis Sire, Serge Clerc, Dodo & Ben radis, Jean-Claude Denis, Doug Headline, Isabelle Chaland-Beaumenay qui réalisa les couleurs de l’Incal ; ses compagnons de l’Académie des Grands Prix : André Juillard , Philippe Dupuy, Blutch... ; d’autres auteurs comme Michel Blanc-Dumont, Franck Giroud ou Jean-Pierre Gibrat ; les pontes du Syndicat National de l’Edition et ses éditeurs : Yves Schlirf de Dargaud-Belgique, Claude de Saint-Vincent de Média-Participations, Louis Delas pour Casterman, Jacques Glénat...

Il y avait ceux venus de loin : du Japon comme le représentant du Musée des mangas de Kyoto ou Madame Chigusa Ogino de l’Agence Tutle Mori à Tokyo, le dessinateur américain Geoff Darrow, Benoît Peeters et Jean Dufaux venus de Belgique, les dessinateurs italiens Lorenzo Mattotti, Liberatore et Milo Manara, ou encore l’éditeur espagnol de Norma Editorial Rafael Martinez.

Philippe Dupuy, Blutch, Bilal avec l’éditeur de Casterman Louis Delas

Les observateurs exercés pouvaient repérer l’homme de télévision Antoine de Caunes, l’extraterrestre Bogdanoff, le romancier Bernard Werber...

Beaucoup d’émotion, vous imaginez, lors des témoignages. Concédant que " Jean Giraud n’était pas tombé à la fin de sa vie dans les bras des prêtres catholiques", Frère Samuel souligna qu’il était là "par tradition", rappelant que son père spirituel Joseph Gillain alias Jijé était, quant à lui, un héraut de la croisade eucharistique.

Jacques Glénat, Jean Paciulli (DG Glénat), Manara, Geoff Darrow, Liberatore

Les derniers mots de Moebius

L’épouse de Jean, Isabelle, constatant le beau temps lors de son enterrement, ne peut s’empêcher de penser qu’il y était pour quelque chose... Le souvenir de sa bienveillance légendaire nous aide en effet à passer ce moment douloureux. Elle nous rapporte ses derniers mots : "Je sens qu’il se passe quelque chose... Je sens que je transmute... Il faut que tu me donnes les codes de réparation..."

L’hommage de Ralph Meyer

Jean-Claude Mézières qui a connu Giraud au sortir de l’adolescence, nous rappela quelques moments intimes passés avec lui chez sa grand-mère (la mère de Jean giraud, toujours de ce monde, aura cent ans en juillet prochain), dans l’odeur des arbres fruitiers du jardin familial.

Jean-Pierre Dionnet raconta sa frénésie sur Facebook depuis samedi, incapable de faire autre chose que de poster des souvenirs de Jean et de répondre aux quelques 3000 témoignages de soutien.

L’hommage de Nicolas Vadot
(C) N. Vadot.

Son éditeur Yves Schlirf raconta un moment passé avec lui dans un monastère de Crète.

Le dessinateur américain Geoff Darrow confessait : "Je lui dois tout."

Le neveu de Numa Sadoul est venu nous réciter une hommage azimuté de son oncle où il évoque la réincarnation possible du défunt : "...ce corps qui l’accueillera, croyez-moi, il aura de la chance."

Ces discours se terminèrent par une intervention du Ministre de la culture Frédéric Mitterrand qui délaissa son texte pour un discours improvisé. Ce n’était pas du Malraux, pour sûr.

L’Hommage de Taduc
(c) Taduc

On constatait les absents : Jodorowsky, prévu au programme des allocutions et que l’on a pas vu. À 83 ans, l’épreuve a du lui sembler insurmontable. Idem pour Druillet, qui fuit les enterrements... Tous, nous pensions à eux.

Le moment le plus touchant a été les témoignages des enfants de Giraud : Nausicaä dont la voix s’habillait de sanglots ou encore Raphaël dont la musique était éloquente.

La cérémonie s’acheva par le traditionnel recueillement face au cercueil, sur lequel un anneau de Moebius en métal filait la métaphore sur la possible réversibilité de l’infini. Espérances...

L’hommage de Marini
(c) Marini

Une lettre de Pierre Sterckx

Le matin même, je recevais une lettre de Pierre Sterckx qui, coincé en Belgique, n’avait pu venir. Le critique d’art belge, ami d’Hergé, donnait sur Moebius des conférences fiévreuses à la fin des années 1970 dans des amphithéâtres bondés de centaines d’admirateurs enthousiastes. Il a été un de ses premiers prophètes.

Il écrit ceci :

" Je me sens, comme toi, très malheureux : le monde a perdu un génie et moi, un grand ami. Jean était un génie, c’est-à-dire quelqu’un qui fait advenir les choses, qui les pousse à devenir autres. Son œuvre traversera le Temps tout comme elle a fulguré dans nos cœurs et dans nos esprits. Quel visionnaire ! Énorme savoir-faire que cette main-oeil, mais aussi, pensée vertigineuse. Jean, c’était la prolifération des lignes de fuite positives. Jamais un point ne faisait le point dans son dessin. Toujours déjà un poudroiement de trajectoires. C’est ce qui lui permettait de passer d’un monde à un autre, de transvertébrer les surfaces, de les torsader, d’en faire, comme il disait : "de la bande dessinée tordue". Moebius, son pseudonyme, était le nom d’un grand mathématicien-géomètre allemand du XIXe Siècle. Qu’est-ce qui est dedans ? Où est le dehors ? La mort n’arrivera pas à vaincre une telle splendeur."

Bel adieu...

L’hommage de Lizano
(c) Lizano

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Lire aussi :

- Mort de Jean Giraud / Moebius : Recueillement et hommages

- Jean Giraud - Gir - Moebius : In memoriam

Lire notre dernière interview du maître : « La mort est mon dernier maître à penser »

Lire nos articles récents : la consécration par la Fondation Cartier pour l’art contemporain, et son dernier album grand public, relançant Arzak.

Lire la première, la deuxième et la troisième partie de notre longue interview de Moebius/Jean Giraud.
Lire la chronique du Chasseur déprime, et l’annonce dela suite d’Arzak

Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

 
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10 Messages :
  • L’Adieu à Moebius
    16 mars 2012 12:12, par Jimi

    Merci de nous partager quelques instants de cette cérémonie car hier en voyant le beau soleil je trouvais que c’était tout de même une belle journée pour dire adieu à Moebius !

    En parcourant le net c’est un tsunami mondial sa disparition pour tout ceux qui aime son travail et sa personnalité ( mais ne le connaissant pas personnellement ça ne veut rien dire)

    C’était pour moi LE dessinateur ...le créateur , l’unique quoi !

    Même si je ne l’ai croisé que quelques minutes sans avoir pu lui dire combien je le vénérais , je suis fortement touché par sa disparition .

    Avec Franquin il s’agissait d’un maitre incontesté ...

    Mais il a distillé sa passion à tellement d’autres dessinateurs , sa flamme est un soleil .

    On reparlera sans aucun doute pendant longtemps de son empreinte .

    Il est là quelque part ...

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    • Répondu par Michel Dartay le 16 mars 2012 à  18:38 :

      Tout à fait ! Son oeuvre a eu du succès de son vivant, les journalistes et les collectionneurs s’en sont emparés, et il fait l’objet d’un véritable culte chez la plupart des auteurs de BD. Donc il est certain qu’il ne sera jamais oublié, même si l’on regrette qu’il nous quitte à seulement 73 ans.

      Pensez à la splendeur qu’il pouvait créer en quelques heures avec un crayon, une plume, un pinceau ou un feutre à la main.

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  • L’Adieu à Moebius
    16 mars 2012 16:28, par Admirateur anonyme parmi d’autres

    Merci pour ce témoignage. J’y étais aussi. Encore plus d’émotion qu’on ne peut imaginer, même si cet article est bien fait.
    Deux précisions :
    On entendait le splendide "The extasy of gold" d’Ennio Morricone dans l’église pendant que la foule défilait pour un dernier au revoir au Maître. Musique d’une séquence mythique de "Le bon,la brute et le truand" se passant dans un cimetière. Musique splendide tombant sous le sens, d’autant plus qu’on y retrouve l’ambiance et la thématique de "Ballade pour un cercueil", un summum graphique (parmi d’autres) de Blueberry.
    Ce n’est pas le jardin de la mère de Giraud dont Mézières parlait, mais celui de sa grand-mère. Sinon, en effet, la mère de Jean Giraud aura 100 ans cette année, mais n’a pas pu venir à l’enterrement, du fait de sa santé.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 mars 2012 à  17:49 :

      Ce n’est pas le jardin de la mère de Giraud dont Mézières parlait, mais celui de sa grand-mère

      C’est corrigé, merci pour vos précisions.

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  • L’Adieu à Moebius
    17 mars 2012 00:38, par PhilP

    Merci a Jean Giraud / Moebius d’avoir enchanté nos rétine et régalé notre imaginaire.
    C’était un Maître avec un grand M.
    Merci a vous pour avoir relayé cet hommage.

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  • L’Adieu à Moebius
    17 mars 2012 07:02, par Eric B.

    Je profite du fait que Louis Delas est sur la photo... La série Le monde d’Edena est en partie épuisée, et toujours pas de réédition annoncée... Quelqu’un sait s’il y a quelque chose de prévu en ce sens ?

    Un petit hommage ici.

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  • L’Adieu à Moebius
    17 mars 2012 20:41, par Oncle Francois

    Merci pour cet excellent article qui me fait regretter d’avoir manqué la cérémonie !

    L’émotion semble avoir été palpable, les nombreux témoignages démontrent l’importance qu’il a eu sur le genre. Mais aussi évidemment sur le dessin en général, la peinture, le cinéma, le dessin animé, les comics, les mangas.

    Un des derniers Géants ayant permis à la BD de passer de simple divertissement populaire à produit culturel à haute valeur artistique ajoutée dans la seconde partie du XXème siècle. Une page essentielle vient de se tourner...

    Le pseudo Moebius apparut dés 1963 dans les pages d’Hara-Kiri Mensuel. Il connut un certain hiatus pendant plus de dix ans, même si cela n’empêchait pas la publication de superbes illustrations SF pour le CLA. Il faudra attendre 1975 pour le grand retour, avec le premier numéro de Métal Hurlant. Puis il travailla pour (A SUIVRE) et fit de nombreux travaux personnels.

    Il ne faut pas oublier toutefois que c’est les albums du Lieutenant Blueberry qui faisaient bouillir la marmite. Quoi d’étonnant à cela ? Formé chez le grand (mais modeste et versatile) Joseph Gillain, il avait su rapidement surpasser le dessinateur de Jerry Spring. A la mort de Charlier, Giraud continua seul la série, livrant des western crépusculaires, désabusés et atypiques, mais toujours superbes ! Le respect du public ne peut s’oublier, surtout quand l’on a un prodigieux talent et la Passion du dessin.

    Il aura accompagné les aventures éditoriales de Pilote, Métal Hurlant et (A SUIVRE), sous deux identités parfois complémentaires, l’une se nourissant de l’autre, parfois opposées. Les deux sont d’exception et ont inspiré moult auteurs.

    Paix à son âme, et toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches, ainsi qu’à tous les simples lecteurs-admirateurs, dont je fais partie.

    Je dois dire que je ne peux plus envisager la BD de la même façon en ayant appris cette disparition, il me faut un peu de recul désormais pour m’intéresser à nouveau au genre. Je vais donc prendre une certaine distance vis-à-vis de votre site pour quelques semaines, voire plus. On verra bien si un nouveau Génie de cette trempe émerge ! Et il faut bien faire son deuil, d’une façon ou d’une autre.

    Bien cordialement.
    François Pincemi

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    • Répondu par DOC JPP le 18 mars 2012 à  02:49 :

      Qu’il repose en paix, le Grand JEAN GIRAUD/MOEBIUS... GIR...
      Il aura marqué tous les lecteurs de bandes dessinées. Son talent immense transcendait les genres (Fantastique, Western, Humour, Erotisme... et j’en oublie). Il en influença du Monde - et par son Graphisme, et par son univers - et d’autres Géants peuvent s’en réclamer !
      Comme d’autres dessinateurs, j’ai eu la chance de le croiser... 3 fois (en un quart de siècle) ! C’était à l’époque des Festivals de Bande Dessinée : ANGOULEME ?... AUDINCOURT ?...(1990 ?)... PARIS ?... (en 1995)... Sa présence imposait le silence, l’admiration, car tout dessinateur peut témoigner que le personnage était discret, voire solitaire, rare, modeste... Dans un autre Monde !
      Il a vraiment contribué à faire du Neuvième Art un très grand Art !
      ...JEAN GIRAUD/MOEBIUS a rejoint désormais les Immortels.

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  • L’Adieu à Moebius
    18 mars 2012 10:48, par Marc un fan de moebius

    Bonjour,

    Je voulais apporter également mon témoignage pour avoir été là bas.
    La cérémonie était très belle et très touchante.
    On pouvait vraiment ressentir l’amour et l’admiration de ses amis et collaborateurs. La salle vibrait d’une réelle émotion.
    Vous ne citez que deux des quatre enfants de Jean Giraud dont les témoignages étaient tous très touchant. Le texte très "moebiusien" du fils ainé julien était très beau. Pour avoir enregistré toute les interventions je me permet de le retranscrire.

    "L’homme est-il bon ?
    Oui papa l’homme est bon, quand enterré sous la terre d’ombre son âme brille comme un oiseau au plumage d’ambre,
    quand au bout de sa déviation terrestre, son corps astral délivré, s’en va vers un nouveau far-west.

    Ainsi puisse l’hirondelle de ton âme venir se hisser
    ici parmi nous tendrement dans nos cœur endeuillés
    et leur offrir la transparence téléportée de tes arabesques chinoiseries, le dédoublement multiforme de tes visages tantôt Geronimo tantôt galactique, sublimant la candide espérance d’un autographe, en un voyage au pays de ta carte favorite, celle du bateleur au cœur conquérant.

    Je t’aime papa."

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    • Répondu par Fred Neidhardt le 26 mars 2012 à  13:11 :

      Le dernier des grands s’en est allé rejoindre ses amis Peyo, Franquin, Hergé et les autres au bar de l’amitié. Il avait su rester simple, malgré son succès. Incontournable il était, incontournable il restera. C’était un grand homme qui a marqué son époque.
      Merci Moebius pour ta carrière prolixe. Tu as su aborder tous les genres. Que les jeunes générations en prennent de la graine ! Tchao l’artiste !

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