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"L’Excavation" : Max Andersson dans les catacombes de notre subconscient

Par Frédéric HOJLO le 3 juillet 2017                      Lien  
Dix ans que le Suédois Max Andersson n'avait plus rien publié en France. Dix-huit qu'il avait commencé "L'Excavation". Mais l'ouvrage valait l'attente : presque 400 pages d'un récit surréaliste, où le noir de l'encre reflète le subconscient sur lequel le dessinateur nous ouvre des portes. Une chronique fragmentée et onirique, qui étonne et fascine.

Max Andersson est un des dessinateurs scandinaves qui, au même titre que les Finlandais Tommi Musturi et Marko Turunen, permet d’approcher au mieux la bande dessinée alternative d’Europe du Nord. Après des études à Stockholm et New York, le Suédois s’est lancé dans la réalisation de courts-métrages et de bandes dessinées. Il est édité depuis le début des années 1990 aussi bien en Europe qu’en Asie et en Amérique du Nord. En France, nous pouvons trouver la plupart des ses œuvres chez L’Association (Lamort et Cie, 1998 - Pixy, 2000 - Bosnian Flat Dog, 2005, avec Lars Sjunnesson au scénario), mais aussi au Dernier Cri dans Hôpital Brut.

Il n’avait pourtant plus rien publié en français depuis 2007 et sa participation au catalogue Toy Comix, édité par L’Association à l’occasion d’une exposition présentée au département des jouets du musée des Arts décoratifs de Paris du 15 novembre 2007 au 28 avril 2008. Depuis ces trois planches, le dessinateur s’était fait plus rare. Mais la patience est une vertu souvent récompensée en bande dessinée. Son nouvel ouvrage, L’Excavation, adapté par L’Association de la version originale de 2016, est une petit diamant noir - l’expression pourtant galvaudée s’accordant ici fort bien à l’œuvre de Max Andersson.

Il aura fallu en réalité plus de dix-huit ans au dessinateur pour parvenir à réaliser un ouvrage qui le satisfasse - du moins suffisamment pour qu’il accepte de le publier. Inauguré en 1997, le récit de L’Excavation a ensuite connu différentes suites et variations, publiées principalement aux Etats-Unis. Cette construction fragmentée se retrouve dans le livre final. Les quelques 370 pages composent ainsi sept chapitres de taille variable : L’Excavation, L’Excursion, Les Spectateurs, L’Exécution, Le Tournage, La Reconstitution, Le Vernissage.

Mais la cohérence entre ces chapitres est relativement lâche et leur structure interne elle-même assez trouble. Cette construction perturbée, passant apparemment d’un thème à l’autre ou d’une situation à une autre sans souci de continuité, faite d’échos, de bris de miroirs et d’apparitions douteuses, reflète en fait le fond de l’œuvre. Sorte d’accumulation de cauchemars plus étonnants que traumatisants, L’Excavation propose un voyage à travers un subconscient, dont nous ne savons s’il s’agit de celui de l’auteur ou du lecteur - c’est du moins une des pistes de lecture possibles de cet ouvrage si étrange.

"L'Excavation" : Max Andersson dans les catacombes de notre subconscient
L’Excavation © Max Andersson / L’Association 2017
L’Excavation © Max Andersson / L’Association 2017
L’Excavation © Max Andersson / L’Association 2017

Comment résumer un tel livre ? Il faut tenter une simple ébauche, rien de plus, pour ne pas risquer de transformer un banal article en cadavre exquis. Une esquisse, donc : un jeune homme, dont nous ne connaissons ni le nom ni le passé, s’en va visiter sa famille, qui semble habiter au fond d’un trou - littéralement. Il renoue alors le contact, d’une certaine manière, avec ses parents, puis s’en retourne, avec sa compagne, dans son petit appartement. Mais sa famille, sans le prévenir, le rejoint. Commence alors une série d’événements impossibles à qualifier, allant du plus anodin au charcutage en règle.

Ce point de départ, qui pourrait aussi bien être le point d’arrivée de tout ce qui suit, permet à Max Andersson de laisser libre cours à son imagination. D’ailleurs, ce jeune homme que nous suivons presque tout au long des sept chapitres, est-ce l’auteur, ou du moins un alter ego révélant une partie de son psychisme ? Peut-être, mais rien ne permet de l’affirmer avec certitude. Ce qu’il nous donne à voir et à lire peut aussi correspondre à tout un chacun.

Le dessinateur, quoi qu’il en soit, essaime un certain nombre d’indices pouvant laisser penser que son ouvrage est une exploration d’un subconscient - le sien et le nôtre. Le thème prégnant de la famille, notamment le rapport au père, renvoie ainsi à un des sujets de prédilections de la psychanalyse. Le personnage central de L’Excavation se retrouve à s’occuper de ses parents, à son corps défendant, dans une inversion du rapport de parentalité qui interroge. Il a en outre un sexe détachable et ré-ajustable à volonté, ce qui lui permet par exemple d’échapper à une opération réclamée par son père - métaphore à peine masquée de la castration.

Max Andersonn emploie de nombreux motifs évoquant l’exploration du subconscient. Le personnage commence, pour rendre visite à sa famille, par pénétrer dans une cave qui tient à la fois du tombeau, de la décharge et du site archéologique. Comme une sorte de boîte noire de son être, dans laquelle il entre sans préjugé, sans crainte, mais sans la conscience de ce que cela déclenchera. Beaucoup des dessins en pleine page de Max Andersson recèlent de ce type d’ "objet mental", dont la forme originelle et la fonction plus ou moins dévoyées révèlent un doute, un malaise ou une transition.

Couloir interminable, ville se terminant en impasse, porte ouvrant dans le plancher, fenêtre donnant directement sur l’appartement des voisins... Au lecteur de choisir si tout cela n’est qu’une accumulation d’illusions ou offre la possibilité d’une ouverture. Si nous voulions donner une forme cinématographique à cette œuvre, il faudrait imaginer une reprise lynchienne du film Being John Malkovich de Spike Jonze (1999) par le Terry Gilliam de Brazil (1985) inspiré par les expressionnistes allemands comme F. W. Murnau (1888-1931). Un mélange probablement pas indolore pour les cerveaux les plus cartésiens.

Il ne faut pourtant pas craindre le voyage que nous propose Max Andersson. Celui-ci conserve en effet une certaine tendresse pour ses personnages principaux. Une absence de cruauté qui permet au lecteur de suivre leurs pérégrinations à la fois malgré et pour leur étrangeté.

Quant à l’esthétique du dessinateur, qui fait la part belle au noir de l’encre et où les visages sont comme en permanence éclairés par un flash, où la multitude des détails contraste avec une recherche minimale de réalisme, elle distille une impression de baroque qui sied parfaitement à l’exploration proposée. Une raison supplémentaire de lire attentivement cette œuvre d’un artiste trop rare.

L’Excavation © Max Andersson / L’Association 2017

Voir en ligne : Le site de l’auteur

(par Frédéric HOJLO)

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Code EAN : 9782844146571

Titre original : Utgrävningen (Kartago Förlag, Stockholm, 2016) - Traduit du suédois par Kirsi Kinnunen, lettrage de Céline Merrien - 15 x 20 cm - 376 pages en noir & blanc - parution le 12 juin 2017 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.

Consulter le site de l’auteur & la page consacrée à la version originale de l’ouvrage. Lire aussi sur le site du9.org un entretien avec Max Andersson.

Une version courte de L’Excavation a été publiée en 1997 par les éditions Les Etoiles et les Cochons. Les cinq premiers chapitres ont par ailleurs été publiés séparément et dans des formats différents dans le comic book Death and Candy (Fantagraphics Books, entre 1999 et 2005) de Max Andersson et dans d’autres anthologies : L’Excavation (Death & Candy #1, Galago #51, Schokoriegel #13, Plaque #01), L’Excursion (Death & Candy #2, Galago #63 ), Les Spectateurs (Death & Candy #3, Galago #72 ), L’Exécution (Death & Candy #4) & Le Tournage (Galago #119).

 
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