Un spectacle de marionnettes en papier à l’issue duquel un public, hilare, scande le nom d’Aza : il ne s’agit pas d’élèves surexcités appelant leur maîtresse mais bel et bien d’hommes barbus, trappeurs, que l’on imagine volontiers un peu bourrus. À la veille d’une nouvelle rude saison où ils partiront vers le grand Nord pour chasser la zibeline et sa fourrure, ils s’offrent un moment de détente qui tranche avec l’image que l’on se fait a priori d’eux.
Et cette Aza est bien mystérieuse : comment, depuis sa chaise roulante, peut-elle tenir sous sa coupe ces dizaines d’hommes, seulement en s’occupant d’eux, sans même les rémunérer ? Cette conception du rapport au travail est inconcevable pour Jason, un jeune entrepreneur ambitieux qui entend bien se faire une place dans le commerce des fourrures. Il ne parvient pourtant pas à débaucher les protégés d’Aza : la vieille femme aurait-elle des pouvoirs cachés ?
Grégoire Bonne reprend ici quelques ficelles du western, où deux camps s’affrontent : l’un représente les valeurs de la nature, la magie des grands espaces, et la connaissance des secrets de la forêt ; l’autre incarne une culture de la domination vaniteuse, la prédation du vivant et la recherche de la satisfaction de ses envies de court terme. Mais au-delà de quelques facilités, l’auteur expose une réflexion sur la nature humaine, par le biais d’une intrigue nouée autour de la disparition d’une jeune fille. Et il faut faire vite pour la retrouver car le bourane, une redoutable tempête de neige, approche...
Le personnage d’Aza, épatante sur son traîneau, est très réussi. Le rythme est haletant et l’ambiance est rendue dramatique par la menace du bourane. Le travail à l’aquarelle est particulièrement réussi, avec un petit tiers de récit dominé par des couleurs chaudes, quand l’action se déroule dans la chaleur des intérieurs puis, à mesure que l’intrigue avance, le dessin se « blanchit » : la course-poursuite et la scène finale, dans laquelle les personnages s’effacent derrière les flocons, symbolise la capacité de la nature à vaincre ceux qui souhaitent la dompter pour leur petit profit. Jusqu’à quand... ?
(par Damien Boone)
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