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Junji Itô, maître du manga d’horreur : « J’aimerais que mes œuvres soient lues le plus longtemps possible » [INTERVIEW]

Par Malgorzata Natanek le 21 février 2023                      Lien  
À travers des titres comme "Tomie" ou encore "Spirale", le mangaka Junji Itô s’est imposé comme un maître de l’horreur dans le domaine du manga. Une personnalité artistique mise à l’honneur par l’édition-anniversaire de 2023 du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême avec l’exposition "Junji Ito, Dans l’antre du délire" (nous vous en avons parlé) et une masterclass avec l’artiste. À l’occasion de sa venue, il a répondu à nos questions lors d’une table ronde en petit comité. Un échange mené et traduit par Miyako Slocombe, talentueuse traductrice-interprète.
Junji Itô, maître du manga d'horreur : « J'aimerais que mes œuvres soient lues le plus longtemps possible » [INTERVIEW]
Itô Junji : Maniac
© Junji Itô / Studio DEEN

Vous avez eu le droit récemment à une nouvelle adaptation en animée Maniac Anthologie Macabre. Qu’en pensez-vous ? Êtes-vous satisfait de cette adaptation ? Et de façon plus générale, est-ce que vous pensez qu’une version animée peut transposer assez fidèlement ce que vous avez créé sur papier ? Le malaise, la peur, le côté dérangeant

Junji Itô : Shinobu Tagashira le réalisateur de la série Maniac aime passionnément mes œuvres et a tout donné pour cet anime. En voyant le résultat, j’ai vraiment eu l’impression que l’état d’esprit de mon œuvre originale avait été mis en valeur. Je suis donc très satisfait du rendu.

Concernant votre deuxième question, dans mes dessins il y a beaucoup de traits et de lignes presque à l’excès qu’il n’est pas possible de reproduire en animé. Il y a donc une certaine atmosphère dans mes mangas qu’il est difficile à rendre, mais je pense que malgré tout le maximum a été fait pour respecter l’ambiance de mes récits dans cet animé.

Junji Itô
Photos : Kelian Nguyen

Cette édition du Festival d’Angoulême accueille une exposition qui est consacrée à votre travail, intitulée "Dans l’antre du délire". Quel est votre ressenti ?

En découvrant l’exposition, la scénographie m’a particulièrement plu. Cet espace qui évoque la maison traditionnelle japonaise m’a impressionné. Le commissaire de l’exposition a fait un parallèle avec les maisons qu’on voit dans les films de de Yasujirō Ozu. Je trouve que c’est une exposition de haute qualité et elle m’a beaucoup ému.

Junji Ito en janvier 2023 à Angoulême
Photo : Pierre-Alain Agnan

Comment arrivez vous à créer des histoires irréelles mais crédibles, aux concepts très étranges, en partant d’un détail du quotidien ? Est-ce que cet équilibre entre le surréalisme et le réalisme est difficile à atteindre ?

Pour moi, ce n’est pas quelque chose de difficile. En effet, comme je pars d’éléments du quotidien et du réel, je me base sur des photographies que je reproduis en dessin plus concret qu’abstrait. C’est quelque chose avec lequel je suis à l’aise. Ainsi, ce n’est pas difficile pour moi de choisir des thèmes surréalistes et de les représenter de manière concrète.

Certaines de vos histoires comme Sensor ou Tomie sont racontées sur plusieurs chapitres mais ces chapitres peuvent être lus de façon libres, comment arrivez-vous à garder cette cohérence malgré la flexibilité des chapitres ?

Je vous avoue que ce n’est pas mon fort de garder cette cohérence en dessinant pleins d’histoires avec le même personnage. J’aimerais bien savoir à l’avance comment y arriver. Je ne pensais pas en être capable, et c’est une question que je me pose beaucoup quand je dessine.

Sensor
© Junji Itô / Mangetsu

Vous avez mis sur papier toutes sortes de choses terrifiantes mais quelle est donc votre plus grande peur ?

Diverses choses. Mais je crois que ce qui me fait le plus peur ce sont les guerres et les conflits. Mais également tout ce qui entraîne une mort douloureuse, le sentiment d’angoisse lié à la peur et tout ce qu’on n’arrive pas à identifier.

Lorsque vous travaillez sur un personnage pendant des années comme pour Tomie, est-ce qu’il évolue dans le temps ou non ?

J’évite de faire ressentir un contexte précis comme un contexte social. J’aimerais que mes œuvres soient lues le plus longtemps possible et qu’elles restent actuelles. J’essaie de faire quelque chose qui soit le plus universel possible. J’exclus notamment les références à des évènements qui ont eu lieu dans la réalité ou bien tout ce qui a trait à la mode d’un moment. Je fais en sorte qu’on ne sache pas à quelle époque se déroulent mes histoires. Pour donner un exemple concret, dans les années 1990, les lycéennes japonaises mettaient des chaussettes longues blanches que j’ai fait exprès de ne pas dessiner. Cependant, il est possible que dans ma tête je sois resté dans les années 1970 quand j’étais jeune et c’est cette époque là qui s’exprime dans mes dessins.

Planches Tomie
© Junji Itô

Tomie est un personnage qui revient souvent. Que représente elle pour vous ? Est-ce que c’est une critique de la société ?

Je n’ai pas cherché à exprimer une critique de la société mais plutôt une critique des sentiments humains tels que l’égoïsme et le narcissisme qui constituent les thèmes principaux de cet histoire.

L’Énigme de la faille d’Amigara
© Junji Itô

Quelles sont les œuvres dont vous êtes le plus fier ?

Il y a une courte histoire intitulé De longs rêves où le cauchemars devient de plus en plus long. Aussi, L’Énigme de la faille d’Amigara avec les silhouettes humaines dans la montagne et L’Amour et la Mort qui parle d’un diseur de bonne aventure.

Concernant votre histoire L’Énigme de la faille d’Amigara, qu’est-ce qui vous a inspiré pour cette œuvre ?

Avant d’être mangaka, j’étais prothésiste dentaire. Pour créer des moulages, il fallait introduire un liquide chaud dans le métal. Cette image de trous dans les moulages est restée dans mon esprit. Il y a également l’éruption du volcan de Vésuve qui a englouti Pompéi. Les images des formes humaines conservées m’ont marqué. Ceci m’a donné l’idée de ces creux qui se sont formés dans la roche.

Avez-vous le temps de lire des mangas qui sortent actuellement ? si oui, est-ce qu’il y a des titres qui vous ont marqué ?

Non, je n’ai malheureusement pas le temps de lire des mangas. Cependant, il arrive qu’on me demande d’écrire des petits commentaires pour le bandeau d’un manga dessiné par un nouvel auteur et dans ce cas-là, je lis l’œuvre. Certaines m’ont particulièrement plu comme Tomura Jokyouju no Asobi et Egao no Sekai qui sont des mangas pour lesquels j’étais heureux d’écrire un texte de recommandation.

Tomura Jokyouju no Asobi
© Douji TOMITA

Vous êtes un spécialiste du manga d’horreur. Mais aimeriez vous créer un manga qui appartienne à un genre différent ?

J’aimerais bien réaliser une comédie romantique. C’est une idée qui me plaît bien.

Est-ce que vous aimeriez créer des histoires pour d’autre média comme le cinéma ou le jeux vidéo ?

Il m’est déjà arrivé d’écrire un scénario pour un jeu vidéo. Il s’agissait d’un Visual Novel [1] pour lequel j’avais été invité à écrire un scénario d’horreur. Aussi, si on me propose encore un projet intéressant, j’aimerai bien retenter l’expérience.

(par Malgorzata Natanek)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782382811603

En médaillon : Photos : Pierre-Alain Agnan

[1Jeu vidéo avec du texte qui raconte une histoire.

Mangetsu ✏️ Junji Itō Horreur Japon France Angoulême 2023
 
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