Deux victoires olympiques en 1924 puis en 1928, couplées au centenaire de l’indépendance de ce pays d’Amérique du Sud, conduisent les dirigeants de la FIFA, le Français Jules Rimet en tête, à localiser en Uruguay la première coupe du monde de football. Nous sommes alors en 1930 : pour des raisons tant sportives que géopolitiques, seules 13 équipes y participent. Dans des conditions que l’on a du mal à imaginer aujourd’hui, les Français embarquent à Villefranche-sur-mer avec l’équipe nationale de Roumanie, pour une traversée de deux semaines en bateau. Sur la route, le navire récupère les Belges à Barcelone, puis les Brésiliens à Rio. Sur les ponts du bateau, on s’entraîne tant bien que mal, principalement avec quelques exercices d’assouplissement.
Principalement composée d’ « ouvriers footballeurs » du FC Sochaux et de joueurs du Racing Club de France, la France fait bonne figure en Uruguay, avec une victoire et deux défaites en matchs de poule, ce qui suffit amplement à son bonheur. Le récit, chronologique et entrecoupé de scènes de l’après-guerre, nous entraîne dans un football français en pleine mutation. C’est le début du professionnalisme : les grands clubs nationaux sont Sète, le Racing, l’Olympique Lillois, Sochaux, Marseille. Deuxième coupe du monde en Italie (1934), troisième coupe du monde en France (1938) : le football s’institutionnalise, se mondialise, et devient un sport convoité par les dirigeants. En témoigne l’exploitation politique de la compétition par Mussolini dans une compétition manifestement non équitable.
Dans ce football perméable aux enjeux de son temps, nous suivons ici la trajectoire de deux footballeurs : d’un côté, Étienne Mattler, solide défenseur du FC Sochaux ; de l’autre, Alexandre Villaplane, milieu de terrain passé par Sète (Cette à l’époque), Nîmes, Paris et Antibes. Les deux hommes étaient coéquipiers dans l’équipe nationale en 1930 : Villaplane en était même le capitaine. Les années 1930 vont progressivement éloigner les deux hommes. Le premier poursuit avec brio sa carrière de footballeur professionnel ; le second s’écarte du football, davantage intéressé par l’appât du gain, les femmes et la fête. Il est ainsi l’un des protagonistes d’une affaire de corruption en 1933, lorsque son club, Antibes, a cherché à soudoyer le club lillois du Sporting Club de Fives. Devenu petit escroc, il est ensuite condamné pour une affaire de paris hippiques truqués. Quand la guerre arrive, l’un s’engage dans la résistance, la clandestinité, et frôle la mort dans sa quête de justice ; l’autre y voit l’occasion d’assouvir sa haine des Résistants et des Juifs. L’un finira en héros ; l’autre en salaud.
Ces destins croisés de footballeurs constituent une excellente manière de parcourir les années 1930 et 1940, avec leur lot de malheurs, et la manière dont les hommes construisent leur destin, selon leurs convictions, leurs valeurs, et au gré des opportunités. Le récit d’Arnaud Ramsay permet également d’avoir un aperçu d’un football en pleine construction, entre amateurisme et professionnalisme naissant. Enfin, il inclut les footballeurs dans les problématiques de leur époque, loin de l’idée communément admise qu’ils y seraient indifférents (même si le l’état du football et les conflits idéologiques dans les années 1930 peuvent expliquer ces intrications entre sportif et politique). Même si ces thématiques sont parfois trop rapidement abordées, le dessin réaliste d’Étienne Oburie contribue à nous plonger dans une époque où le poids des circonstances pose l’éternelle question : qu’aurions-nous fait à leur place ?
(par Damien Boone)
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