Suelynn et Bill forment un couple qui ne peut malheureusement pas avoir d’enfant. Dans leur époque pas si éloignée de la nôtre, les robots peuvent désormais avoir une forme qui imite parfaitement celle des humains et les progrès de l’informatique leur permettent d’avoir des attitudes qui copient de mieux en mieux celles des hommes. Soufrant du désir d’être parents, Suelynn parvient à convaincre Bill d’adopter l’un de ces robots.
Lors de leur commande en ligne, ils étaient loin de se douter qu’à Séoul, un concepteur décide, contre la politique de son entreprise, d’intégrer une Intelligence Artificielle autonome dans l’un de ses robots en destination des États-Unis. La réussite de cette entorse et de ce robot permettraient de dégager de nouveaux horizons pour ceux-ci.
C’est ainsi que Suelynn et Bill accueillent leur fille, qu’ils prénomment Jesse. Cette dernière impressionne ses parents car elle a une véritable boulimie pour l’information : Jesse lit tout ce qui lui passe sous la main et retient de manière encyclopédique tout ce qu’elle a lu. Bien vite, Jesse demande à ses parents de l’inscrire à l’école : les connaissances, c’est bien, mais il ne faudrait pas négliger la sociabilité.
Suelynn et Bill parviennent à faire inscrire Jesse dans un lycée : même si elle a l’apparence d’une enfant de neuf ans, ses capacités intellectuelles l’appellent à s’épanouir dans ce cadre. Les autres élèves de sa classe sont d’abord réticents à son intégration : comment exister à côté d’une « fille Pinocchio » qui a invariablement toutes les bonnes réponses ?
Malgré le rejet de ses camarades, Jesse va parvenir à devenir amie avec deux marginaux de sa classe, qui préfèrent l’école buissonnière au cadre normé de leur lycée. À leur contact, Jesse évolue, devenant de plus en plus indépendante. Jesse se définit désormais comme un garçon.
Nous ne divulgâcherons pas l’énorme retournement de situation qui donne le coup d’envoi de la seconde moitié de cet album, mais nous écrirons simplement qu’il ne peut que secouer le lecteur par sa justesse. À partir de ce point, l’agréable scénario présenté par Jeremy Holt passe la seconde et emmène le lecteur très loin dans ses réflexions et l’intensité de son propos.
« Étant un triplé et un enfant coréen adopté par une famille américaine, je souhaitais exprimer l’exploration de mon identité à travers le prisme de la science-fiction. »
Jeremy Holt, à propos de Made in Korea
À la lecture de cette citation, nul doute que l’auteur, lui-même non-binaire, ai placé une part de son vécu dans le personnage de Jesse. Sa quête d’identité est touchante, notamment quand ses expériences et ses désirs se heurtent aux attentes de ses figures d’autorité, comme ses parents ou son concepteur.
Justement, au-delà de l’efficace propos sur la quête identitaire, c’est probablement l’écriture des personnages que l’on retient après la lecture de cet album, comme celle des marginaux du lycée ou du concepteur. Ce dernier, contrairement à la figure littéraire du Dr. Frankenstein, comprend progressivement qu’il ne peut pas façonner éternellement sa créature et qu’il faut donc l’accompagner vers sa liberté et son autonomie.
Ce que l’on retiendra aussi de Made in Korea, ce sont les très jolies planches de la dessinatrice Gegê Schall. Il n’est pas rare dans cet album de découvrir des planches qui font penser à un storyboard prêt à l’emploi pour un film ou une série, un tour de force qui renforce bien souvent la dramaturgie de l’action.
Made in Korea est un album que nous pouvons chaudement vous recommander, ce dernier déployant de manière visible ses multiples qualités. Entre science-fiction d’anticipation et thématiques plus contemporaines, Jeremy Holt et Gegê Schall sont parvenus à présenter au public une très belle histoire.
« Avec son rythme parfait et sa patte graphique absolument magnifique, Made in Korea est hautement recommandable. »
Brian K. Vaughan
(par Romuald LEFEBVRE)
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Made in Korea. Par Jeremy Holt (scénario) et Gegê Schall (dessins). Traduction de Laurence Belingard. Panini Graphic Novel. Sortie le 22 février 2023. 168 pages. 22,00 Euros.
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