C’est ce qui arrive au petit Émile, qui a fugué plusieurs fois de chez lui. Ses parents ne pouvant supporter son mutisme et sa passion pour le dessin, ils décident de dépenser une fortune colossale pour le placer entre les serres du directeur de la Pension Moreau, monsieur Turoc. Des serres ? Oui, car l’individu en question n’est rien de moins qu’un hibou et tous les responsables de son établissement s’avèrent être des animaux anthropomorphes à l’air patibulaire : un renard pour le professeur, ou encore, un phacochère en guise de maton. On peut voir dans cet usage métaphorique tendant à réduire les personnages au statut de quasi-monstres, une forme de facilité. Toutefois, cela se justifie par le contexte.
La méthode éducative mise en place derrière ces épais murs se résume à hurler, frapper et humilier les pensionnaires. Ces derniers passent plus de temps aux corvées qu’aux études et le moindre faux pas de leur part leur vaut un séjour au cachot.
Dès la première page, le ton est donné. On assiste à une scène où Turoc écoute avec attention les premières lignes du poème de Jacques Prévert, "Chasse à l’enfant". Ce texte, inspiré d’un fait réel daté de 1934, évoque le destin des enfants d’un bagne qui s’étaient révoltés et enfuis de leur prison avant d’être rattrapés et punis.
Une œuvre qui a donc clairement servi de référence dans la conception de l’ambiance de la Pension Moreau. Ambiance très bien rendue par le dessin de Marc Lizano. Un soin particulier a été donné aux décors, soulignés par l’utilisation de couleurs le plus souvent sombres et froides. Quant aux personnages, les enfants se voient affublés de têtes assez disproportionnées, ce qui a pour effet d’accentuer leur expressivité. Les "animaux" ne sont pas en reste, et l’on arrive pareillement à distinguer leur sadisme, leur cruauté ou leur avidité grâce à leurs mimiques.
Le manichéisme, qu’il soit visuel ou propre au récit, est très prononcé. Les thèmes de la différence, de la violence et de la liberté sont ici portés par les enfants. Bien que subissant une situation cauchemardesque, leur caractère et leur amitié leur permettent de surmonter les difficultés. Mais face aux abus répétés, la révolte commence à gronder...
On peut douter, devant l’atmosphère assez glauque qui se dégage de cette bande dessinée, qu’elle puisse s’adresser uniquement à un jeune public. Mais sa lecture peut faire l’objet d’un échange intergénérationnel bénéfique. À recommander, donc.
(par Tahani Biernat)
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La pension Moreau, tome 1 - les enfants terribles. Par Benoît Broyart et Marc Lizano. Les Editions de la Gouttière. Sorti le 17 février 2017. 48 pages. 14 euros.